INTERVIEW
 
04/01/2008

Joi Ito (Six Apart) : "Les jeux en ligne sont les premiers réseaux sociaux du Web"

Où vont les jeux vidéo en ligne ? Que peuvent-ils apporter au Web ? Investisseur, blogueur vedette, et accro à World of Warcraft, Joi Ito donne quelques éléments de réponse.
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Joi Ito
 
 
  • Président, Six Appart Japan
  • Président du conseil d'administration, Creative Commons
 

Vous êtes un adepte réputé de jeux multijoueurs. Que vous apportent-ils ?

J'ai commencé à jouer à World of Warcraft en 2005 et je suis devenu le gardien d'une guilde [une équipe, ndrl] d'environ 400 personnes dans le monde entier. La plupart des membres sont devenus mes amis. Parmi eux, il y a des médecins, des PDG, des barmans, des mères, des soldats, des étudiants. Nous nous réunissons dans le jeu mais aussi en dehors du jeu, sur des forums en ligne, des blogs, des Wiki, et même dans la vie réelle.

 

Ces jeux sont devenus un moyen de socialisation ?

Exactement. Malheureusement ils sont toujours fortement stigmatisés. Il y a un fossé générationnel entre les gens qui veulent être en ligne notamment pour y faire leurs achats et ceux qui préfèrent encore se déplacer pour faire leurs courses. De la même manière il existe un autre fossé qui oppose les utilisateurs d'univers virtuels et les autres.

 

C'est-à-dire ?

Avez-vous déjà remarqué que pour désigner quelqu'un qui joue souvent aux jeux vidéo, on dit de lui qu'il est "accro" ? On ne dit pas que les gens sont accros à l'église parce qu'ils y vont tous les dimanches ou au sport parce qu'ils courent tous les matins. L'utilisation du terme "accro" montre bien que le jeu vidéo est vu de manière négative. Il ne s'agit pas de contester le fait que certaines personnes puissent être littéralement accros aux jeux, mais de souligner qu'ils peuvent l'être à cette forme de divertissement comme ils pourraient l'être à la littérature. Or je pense que cette conception des jeux en réseau n'est pas la bonne.

 

Pourquoi ?

Quand un enfant joue à un jeu, ses parents ont tendance à le regardent collé devant son écran en se disant qu'il serait mieux dehors à se faire des amis. Mais la vérité est que lorsqu'il est dans ce jeu, cet enfant parle à d'autres personnes, s'y fait des amis. Il peut les rencontrer dans la vie réelle, et il pourra même peut-être trouver du travail parce qu'il a joué avec la bonne personne au bon moment. En quelque sorte, les jeux multijoueurs ont été les premiers réseaux sociaux du Web. C'est une donnée à prendre en compte pour le développement de produits Web innovants.

 

"Il faut observer les jeunes générations pour trouver les créneaux porteurs"

Lesquels par exemple ?

Les jeunes japonais sont pour la plupart adeptes de jeux vidéo multijoueurs. Ils sont tous habitués aux chats audio, où chacun parle à son tour en appuyant sur un bouton. A force d'utiliser ce type de chat plusieurs heures chaque jour, ce moyen de communication est devenu une seconde nature. Lorsqu'ils seront adultes, ils voudront utiliser ces moyens de communications dans leur vie privée, au travail, etc. Il faut savoir observer les habitudes des jeunes générations pour deviner quels seront les prochains créneaux porteurs.

 

A quoi est dû ce fossé dont vous parlez entre les adeptes du jeu en ligne et les autres ?

La plupart des gens ont encore tendance à opposer le cyberespace à la vie réelle. Lorsque vous vous connectez, vous êtes dans le cyberespace. Et d'un coup, comme si vous vous réveilliez, vous revenez dans le monde réel en vous déconnectant. C'est une dichotomie amusante car les jeunes d'aujourd'hui, surtout aux Etats-Unis ou au Japon, peuvent emporter Internet partout dans leur poche rien qu'avec leur téléphone. Internet n'est plus aujourd'hui un système auquel on se connecte ou on se déconnecte, il fait partie du monde réel. De la même manière, on a trop tendance à opposer des amis réels et des amis virtuels, rencontrés dans les jeux en ligne. Pourtant, ce type de jeux est un phénomène social. World of Warcraft par exemple compte plus de 9,3 millions de membres, tous payants. Il est tout à fait possible de rencontrer vos partenaires de jeu dans la vie réelle.

 

Quels plus apportent ces jeux par rapport aux réseaux sociaux traditionnels ?

Ils développent l'intériorisation par les joueurs de règles communes sans lesquelles aucune action collective ne serait possible. Si l'un de mes partenaires de jeu manque à l'appel, l'opération tombe à l'eau. Si derrière l'écran, l'un d'entre eux veut aller aux toilettes, tout le monde doit attendre. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, jouer à un jeu multijoueurs nécessite plus qu'un simple nombre déterminé de personnes. Il s'agissait d'un orchestre dans lequel chaque joueur avait une place et un rôle bien précis. Motiver quarante personnes à travailler ensemble sur un long terme, cela revient à conduire un projet, comme le lancement d'une société.

 

Ces jeux sont donc des précurseurs du Web 2.0. Les entreprises essayent-elles d'en tirer parti, comme elles le font avec les blogs, par exemple ?

 
En savoir plus
 
 
 

Certains ont essayé, mais sans grand succès. Prenez la multitude d'opérations de communication lancées sur Second Life, la plupart n'ont pas apporté de résultats à la hauteur des espérances des entreprises. Néanmoins, Second Life n'est pas réellement un jeu au sens propre du terme, mais une communauté. Je pense que les décideurs marketing ne comprennent pas encore grand-chose aux jeux vidéo multijoueurs et au potentiel qu'ils représentent s'ils parviennent à les utiliser. Il faudra attendre encore que les premières générations de joueurs en réseau arrivent aux commandes pour voir évoluer les choses.

 

 

 
PARCOURS
 
  Agé de 41 ans, Joichi Ito est actuellement le président du conseil d'administration de Creative Commons et président de la filiale japonaise de Six Appart. D'octobre 2004 à novembre 2007, il a été membre du conseil d'administration de l'Icann. Il est depuis 2005 membre de celui de la Mozilla Fundation. En 1999, Joi Ito a fondé le fonds d'investissement japonais Neoteny après avoir contribué à la création de plusieurs start-ups, parmi lesquelles PSINet Japan (1995-1996), Digital Garage (1995-1999) and Infoseek Japan (1996-2003). Joi Ito a également été éditorialiste pour le New York Times, Wired et Business Week. Blogueur influent, il est réputé pour sa passion pour les univers virtuels.  

 

 


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