Jean-Paul Huchon : "La technologie pour la technologie ne me passionne guère"

"Quartier numérique", un laboratoire d'usage des nouvelles technologies à Paris a fêté récemment son premier anniversaire. L'Ile-de-France soutient ce projet lancé par les PME de Silicon Sentier. Le président de la région revient sur cette initiative.

Quartier Numérique a eu un an au printemps. Comment jugez-vous les différents projets créés ?  

Aujourd'hui, nous sommes à mi-chemin de cette aventure. Lorsque nous avons pensé ce projet avec la Mairie de Paris et avec Silicon Sentier, l'association des entreprises du secteur des TIC de la région Ile-de-France, nous souhaitions encourager un véritable foisonnement d'initiatives. L'objectif était de faire d'une large partie du deuxième arrondissement de Paris un véritable laboratoire d'usage des projets de nouvelles technologies les plus variées et les plus innovantes. Partant de ce principe, il devenait possible d'offrir aux habitants et aux habitués de cette partie de Paris, une palette extrêmement large de services. Des plus simples aux plus pointus. Chacun devait pouvoir y trouver une innovation pour lui-même, la tester, se l'approprier, la contourner et la modifier même. Globalement, le projet de "quartier numérique" est passionnant et extrêmement positif. Il nous faut encore progresser pour concerner un nombre toujours plus grand d'habitants à la palette de services qui leur est offerte totalement gratuitement. Mais je sais les efforts qui sont déployés, en particulier dans ce lieu magique qu'est la cantine numérique et qui est devenu, entre mille autres choses, le "quartier général" de ce "quartier numérique".


Quels sont ceux qui vous ont le plus intéressées ?

Franchement, je serais bien en peine d'avoir un avis complet sur les plus de 50 projets actuellement en expérimentation. J'ai pu tester les flashcodes qui permettent d'avoir très rapidement des informations utiles en prenant une simple photo d'un signe disons... cabalistique. J'ai bien apprécié aussi le projet QNTV, de télévision Web de quartier qui accompagne l'expérimentation. Cette télévision participative illustre les bouleversements que connaissent la diffusion et la production d'images. J'ai apprécié aussi l'engagement total d'entreprises, je pense par exemple au groupe Pages Jaunes qui a implanté son laboratoire d'innovation dans le quartier numérique. C'est aussi une preuve que nous avions raison de soutenir ce projet.

"Permettre à tous les franciliens qui le souhaitent d'être acteur de leur vie numérique"


Pourquoi la région Ile-de-France soutient-elle un projet comme Quartier Numérique ?

La technologie pour la technologie ne me passionne guère. Ce qui est fascinant, ce sont les innovations qui trouvent une résonance auprès des citoyens, en facilitant le quotidien, en ouvrant de nouvelles perspectives de rapports sociaux, et qui peuvent  aussi générer ce que l'on appelle de "l'innovation ascendante", c'est-à-dire qui part de l'utilisateur et qui en fait le véritable acteur. Face à cette offre pléthorique, c'est à chacun de piocher ce qui est vraiment utile pour lui. C'est un moyen de mieux comprendre l'utile et l'accessoire. Avoir un laboratoire d'usage des nouvelles technologies en plein cœur de la capitale, dans un quartier qui a une tradition numérique depuis une dizaine d'années, qui est également une terre d'accueil pour des milliers de salariés venant d'autres parties de l'Ile-de-France, mais aussi d'un nombre très importants de visiteurs et de touristes, c'est exactement ce dont nous rêvions.
 

Depuis quand et sous quelle forme ? La région Ile-de-France est partie prenante du projet de quartier numérique depuis sa conception. L'existence d'une zone laboratoire d'usage était absolument indispensable pour l'une des plus importantes régions du monde. C'est d'ailleurs avec grande satisfaction que le quartier numérique a été labellisé projet "living labs" par l'Union européenne. Le projet "living labs" recense et assure un échange de bonnes pratiques entre ces différents laboratoires d'usage sur le territoire européen . Sur le plan financier, la Région a mobilisé 270 000 euros.

 
La région soutient-elle d'autres projets du même type ?

Dans un premier temps, il était nécessaire que le principe de "quartier numérique" se mette en place et que les innovateurs de toutes tailles, de la start-up au grand groupe puissent trouver leur place et un intérêt à l'existence d'une telle zone. C'est maintenant le cas. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de dupliquer absolument cette expérience sur un autre territoire d'Ile-de-France. Pour autant, et parce que les presque douze millions de franciliens représentent une mosaïque unique de population, nous allons compléter ce dispositif avec d'autres types de zone laboratoire d'usage. J'ai souhaité, de concert avec Cap Digital, lancer le projet "THD" dans différentes parties de l'Ile-de-France. Le principe est simple : il s'agit de raccorder à la fibre des territoires spécifiques (urbain social, habitats plus diffus, semi-rural) et de tester de nouveaux usages nécessitant le très haut débit. Il s'agira de tester des solutions de visioconférence, notamment tournées vers le soutien scolaire, de la haute définition audiovisuelle, tant en réception qu'en fabrication locale par les habitants eux-mêmes, de nouvelles solutions autour des réseaux sociaux, de jeux vidéo en ligne...). Si le quartier numérique favorise pour partie l'adoption de nouveaux usages autour de la mobilité, le projet THD doit nous permettre de mieux comprendre les besoins et les moyens d'appropriation du très haut débit par des populations très diversifiées.

"Nous n'agitons pas nos bras pour ne rien faire en définitive"

 
Quel est l'objectif de la politique régionale en matière de développement des TIC ? Permettre l'essor des entreprises innovantes ? Favoriser les nouveaux usages pour la population ?

La région a fondé son action sur des principes : d'abord, permettre à tous les franciliens qui le souhaitent d'être acteur de la vie numérique, quels que soit les limitations financières, culturelles, générationnelles... Ensuite, d'assurer, au long cours, le rôle de la région Ile-de-France comme moteur d'innovation et de croissance du secteur du numérique. Et ce, sous toutes ses formes. Nous sommes les principaux financeurs des pôles, nous aménageons numériquement le territoire, nous favorisons et aidons au regroupement des acteurs afin de favoriser l'élaboration collective de projets, et nous ne manquons pas d'idées pour rendre possible ce qui semblerait impossible. Il y a dans le monde de l'informatique cette drôle d'expression : "vaporware" qui consiste à annoncer pour bloquer et finalement ne jamais faire ce sur quoi on avait pu s'engager. Nous faisons l'inverse, nous avons une formidable ambition numérique pour l'Ile-de-France mais nous n'agitons pas nos bras pour ne rien faire en définitive. Nous tenons ce sur quoi nous nous engageons.

 
Quelle place les politiques régionales doivent-elles prendre face aux politiques nationales ?

Comme c'est le cas sur bien d'autres sujets, je suis convaincu depuis toujours que l'on comprend mieux ce qu'il faut faire lorsque l'on est au plus près des besoins et que l'on est politiquement responsable. L'échelon régional est pertinent en matière de numérique. Nous pouvons rencontrer les acteurs, comprendre ce dont ils ont besoin et remplir notre rôle de facilitateur. Nous faisons avec l'Etat bien entendu, mais nous faisons aussi par nous-même. L'Ile-de-France a un rôle à jouer car elle concentre une grande partie des forces de ce secteur. Dans une compétition mondiale dure, il nous faut être à l'écoute, proposer et agir assez vite. Ce n'est pas toujours les qualités principales de l'Etat. Ce que je souhaite, c'est pouvoir faire plus et encore plus vite pour le numérique. L'ile-de-France est un moteur, c'est notre responsabilité de pousser les feux au maximum.


François Fillon et Eric Besson sont venus à la Cantine, dans le Quartier Numérique, avant de lancer les Assises Numériques. Quel est votre sentiment concernant l'activité gouvernementale actuelle en la matière d'économie numérique ?

Oui c'est vrai que le Premier Ministre et le secrétaire d'Etat en charge de ces questions sont venus ensemble, à la Cantine numérique qui est un lieu très largement pensé et financé entre les forces vives du secteur et nous.

J'insiste un instant sur ce lieu dont nous sommes assez fiers. La cantine numérique est une adaptation très française de ce concept très nouveau de "troisième lieu". Ce n'est pas un bureau, ce n'est pas un espace privatif, c'est une troisième voie. J'encourage tous les amoureux des nouvelles technologies à se rendre sur place, dans cet endroit qui regroupe à la fois un café, des salles de réunions ou de présentations et un espace de travail partagé dans lequel on peut louer un bureau à l'heure ou la journée. Ce que les américains appellent un "co-working space".

Ce triple lieu est à ce jour le seul à ma connaissance. Il fonctionne comme une ruche, avec des rencontres et des réunions permanentes. En matière de nouvelles technologies, ce lieu est un moyen de réinjecter du concret dans le virtuel. On se voit, on échange, on lance des projets... La "cantine" est un carrefour de toutes les énergies et de toutes les créativités. Il est très probable que ce modèle de lieu soit exporté dans les mois à venir.

Recevoir donc les plus hautes autorités de l'Etat à la "cantine", la veille du début des Etats généraux, faut-il y voir le besoin de trouver des idées ? J'espère que deux heures auront suffit, sinon je les invite bien volontiers à y revenir souvent.

 
La région va-t-elle soutenir d'autres projets semblables à Quartier Numérique ?

J'ai à mes côtés des passionnés de ces questions qui doivent dépasser l'idée à la minute. Nous avons déjà beaucoup fait mais si le temps citoyen n'est pas toujours le temps politique, que dire alors du temps numérique. Les citoyens ne savent pas toujours l'importance de la Région dans leur quotidien.

Dans ce secteur, nous sommes confrontés, avec douze millions de franciliens, à douze millions de rapports différents avec le numérique. Cela nécessite d'être inventifs et ouverts mais aussi de questionner notre manière de faire savoir.

Nous allons tenter de le faire, même si une politique publique n'est pas toujours très simple à conjuguer avec la vitesse de l'information sur Internet.


Interview réalisée par e-mail.