Acquisition d'Instagram par Facebook : quelles incidences pour le e-commerce ?

Vous avez inévitablement entendu l'annonce par Facebook de l'acquisition d'Instagram, une application mobile de partage de photos, pour 1 milliard de dollars payables en cash et en actions Facebook. Quelles incidences en tirer pour le e-commerce ?

Tout d'abord un bref retour sur la chronologie officielle des acteurs et des événements.
Si l'on en croit le Wall Street Journal, a priori peu susceptible de publier des informations douteuses, Mark Zuckerberg, CEO de Facebook invite le 5 avril de sa propre initiative et sans avoir averti son conseil d'administration Kevin Systrom, CEO d'Instagram, à lui rendre visite dans sa maison à Palo Alto pour parler acquisition. 

Instagram c'est une application mobile disponible sur iOs, et depuis 1 semaine sur Android où elle est chargée 5 millions de fois en 6 jours. C'est une équipe de 13 personnes, une infrastructure légère qui gère 1 milliard de photos partagées sur les réseaux sociaux depuis sa création en mars 2010, 5 millions de photos par jour, 575 likes par seconde, 81 commentaires également par seconde et 30 millions d'utilisateurs.
C'est un financement initial de 500 000 dollars, une première levée en février 2011 de 7 millions et un second tour de table de 50 millions pour une valorisation à 500 millions de dollars en avril 2012.

Le 5 avril, Kevin Systrom en veut 2 milliards. Mark Zuckerberg lui en propose 1 et l'intégration de son équipe au sein de Facebook. Trois jours de discussions, et puis, parfois les choses ne se passent pas comme prévu, Kevin Systrom accepte de vendre pour "seulement" 1 milliard.
L'annonce qui fait bruisser partout sur Internet, trop cher, trop vite, trop tôt, est officialisée le 8 avril.
Pour *seulement* 1 milliard de dollars, Facebook met donc la main sur 5 millions de photo, 30 millions d'utilisateurs, dont une partie déjà inscrite sur facebook mais avec de nouvelles données, et surtout, sur une équipe avec une expérience mobile réussie et une parfaite connaissance de la curation des medias
.

Et maintenant, ma chronologie officieuse

Marc Zuckerberg avertit son board de son intention d'acquérir Instagram. Même lorsqu'on s'appelle Marc Zuckerberg, à 1 mois d’une introduction en Bourse à plus ou moins 100 milliards, on ne prend pas le risque dans son coin - d’ailleurs la SEC vient de décaler de quelques jours l’IPO pour mesurer les conséquences du deal sur l’appel à l’épargne publique.
Il fréquente les meilleurs, il est intelligent et ce n’est pas un cowboy risque tout. Il sait ce qu’il a à perdre. Bien entendu le board n’a pas pré-approuvé, mais à mon sens, il était parfaitement au courant.
La négociation a probablement commencé il y a plusieurs mois. Instagram voulait une valorisation entre 500 millions et 1 milliard, mais sans doute pas de 2 milliards.
Marc Zuckerbeg et son board n’avançaient pas.

Instagram a patienté et finit par créer un point d’inflexion pour les faire réagir. D'abord en portant l'application sur Android, ce qui génère 1 million d’utilisateurs en 12 heures. Dans le même temps des investisseurs ajoutent 50 millions de dollars à une valorisation de 500 millions. Un double message pour Facebook : « C’est comme vous voulez. Nous, on avance et on a du cash ».
Marc Zuckerberg et son board constatent alors que la donne a changé : pour le grand public - celui qui va acheter l’IPO à 100 milliards -, leur seul concurrent était Google+ avec ses 90 millions d’utilisateurs. Mais désormais, ils sont face à un service qui croît à un rythme diabolique au point de pouvoir devenir significatif et d'être consolidé par Google+… et surtout, capable de faire peser un doute sur l’hégémonie de Facebook pendant la période d’introduction en Bourse.
Donc, TINA comme disent les Anglosaxons. There Is No Alternative. Ils ne peuvent qu'acheter rapidement, plus cher que les 500 millions de la dernière valorisation, et entrer dans le storytelling : Marc Zuckerberg  est un héros qui a négocié à la baisse tout seul pendant tout un weekend. C’est "cool". On ne s'attache plus à la réalité, mais à la légende en train de se poursuivre, il est CEO, bitch !

Alors quels rapports avec le e-commerce ?

Les clients des sites e-commerce ont quasiment tous un compte Facebook, la prédominance du réseau social n'est plus à démontrer.
Une grande partie de ces utilisateurs aime prendre des photos et les partager.
Toute boutique en ligne qui se respecte illustre sa fiche produit d'une photo.
Vous voyez où je veux en venir ?
Il y a deux façons de faire vivre les photos qui illustrent une boutique - si on ne tient pas compte d'une 3ème, celle d'Oxatis, qui consiste à intégrer sa boutique directement dans Facebook, mais cette voie ne fait pas intervenir Instagram et je ne suis pas là pour faire de l'auto-promo !
Il y a donc deux façons de faire vivre les photos qui illustrent une boutique :

  • Soit l'e-commerçant publie lui-même ces photos et les partage - et les fait partager par ses visiteurs/clients/fans.

Cela suppose deux préalables :
1- la simplicité et la facilité de la manœuvre : rendre sa boutique facilement accessible via l'open Graph Facebook et un bouton partager. C'est une condition indispensable.
2- la qualité : produire des photos suffisamment intéressantes pour être partagées. Un angle intéressant, une touche d'humour, de belles couleurs, bref de belles photos.
Avec l'open graph Facebook, un e-commerçant sait qui a partagé quoi et récompenser ses plus fidèles partageurs, créer de l'émulation sur sa page Facebook etc.
C'est par exemple Madura, qui utilise Instagram pour propulser ses produits avec de jolies mise en scène ou de l'actualité tout en permettant le partage des photos de son site sur Facebook en 1 clic. (voir illustration)

  • Soit l'e-commerçant incite ses visiteurs/clients à prendre eux-même des photos, qu'ils partageront, et qu'il utilisera pour illustrer quelques produits de sa boutique.
    La photo en situation réelle prise par un client.

Cela suppose également deux préalables :
1- toujours conserver cette idée de simplicité et de facilité de la manœuvre
2- valoriser l'effort fait par une récompense pour les photos choisies (réduction, coupon, privilège etc).
Je n'ai pas encore trouvé d'exemple exact de cette utilisation, mais une qui s'en approche et qui concerne une petite boutique en ligne.
Les fiches produits du site Peace and Wool sont illustrées de très belles photo en situation réelle retravaillées avec Instagram. Malheureusement, ces photos ne sont pas directement partageables sur Facebook depuis le site, elles peuvent simplement être "likées".
Parallèlement, ce site a des clients/fans qui prennent de très jolies photos postées sur Instagram mais qui ne sont pas encore utilisées sur le site. Elles pourraient tout à fait l'être.
Ce site illustre parfaitement les tâtonnements et améliorations possibles de création de valeur via Facebook et Instagram.

Avec ce duo Facebook Instagram, nous venons donc en quelques minutes de réinventer une version améliorée du user generated content appliqué à la photo et aux réseaux sociaux !
A la différence près qu'à travers Instagram, qui en deux clics et un filtre donne à une photo banale l'apparence d'une photo artistique ; et avec Facebook qui, en 1 clic, permet d’accéder à des groupes différents d'amis par viralité, l'effet d'amplification du bouche-à-oreille est facilement décuplé.
Et ce n'est que exemple parmi d'autres des utilisations possibles et à venir pour les acteurs du e-commerce, grands ou petits : de la valeur créée, et pour les e-commerçants et pour Facebook et pour Instagram.

Le mois de mai 2012 verra donc l'introduction en Bourse de Facebook, une introduction qui devrait être la plus importante jamais connue pour une entreprise du secteur Internet.
Avec ses 845 millions d'utilisateurs, Facebook a généré un bénéfice de 668 millions de dollars en 2011, pour un chiffre d'affaires de 3,71 milliards de dollars.
1 milliard de dollars pour le rachat d'une application mobile, c'est effectivement à première vue une somme considérable, mais au regard du scenario qui se dessine, qu'est-ce qu'1 milliard de dollars pour sauver une introduction en bourse à 110 milliards de dollars et surtout pour museler Google+ ?

A cette échelle, cela pourrait rester une superbe opportunité, finalement assez peu onéreuse !