Luis Von Ahn (Duolingo) "Duolingo monétise son audience en faisant du crowdsourcing de traductions"

Véritable carton sur l'AppStore, l'application gratuite d'apprentissage de langues étrangères se finance grâce aux traductions d'articles réalisées par sa communauté qu'elle propose aux groupes médias.

JDN. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l'offre de Duolingo ?

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Luis Von Ahn, fondateur de Duolingo. © Duolingo

Luis Von Ahn, Duolingo. L'objectif de Duolingo  est d'offrir à sa communauté une méthode d'apprentissage de langues étrangères gratuite. Nous avons lancé la version Web de notre produit, il y a un an, et avons sorti l'application iOS fin 2012. La version Android n'est apparue qu'il y a trois semaines mais connait déjà un succès fulgurant, et dépasse déjà le million de téléchargements. 75% de notre trafic provient du mobile et pour moitié d'iOS.

Selon une étude que nous avons commandée à un organisme pour tester l'efficacité de notre méthode, 34 heures passées sur l'application correspondent à un semestre d'étude.

Comment faites-vous pour inciter l'utilisateur à rester sur l'application et persévérer dans ses efforts ?

Tout l'enjeu est de réussir à garder l'utilisateur motivé tout au long des exercices qu'il va effectuer. Les mécaniques de la gamification sont la clé de voûte de de cet objectif. L'utilisateur débute chaque journée avec trois "cœurs" et en perd un à chaque fois qu'il échoue à une leçon. A l'inverse, toute réussite débloque automatiquement une nouvelle leçon. 

De même, nous envoyons un push quotidien à nos utilisateurs pour les inciter à revenir sur l'application en leur expliquant que la réussite de l'apprentissage passe par l'assiduité. D'ailleurs, nous affichons systématiquement le nombre de jours consécutifs durant lesquels l'application a été utilisée et envisageons de donner des récompenses à ceux qui atteignent certains paliers. Et ça marche, nos utilisateurs passent en moyenne 30 minutes par jour sur l'application. Un niveau d'engagement que peu d'applications peuvent se targuer d'atteindre.

Quel est votre business model ?

Nous nous démarquons vraiment de la concurrence car nous sommes complètement gratuits, sans publicité et sans achat in-app. Ce positionnement me semble être le bon dans la mesure où la publicité sur mobile se vend une misère... Nous tenons par ailleurs à rester gratuits, d'autant que nous nous adressons à une audience qui n'a pas forcément les moyens de se payer des leçons.

Notre business model repose sur ce que nous avons baptisé le crowdsourcing de la traduction. Nous proposons aux utilisateurs de mettre en pratique les concepts qu'ils viennent d'apprendre en les appliquant à des articles qu'ils sont chargés de traduire pour le compte d'éditeurs partenaires qui, eux, nous payent. Ça marche d'autant plus que 50% de nos utilisateurs acceptent d'effectuer ces exercices. Notre parc de traducteurs va donc en s'aguerrissant. 

Quel genre de sociétés recourt à vos services ?

A ce jour, il s'agit principalement de groupes médias d'information générales qui se trouvent être intéressés par les tarifs que nous pratiquons, forcément plus abordables que les acteurs traditionnels, dans la mesure où notre communauté fait ça gratuitement. Débutants, intermédiaires et avancés, il y en a pour tous les niveaux et l'expertise de notre communauté s'agrandit au fur et à mesure.

Peut-être irons-nous vers de la traduction plus business, dans le juridique ou la finance... Mais j'avoue qu'il est encore trop tôt pour dire si l'expertise de notre communauté sera suffisante pour satisfaire aux exigences techniques de ces professions.

Vous vous êtes lancés aux Etats-Unis. Comment se structure votre audience ?

4,5 millions de personnes utilisent notre service sans que nous ayons eu à dépenser 1 euro en budget media. 30% d'entre eux sont localisées aux Etats-Unis, notre marché d'origine. Il y a peu, ce ratio était de 70%.

Nous concentrons aujourd'hui notre développement dans des régions telles que l'Amérique Latine, l'Europe et l'Asie, cette dernière étant potentiellement un très gros marché. Le Brésil est également un pays en très fort développement. Il représente aujourd'hui 15% de notre audience.

Quels sont vos projets ?

Nous lançons notre application iPad le 11 juillet avec des fonctionnalités pensées pour cet écran plus grand qui s'invite progressivement dans les foyers. Nous recevons également des centaines de mails par jour nous demandant d'ajouter de nouvelles langues. C'est malheureusement un processus relativement long. C'est pourquoi nous travaillons au développement d'un outil qui permettrait à la communauté de contribuer elle-même au lancement d'un nouveau programme de langue.

Duolingo a été créé à Pittsburgh (Pennsylvanie) en novembre 2011 par Luis Von Ahn, déjà créateur de reCaptcha. La start-up a levé 18,3 millions de dollars depuis sa création via deux tours de tables, auprès notamment d'Union Square Venture et News Enterprise Assoicates. Le produit a été lancé il y a deux mois de cela en France et s'est très vite imposé comme l'application gratuite pour iPhone n°1 dans l'Hexagone.