Dan Serfaty (Viadeo) "Ce serait un crève-coeur, mais s'il le faut nous fermerons la Chine"

Nouveaux projets, sortie de Chine, recentrage sur le marché français... Plus d'un an après une IPO difficile, le PDG de Viadeo dévoile son nouveau plan stratégique et comment il compte retrouver les faveurs du marché.

Viadeo s'est introduit en bourse sur un pari, et notamment la réussite de son implantation en Chine et secondairement en Russie et en Afrique. Où en êtes-vous ?

Dan Serfaty est cofondateur et PDG de Viadeo

Viadeo s'est d'abord construit en France. Nos revenus se font à 95% en France. La Chine n'est venue qu'en 2008, et de manière plus intense en 2010, mais avec une très faible monétisation. L'enjeu majeur de Viadeo c'est d'abord la France, avant toute chose. Ensuite, nous nous sommes dit que nous avions une pépite potentielle : la Chine. Mais lorsqu'on a fait l'IPO mi-2014, les investisseurs n'ont pas acheté la Chine. Pour eux, la monétisation était trop aléatoire.

Dans les notes d'analystes, la Chine est présentée comme un danger pour le groupe car elle consomme 7 à 8 millions d'euros de cash par an. On espérait lever 40 millions lors de l'IPO pour financer son développement, et finalement on a levé 23... Du coup, nous n'avions pas les moyens de développer la Chine. Nous avons donc annoncé en avril 2015 que nous étions obligés de trouver une solution d'ici la fin de l'année pour que la Chine ne pèse plus sur notre trésorerie. Pour se battre sur ce marché, il faut y mettre les moyens. C'est un pays qui coûte cher.

 

Quel type de solution cherchez-vous ?

Nous espérons trouver un partenaire majoritaire qui investira à nos côtés au niveau de la filiale chinoise pour que la Chine ne nous coûte plus rien en 2016. J'espère garder un pied là-bas et rester minoritaire. Mais cette recherche s'est compliquée avec la krach boursier de cet été. Les investisseurs ont tout gelé à ce moment-là.

 

Il ne reste plus beaucoup de temps…

Il faut conclure. On suit encore une piste. J'espère que ça va pouvoir se faire proprement. S'il le faut nous fermerons la Chine. Ce serait un crève coeur, mais on n'en est pas là…

Evolution du cours de bourse de Viadeo depuis son IPO (juillet 2014)

L'ambition internationale de Viadeo est donc du passé ?

L'IPO nous a fait prendre conscience que le marché attendait de Viadeo de réussir en France et de devenir le Xing français. Après être devenu leader en Allemagne, Xing a eu une volonté d'expansion internationale extrêmement forte pour finir par effectuer un recentrage sur les pays germanophones. Avec des résultats magiques : un Ebitda de 30%, une croissance à 2 chiffres, une valorisation d'un milliard d'euros… Notre différence est que nous comptons rester présent à l'international par le biais de participations minoritaires. Comme nous avons fait en Russie. Nous cherchons d'ailleurs aussi un partenaire en Afrique.  

 

Le business model de Viadeo évolue du BtoC vers le BtoB. Mais qu'est-ce qui fait que vos revenus BtoC baissent si rapidement (-17% sur les 9 premiers mois 2015) et qu'ils ne sont pas compensés par le BtoB ?

Dans 2 ans, l'abonnement en ligne tel qu'on le connait aujourd'hui aura disparu

C'est un choix délibéré et assumé, pris en board. Mais ce n'est pas facile à expliquer à des gens qui ne comprennent pas notre business. Et c'est pour ça que notre cours de bourse est si mauvais.

Retournons en arrière : de 2005 à 2012, tout va bien pour Viadeo avec une croissance tirée par les abonnements. Et en 2012, on se heurte à un problème technique de plateforme énorme. On a commencé à en prendre plein la figure de la part de nos utilisateurs. Nous avons alors réalisé une levée de fonds de 24 millions d'euros, pour notamment recréer une plateforme from scratch. Il nous a fallu 2 ans pour ça. Et pendant ces 2 années, nous avons arrêté d'innover. Le problème est que nous n'avons pas vu que le monde professionnel avait évolué pendant ce laps de temps.

 

Quand vous en êtes-vous rendu compte ?

Juste après l'IPO. Nous avons fait une étude avec Harris Interactive pour comprendre les évolutions du réseau social professionnel depuis 2004. Et nous nous sommes rendu compte que ce monde avait profondément changé. Les gens ne croient plus que l'entreprise va permettre de les former, d'où l'explosion des masters ou de mba… Ils n'ont plus confiance en l'entreprise. La différence entre un contrat de travail et un freelance s'estompe de plus en plus. Quelle différence y-a-t-il entre un CDD de 6 mois et un freelance de 6 mois ? Et demain, quelle différence entre un CDI et un freelance ?

Nous avons continué toutes ces années avec une proposition de valeur de l'abonnement qui depuis 2004 n'avait pas changé. Vous payiez pour savoir qui avait consulté votre profil et pour rentrer en contact avec des gens que vous ne connaissez pas. Mais payer pour une mise en relation, alors que chacun a de nombreux profils sur Facebook, Twitter, Viadeo, LinkedIn… ça n'a plus de sens. Fin 2014, nous changeons de positionnement, et nous partons dans l'idée que Viadeo a la vocation d'équiper les professionnels des outils qui leur permettront d'affronter cette nouvelle donne.

A partir de 2014, nous avons de nouveau innové. Nous avons lancé l'application "Let's Meet", un Tinder pro, la notation d'entreprises avec plus de 3 millions de notes, une plateforme dédiées aux freelances… On crée de la vraie valeur pour nos membres. En en contrepartie on accepte d'avoir une baisse de chiffre d'affaires sur les abonnements, c'est le sens de l'histoire. Dans 2 ans, l'abonnement en ligne tel qu'on le connait aujourd'hui aura disparu. Il sera par contre plus que compensé par ces offres verticales.

 

A quoi ressemble le nouveau Viadeo ?

Nous avons recommencé à innover

Jusqu'à il y a 1 ou 2 ans, le réseau social pro c'était quoi ? Un simple annuaire pour recruteurs… LinkedIn a pris une direction très forte, ils ont acheté Pulse, monté les influenceurs, créé LinkedIn Today… C'est très bien. Mais nous, notre choix est d'équiper nos membres. Avec notre offre pour freelances lancée en août, par exemple. Les freelances représentaient 15% de nos abonnés premium. Ils achetaient notre abonnement pour savoir quelles entreprises regardaient leur profil. Maintenant, nous leur donnons la possibilité de trouver des missions. La valeur ajoutée est réelle.

On parle aussi beaucoup de Social Selling, ou comment se servir des réseaux sociaux pour vendre. Autre population forte au sein de nos utilisateurs premiums : les commerciaux. Il y a des offres très spécifiques qu'on pourrait travailler et offrir à des commerciaux qui prendraient des abonnements pour trouver des clients. Nous avons aussi lancé discrètement il y a quelques semaines JobAdvance, à destination des chercheurs d'emploi, qui représentent plus de 30% de nos abonnés premiums. Nous leur proposons des services basés sur les datas qui sont à notre disposition, comme les entreprises qui recrutent dans leur région, les compétences les plus recherchées en fonction des offres… Bref, l'idée est de prendre les grandes catégories de membres sur Viadeo, les freelances, les commerciaux, les recruteurs… et de leur apporter de la valeur ajoutée forte.

 

Sur le premier semestre, vous aviez une trésorerie de 16 millions d'euros. 6 mois plus tôt elle était de 24,4 millions. A ce rythme-là, vous serez à court de trésorerie mi-2016...

Justement, pour ne pas l'être, la Chine ne sera plus un poids financier.

 

Si l'on comprend bien, sans la Chine pesant dans ses comptes, Viadeo devrait donc être profitable en 2016 ?

Je ne peux rien dire là-dessus pour le moment tant que je n'aurai pas informé les marchés de nos intentions.

 

Parlons du marché justement. Est-ce sous sa pression que vous avez rationalisé votre activité en France l'année dernière ? Vous aviez été rentable sur ce périmètre en 2014, mais aussi suite à une baisse importante de vos effectifs…

Les frais de personnels ont beaucoup diminué en 2014 parce que nous n'avions plus les mêmes besoins, notamment suite à notre nouvelle plateforme. Mais c'était indépendant du marché. Le fait que Viadeo doive être une entreprise rentable à court terme, et dégager du cash à moyen terme, ce n'est pas le marché qui nous le dicte. En 2012, Xing a décidé de devenir une entreprise BtoB. Quand on a commencé à voir dans ses chiffres l'impact du BtoB, le cours est passé de 50 à 200 euros. C'est ce virage BtoB que l'on a pris en 2014 et que l'on espère voir dans le cours de bourse dans les années à venir.

 

Une dernière question concernant votre salaire. On observe peu de salaires comparables au vôtre et à celui de Thierry Lunati (1,2 million d'euros soit près de 10% des pertes de la société), alors que vous détenez par ailleurs 30% de Viadeo...

Nous ne l'avons pas décidé tout seul. J'ai un comité de rémunération chez Viadeo depuis 2006. Dans ma rémunération, il y avait 150 000 euros pour mon appartement à Pékin, qui rentrait dans mes avantages en nature. Avant de partir à Pékin, j'avais un appartement à Paris, ce même appartement à Pékin coûtait 12 000 euros par mois. 600 000 euros de rémunération c'est vrai que c'est inhabituel. Mais si l'on ne dit pas que je suis expatrié, c'est injuste de présenter les choses comme ça.

Par ailleurs, il ne faut pas assimiler la facturation de KDS, mon entreprise, avec du salaire. Depuis, je suis revenu en France, et on a rediscuté de mon salaire. On a arrêté tous les principes de facturation pour éviter ces amalgames. Aujourd'hui, je suis 100% salarié et je gagne 300 000 euros par an et Thierry Lunati 260 000 euros. Que ces sommes soient élevées ou pas est un autre débat. Mais aujourd'hui je gagne autant qu'avant, sauf qu'il n'y a plus de facturation et que je suis revenu vivre à Paris. J'ai d'autant plus mal pris ce procès que je suis rentré en France pour payer mes impôts. Les gens partent de France avant de se coter en général…