Philippe Lourenço (Mister Bell) "Les petits éditeurs mobiles sont oubliés par les régies publicitaires"

Un an après sa création, la plate-forme publicitaire mobile évolue de plus en plus vers l'affiliation. Son fondateur explique sa stratégie et sa vision du marché de la pub mobile.

JDN. En quoi consiste l'activité de Mister Bell ?

Philippe Lourenço. Mister Bell a été créé en mai 2010. A l'origine, nous étions un éditeur d'applications gratuites, monétisées par de la publicité. Nous avons constaté la réalité du marché : aujourd'hui, un éditeur d'applications gagne très peu d'argent lorsqu'il confie son espace publicitaire à une régie. En tant qu'éditeur, nous étions trop petits pour intéresser les grandes régies qui ne regardent que les grandes marques. Avec plus de 450 000 applications sur l'App Store, il y a une foule de petits éditeurs qui est oubliée par les régies publicitaires. La seule manière de monétiser une application est ensuite de faire appel à un ad network, avec les inconvénients que cela implique, comme le manque de ciblage des publicités ou un e-CPM ridicule. C'est entre autre pour cela que nous avons décidé de lancer notre réseau publicitaire sur mobile. 

Ce réseau ressemble de plus en plus à une plate-forme d'affiliation mobile...

Oui. Le mobile va suivre les logiques de performance qui existent aujourd'hui sur Internet car les annonceurs vont chercher à avoir du retour sur investissement derrière. Jusqu'à présent, seuls des affiliés display existent sur mobile, mais une nouvelle race d'affiliés est en train d'arriver. Il est par exemple tout à fait possible de générer des leads sur mobile, à condition bien sûr que l'annonceur accepte d'optimiser sa landing page, ce qui est encore trop rare. La vraie clé est que les annonceurs doivent répliquer leurs réceptacles d'acquisition Web sur le mobile.

Comment travaillez-vous avec les annonceurs ?

Beaucoup ne connaissent même pas leur coût d'acquisition sur mobile. La première chose que nous faisons avant de prendre un annonceur à la performance est de déterminer son coût d'acquisition. Nous fonctionnons donc en deux temps : dans un premier temps, l'annonceur consacre un budget d'achat au clic qu'il dépensera chez nous. Notre outil de tracking nous permet de connaître en post-clic le coût d'acquisition de l'annonceur. Dans un second temps, nous pouvons construire un programme d'affiliation adapté permettant soit de générer du téléchargement, soit du trafic qualifié, soit du CPL ou du CPA.

En plus de la bannière, de quoi se compose un kit d'affilié sur mobile ?

Nous proposons les différents formats display, mais également d'autres éléments. Certains affiliés vont utiliser notre solution de messages push ou l'un de nos services en marque blanche. Nous proposons par exemple une sélection des meilleures applications sous cette forme. D'autres affiliés prendront seulement des liens. La clé est de ne pas faire que de la bannière. Tout le monde mène une croisade pour le display. Mais pour l'instant, il s'agit d'un format assez limité par rapport à la variété de formats du Web fixe.

Que représente aujourd'hui votre réseau ?

Plutôt qu'un nombre d'éditeurs, nous communiquons sur un nombre de pages vues, car 20% de nos éditeurs font 80% de notre trafic. Nous avons une capacité en France de 550 millions de pages vues par mois en France en exclusivité. Nous gérons aussi des invendus de grandes marques. Nous travaillons tous les mois avec une trentaine d'annonceurs, parmi lesquels La Poste, Orange ou Renault. 

Les investissements nets sur mobile n'ont progressé "que" de 37% selon le SRI alors qu'un doublement était attendu. N'est-ce pas une déception ?

Ce chiffre est à relativiser car il ne tient pas compte des investissements en blind comme Admob, InMobi ou Mojiva qui sont assez conséquents, mais que l'on a du mal à quantifier. Il faut également tenir compte des investissements sur les services de génération de téléchargement, que nous estimons à 3 millions d'euros en France. Cela étant dit, une croissance de 37% est déjà conséquente, ce qui montre que les annonceurs investissent réellement sur le mobile.

Pourtant le trafic mobile explose, les inventaires aussi. Pourquoi les investissements ne suivent-ils pas ?

Il manque pour l'instant un phare pour guider les annonceurs qui existe sur les autres supports : la mesure d'audience. Médiamétrie y travaille mais la mesure de l'audience de l'Internet mobile n'est pas encore parfaite. Je pense qu'elle empêche pour le moment l'explosion des investissements sur le mobile. L'autre problème est qu'on a pendant longtemps poussé les annonceurs à ne faire que des applications, ce qui est une hérésie.

C'est-à-dire ?

Les annonceurs ont bien vu l'explosion de l'Internet mobile depuis 2009. Tout le monde devait avoir son application. Mais ils n'ont pas encore assimilé la nécessité de soutenir une application avec un plan de promotion conséquent derrière. Le réflexe de l'annonceur a été d'être sur iPhone en investissant beaucoup trop d'argent dans la création d'une application sans pour autant réfléchir en amont à un plan de promotion. De nombreuses applications sont ainsi passées inaperçues dans les stores alors que les marques auraient davantage eu intérêt à créer un site mobile et le rendre visible, pour un prix bien inférieur, ce qui leur aurait permis d'investir davantage sur l'acquisition de trafic. En 2009, beaucoup d'agences ont recommandé à tort à leur client de créer une application mobile et se sont amusées à les vendre plus de 50 ou 60 000 euros, avec un plan de promotion à 10 000 euros. Aujourd'hui, les prix baissent grâce une compétition plus forte entre acteurs du secteur et une application qui valait 60 000 euros peut aujourd'hui coûter entre 5 et 10 000 euros. Cela va permettre de se refocaliser sur la promotion de ces dispositifs.

La croissance du marché de la publicité mobile réside dans la promotion de sites et applications mobiles ?

En grande partie, oui. Au Royaume-Uni, qui est l'un des marchés les plus mûrs concernant la publicité mobile, le budget moyen de promotion d'un support mobile se situe entre 120 000 et 130 000 euros. En France, hormis quelques gros annonceurs, la moyenne se situe davantage entre 40 000 et 50 000 euros. C'est une tendance qui change : il y a deux ans, les annonceurs français allouaient davantage des budgets compris entre 10 000 et 20 000 euros. 

Quels sont vos projets ?

Nous avons de grosses ambitions internationales. Nous prévoyons d'ouvrir un bureau au Brésil. Nous y disposons déjà d'une forte audience que nous monétisons pour l'instant avec des programmes internationaux. Mais l'idéal est de la monétiser avec des programmes locaux. Nous voulons également nous installer en Californie et au Royaume-Uni. Nous prévoyons pour cela une importante augmentation de capital qui devrait se boucler au printemps. 

Philippe Lourenço est président directeur général de Mister Bell. Diplômé d'une maîtrise d'Economie et titulaire d'un Master de l'ESG Paris et d'un MBA de l'ESCP, Philippe Lourenço débute sa carrière en 2004 chez Callis/Ubiqus en tant que responsable grands comptes. Il intègre LSF Interactive en 2005 en tant que directeur commercial Europe.