Prostitution sur Internet et Web 2.0 : quelles responsabilités ?

Racolage et proxénétisme connaissent un fort développement sur Internet. Pour autant, les responsabilités de chacun sont souvent délicates à établir, surtout dans l’univers communautaire ou une grande part du contrôle est laissée à l’utilisateur lui-même.

Plusieurs études et ouvrages parus récemment mettent en évidence l'importance grandissante du phénomène de prostitution sur Internet. Une des raisons avancée pour expliquer le développement de cette "cyber-prostitution" serait la création du délit dit de "racolage passif", par la loi de 2003 pour la sécurité intérieure : la prostitution aurait quitté la rue pour les espaces d'Internet, moins dangereux et surtout moins exposés aux interventions policières.

Le racolage via Internet est il légal ?

Ce développement de la prostitution sur Internet conduit tout d'abord à s'interroger sur le point de savoir si elle est illégale et si les sites de prostitué(e)s sont susceptibles de constituer un délit de ""racolage" ? Pour répondre à cette question, il convient avant tout de rappeler l'article 225-10-1 du code pénal, selon lequel "Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende".

Si la rédaction du texte est pour le moins large, la jurisprudence s'est montrée restrictive dans l'application de ce délit. Ainsi, plusieurs juridictions ont considéré qu'il ne pouvait y avoir délit à défaut de constatation d'actes commis en vue d'inciter quiconque à des relations sexuelles rémunérées. Concrètement, cela suppose par exemple des "paroles ou gestes expressifs pouvant constituer une invitation à avoir des rapports sexuels".

A la lumière de la jurisprudence, la cyber-prostitution ne constituerait donc pas du racolage, dans la mesure où la prostituée ne ferait sur son site que la description de services d'accompagnement ou de massages, de nature privée, sans clairement expliciter la nature des services réellement proposés, ni inciter à des relations tarifées... Tel est d'ailleurs le sens d'une réponse du ministère de l'Intérieur au député Godfrain, de juin 2007, aux termes de laquelle le ministère considère que : "[La prostitution étudiante] (...) doit recourir au démarchage par Internet, que la jurisprudence n'assimile pas au racolage défini et sanctionné pénalement."

Pour autant, une telle réponse ministérielle n'a pas valeur réglementaire et il demeure théoriquement possible, voire probable, qu'une juridiction condamne une proposition de prostitution sur Internet sur le fondement du délit de racolage.

Reste que la poursuite d'un tel délit se heurterait probablement à un problème d'application territoriale de la loi pénale. A considérer en effet que le site Internet incriminé ne se trouve pas en France - hypothèse assez probable, il semblera difficile de le poursuivre dans la mesure où l'acte délictueux, la proposition de relations sexuelles tarifées, sera certainement réputé avoir été commis dans le pays ou le site est établi.

Comment devient-on proxénète ?

La cyber-prostitution ne saurait pour autant être considérée comme légale en droit français. Une décision du 8 mars 2007 rendue par le Tribunal de Grande Instance de Bobigny vient de le démontrer, en condamnant du chef de proxénétisme un développeur de sites Internet pour prostituées. Il a été reproché à ce dernier  "d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui" en créant, moyennant rémunération, des sites Web de prostituées.

Dans la mesure où dans cette affaire l'auteur agissait en pleine connaissance de cause, la décision apparaît logique au regard de la loi pénale. On ne voit en effet pas pourquoi celui qui crée un site Internet ne serait pas proxénète, alors que la jurisprudence a reconnu des faits de proxénétisme dans le fait de prêter une camionnette à une prostituée, de publier des annonces racoleuses dans des journaux ou de mettre des lignes téléphoniques à disposition de prostituées. La relative tolérance qui semble prévaloir pour le délit de racolage sur Internet n'a pas cours s'agissant des proxénètes : une telle politique semble se comprendre en ce qu'elle tend à dissuader et  sanctionner des exploitants, plutôt que pénaliser celles et ceux que l'on considère comme des victimes.

Si le proxénétisme peut être commis en aidant ou assistant la prostitution d'autrui, il est aussi incriminé par le Code Pénal sous une autre forme qui concerne très directement les éditeurs de sites Internet : l'intermédiation.

Ainsi, l'article 225-6 sanctionne de sept ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende, le fait de "faire office d'intermédiaire entre deux personnes dont l'une se livre à la prostitution et l'autre exploite ou rémunère la prostitution d'autrui."

Plusieurs sociétés de  "minitel rose" ont d'ailleurs été condamnées pénalement sur ce fondement. Il leur était reproché de laisser publier des messages de nature prostitutionnelle évidente et de s'interposer ainsi entre prostituées et clients, en parfaite connaissance de cause. Les sites de rencontres font depuis longtemps face à cette problématique et la majorité échappent à la sanction pénale en mettant en garde leurs utilisateurs, en surveillant scrupuleusement leurs services et en supprimant tous messages ou annonces racoleuses. Cette modération doit permettre d'éliminer l'élément intentionnel du délit, à savoir la conscience de permettre la prostitution d'autrui. 

Et dans le Web 2.0 ?

Cette question connaît cependant un nouveau développement avec l'explosion du Web 2.0 : le concept même des sites communautaires, forums et autres réseaux sociaux est précisément de permettre une libre interaction entre les personnes.

Incontestablement, cette liberté est propice à l'offre de services de prostitution sur ces sites, les mettant ainsi en risque de proxénétisme si, à l'instar des sites de rencontres "classiques", ils ne surveillent pas leur service.

Or, nombre de sites communautaires (blogs, forums de discussion, DailyMotion...) ont été récemment considérés par la jurisprudence comme des hébergeurs, non soumis à l'obligation de surveillance générale de leurs contenus et non responsables des contenus qu'ils hébergent, jusqu'à tant que leur caractère "manifestement illicite" leur soit signalé (c'est le fameux régime de responsabilité "allégée" de l'hébergeur).

Dans ces conditions, une question  se pose fatalement : un réseau social ou un blog, qualifié d'hébergeur, abritant des annonces de prostituées est il soumis à un devoir général de contrôle, ce qui ne serait pas cohérent avec son statut légal, ou est il soumis au régime de responsabilité allégée, ce qui aurait pour conséquence de créer un système à deux vitesses avec les sites de rencontre "classiques" (qui sont eux pleinement responsables de leur contenus) ?

La réponse logique voudrait que, comme pour tous les sites communautaires, la qualification d'hébergeur soit retenue et que l'on compte sur les utilisateurs pour dénoncer d'éventuels "contenus manifestement illicites". Pour autant, une offre de prostitution est elle "manifestement illicite" et peut on compter sur les clients pour dénoncer les prostituées ? On peut en douter.

Face au développement de la cyber-prostitution, la réponse judiciaire semble donc relativement floue et peu adaptée au développement du Web communautaire. Il reste alors aux tribunaux, voire au législateur, de se prononcer sur ce point, au risque de voir rouvrir les maisons closes ... sur Internet.