Pourquoi Apple Pay ne sera pas le Saint Graal du paiement mobile et des commerçants

L’ensemble du parcours client se digitalise, mais la séquence du paiement reste le parent pauvre de l’expérience. Pas assez fluide, pas assez riche en services…Le paiement nomade en magasin, dont le paiement mobile est l’un des avatars, devrait monter en puissance ces prochains mois.

Comme le montre l’exemple américain, les commerçants et distributeurs pourraient préférer un écosystème agnostique et ouvert, plutôt qu’un environnement de type Apple Pay, qui introduit un tiers supplémentaire.
Les absents n’ont pas toujours tort. La preuve lors du dernier Salon Cartes, début novembre à Paris: Apple n’avait pas de stand, mais le nom de la firme à la pomme revenait avec insistance dans les allées et les conférences. Il s’agit plus précisément d’Apple Pay, bien sûr. Dévoilé en septembre dernier, ce système de paiement mobile (les possesseurs d’iPhone enrôlent leurs cartes de paiement), sans contact (NFC) et doublement sécurisé (authentification par empreinte digitale et code unique stocké dans une puce dédiée) donne enfin de la consistance à la promesse de voir émerger le paiement mobile.
Evidemment, la concurrence ne va pas laisser le terrain libre. L’année 2015 devrait être riche en annonces et en tests. Si l’on se place du point de vue des acteurs concernés par les usages des paiements, c’est-à-dire les banques, les commerçants et distributeurs, sans oublier les clients finaux, on peut d’ores et déjà identifier les enjeux-clés. Et pronostiquer que le système « propriétaire » d’Apple, qui prélève des dîmes sur les transactions, sera loin de faire l’unanimité…

Les clients et les magasins passent en mode « cross canal »…

Partons du début de la chaîne, c’est-à-dire du client. C’est un fait, son expérience s’est aujourd’hui largement digitalisée. Il suffit de regarder la Fnac pour mesurer le chemin parcouru. L’enseigne, qui fête ses 60 ans cette année, est devenue l’emblème d’un commerce connecté, qui séduit à nouveau des clients rompus à cumuler les commodités du web et du mobile (préparation de l’achat, comparaison des prix…), et les avantages du magasin (conseil du vendeur, essai du produit…).
L’arsenal cross-canal de la Fnac annonce les mutations profondes que vont connaître tous les secteurs de la distribution : base de données clients commune aux magasins et au site marchand, application mobile riche en fonctionnalités et personnalisée (accès à des fiches produits détaillées en magasin, disponibilités des produits, suivi de commande…), montée en puissance du click and collect
Si les enseignes les plus exposées à la concurrence d’Amazon, comme la Fnac, mais aussi Boulanger ou Darty, ont déjà franchi le Rubicon de la digitalisation, aucun secteur n’y échappera.
Qu’il s’agisse des hypermarchés alimentaires, déjà concurrencés par leurs propres drives, ou des enseignes de bricolage et d’équipement de la maison, le site marchand, pour préparer les achats en amont, le click and collect comme alternative au chariot dans les allées bondées, l’appli mobile, véritable couteau suisse de services et arme de précision marketing, ou les vendeurs connectés, vont devenir la norme. Le petit commerce n’échappera pas non plus à ce nécessaire aggiornamento, depuis le restaurateur jusqu’au fleuriste.

… mais le paiement n’a pas encore fait sa mue complète

Dans cette nouvelle expérience client, le paiement doit faire sa mue. Certes, les caisses automatiques, qui se déploient désormais dans le commerce non-alimentaire ou de proximité, après avoir conquis les hypermarchés, apportent un progrès. Mais le paiement reste assimilé à une séquence pauvre en terme d’expérience et de valeur ajoutée, tandis que l’épouvantail de la file d’attente décourage jusqu’à un quart des clients d‘hypermarchés (1). Cette mue est d’autant plus urgente que payer ses produits reste, et restera, LE point de passage et de contact obligatoire entre l’enseigne et son client.

Avec le cross canal, le prisme change

Régler en magasin ou sur un site de e-commerce ne constitue plus la dernière étape du parcours. Cela annonce une suite. Le paiement mobile, sur un „device“ qui peut être celui d’un client (son propre smartphone), ou du vendeur et commerçant (une tablette par exemple) va dans le sens de l’histoire, car il assure le continuum  d‘une expérience client „connectée“ et riche en choix et en options. Surtout, il ouvre la voie à toute une série de fonctionnalités à forte valeur ajoutée, en cohérence avec les attentes des consommateurs connectés, et avec la réponse que peut apporter un vendeur armé de sa tablette : paiement en magasin mais choix d’une livraison à domicile, accès permanent à son compte fidélité, avantages personnalisés…

Le paiement mobile : pourquoi le modèle Apple rebute  (déjà) des enseignes

2015 devait donc voir enfin le paiement mobile s’inscrire dans les usages. Mais il n’est pas sûr qu‘Apple Pay en soit le principal bénéficiaire, comme le montre l’exemple américain. Certes, 220 000 commerçants l‘acceptent déjà. Mais les plus grands retailers boudent la firme à la pomme et poussent leur propre système de paiement mobile. Des géants de la distribution (Wal-Mart, Best Buy, Target…), des stations-services (Exxon ou Shell) ou des pharmacies (Rite Aid, CVS…) ont ainsi lancé CurrentC, une application de paiement sans contact qui est, elle, compatible avec les terminaux de paiement existants. Tout simplement parce qu’elle utilise un QR code plutôt que le NFC.
Logique. Car si Apple Pay est pratique pour le consommateur « la valeur proposée aux commerçants n'est pas suffisante», selon Avivah Litan, une analyste du cabinet Gartner. Certains, comme McDonald's, y trouvent un intérêt car cela accélère les transactions et «chaque fraction de seconde a un effet sur les bénéfices » (2).
Pour les autres commerçants, les avantages sont loins d’être évidents. Car, rappelons-le, l’usage d’Apple Pay n’est pas gratuit : grâce à des accords avec des banques américaines et les sociétés émettrices de cartes de crédit, chaque transaction rapporterait à Apple une commission de 0,2 % sur le montant de l'achat (3). Les commissions bancaires se situeraient, elles, entre 0,3 % et 0,8 % selon le mode de paiement. D’où la volonté des Walmart et autres de s’affranchir d’Apple.
En France où, pour mémoire, les commissions interbancaires sont à 0,28 %, le même raisonnement devrait s’appliquer. A charge pour les distributeurs d’imaginer les éco-systèmes puis de les enrichir, comme le fait Auchan avec Flash’n‘Pay, et pour les banques de proposer une offre et des solutions pertinentes et adaptées aux petits commerçants. Les clients préfèrent toujours avoir le choix.