La Toip est elle également sur écoutes ?

On le sait peu, mais il existe un dispositif légal pour réaliser des écoutes via la téléphonie sur IP. Ce ne sont plus seulement les données techniques de connexion qui sont conservées, mais le contenu même des échanges. Comment est-il mis en oeuvre ?

Il est régulièrement question des données techniques de connexion. La Loi impose aux opérateurs et aux entreprises développant une activité d'accès et/ou d'hébergement de les conserver. Il faut aussi se rappeler qu'il existe un arsenal législatif complet qui peut imposer sous certaines conditions de conserver non plus les données techniques, mais le contenu même des échanges. Ce dispositif a pour nom "écoutes" ou, plus récemment, "interceptions": s'applique-t-il à la Toip ?

Ecoutes et Toip

La réponse est sans conteste oui. La téléphonie sur IP n'a aucune raison de déroger à la téléphonie traditionnelle, dite RTC, ou mobile. Les conversations téléphoniques via la téléphonie IP peuvent faire l'objet d'écoutes de la part des autorités publiques françaises.

Ces écoutes sont de deux types.

- Soit elles sont autorisées par l'autorité judiciaire, le juge des libertés à la requête du Procureur de la République pour le flagrant délit[i] ou le juge d'instruction[ii] dans le cadre d'une instruction judiciaire en cours au titre d'une infraction punie d'une peine minimale de deux ans d'emprisonnement. Dans ces conditions, c'est le juge qui contrôlera la régularité des écoutes. Les enregistrements seront mis sous scellés et pourront être retranscris, l'ensemble étant consultable par toute personne ayant accès au dossier d'instruction, notamment la personne mise en examen.

- Plus problématique, il existe une seconde catégorie d'écoutes en droit français, les interceptions dites de sécurité. Ces écoutes sont hors du contrôle de l'autorité judiciaire. Elles sont encadrées par une Loi du 10 Juillet 1991[iii]. Elles sont autorisées "à titre exceptionnel" par le Premier Ministre.

La Loi limite le recours à ces écoutes à quatre cas. Il s'agit de la recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale c'est-à-dire l'espionnage traditionnel d'Etat à Etat, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, c'est-à-dire l'espionnage industriel qui s'est développé fortement ces dernières années, la prévention du terrorisme considérablement renforcée depuis les attentats du 11 septembre 2001 et, enfin, la criminalité et la délinquance organisées, en clair la Mafia.

Si le Premier Ministre ordonne des écoutes, il doit le faire par écrit et motiver sa décision en la rattachant à l'une de ces quatre catégories. L'autorisation a une durée maximale de quatre mois, mais la Loi ne prévoit pas de limites au renouvellement de l'autorisation.

La durée des écoutes

Les enregistrements opérés dans le cadre des écoutes ont une durée de vie limitée de dix jours après qu'ils aient été réalisés. Cela signifie en pratique que ces enregistrements doivent être retranscris dans un écrit, cet écrit pouvant être conservé quant à lui tant qu'elles sont "indispensables".

A l'origine, la Loi ne prévoyait aucun mécanisme de contrôle de ces interceptions d'un genre spécial. Cette anomalie pour une démocratie, a été réparée par une autre Loi de décembre 1992 qui a institué une autorité administrative indépendante dénommée la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Tout citoyen peut interroger en lettre recommandée AR cette commission basée à Paris, pour savoir si des écoutes de sécurité ont été opérées à son propos.

La Commission réalisera alors un contrôle pour savoir si ces écoutes existent, si les conditions ci-avant décrites ont été respectées et elle informera le citoyen qu'elle a opéré ce contrôle. Pour autant, le citoyen n'aura pas l'information de savoir s'il a fait l'objet d'écoutes, et si, oui, pourquoi, quand et quel en a été le résultat.

Les obligations des FAI

Enfin, le dispositif ne serait pas complet si la Loi n'avait pas impliqué les opérateurs de télécommunications, appelés aujourd'hui les opérateurs de communications électroniques.

Parmi ces opérateurs d'aujourd'hui, ont été intégrés les fournisseurs d'accès Internet. Ceux-ci sont tenus en premier lieu de donner toutes informations sur leurs abonnés aux autorités publiques. S'ils ne le font pas, ils encourent une peine de 6 mois d'emprisonnement et une amende maximale de 7.500 euros. Mais ça n'est pas tout, l'Etat impose aux FAI de mettre en place, à leurs frais, "les moyens nécessaires à l'application de la loi nº 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques par les autorités habilitées en vertu de ladite loi" [iv]. Les FAI doivent donc disposer de matériels et logiciels pour réaliser ces interceptions.

Même la mise en oeuvre des écoutes est réalisée aux frais des FAI, tel que la Loi l'impose. Ainsi donc, on le sait peu, mais tout un dispositif légal et réglementaire est bien en place pour réaliser des écoutes via la téléphonie sur IP et les autorités ne font pas mystère que ces écoutes sont de plus en plus nombreuses. Aussi, si vous remarquez du bruit sur la ligne, ça n'est pas forcément un problème de qualité de la voix sur IP...


[i] Notamment avec l'Article 74-2 du code de procédure pénale

[ii] Article 100 du code de procédure pénale

[iii] Loi n°91-646 du 10 Juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications

[iv] Article D 98-7 du code des postes et des communications électroniques