Droit à l'oubli : Censurer Google est-il une atteinte à la liberté de la presse ?

Droit à l'oubli : Censurer Google est-il une atteinte à la liberté de la presse ? Google a commencé à déréférencer des articles de presse en réponse au questionnaire de droit à l'oubli... Au grands dam des médias visés.

Depuis quelques jours, plusieurs médias en ligne commencent à se plaindre du déréférencement, par Google, de certains de leurs articles. Une conséquence de la mise en place en mai par Google d'un formulaire de droit à l'oubli, à destination des européens, suite à un arrêt de la Cour de justice européenne. Si Google s'est finalement résigné à se plier aux exigences européennes en déréférençant certains contenus, le géant s'y emploie plutôt de mauvaise grâce...

La BBC, Mail Online ou encore le Guardian se sont ainsi vus notifier par Google le déréférencement de plusieurs de leurs articles, via des mails qui listent les URLs qui ne seront plus affichées sur les versions européennes de Google... Sans donner aucune raison précise pour la suppression. Une bonne manière d'attirer les foudres des médias, qui crient à la censure. Et donc de faire pression sur le législateur, accusé de mettre à mal la liberté de la presse.

Effet Streisand

Comble pour ceux qui désiraient se faire oublier, les articles ou autres liens déréférencés se retrouvent donc pointés du doigt. Un effet Streisand dont les internautes se seraient bien passés... A l'image de Max Mosley, ancien président de la Fédération internationale automobile, dont les liens vers une sextape ont été déréférencés du Google français... mais pas de Google.com, et qui se retrouve cité dans de nombreux articles sur le déréférencement.

Un journaliste de la BBC critique quant à lui la suppression du lien d'un de ses posts de blog datant de 2007 et rapportant le licenciement de l'ancien patron de la banque d'investissement Merrill Lynch, Stan O'Neal. Une grande partie du problème réside dans le fait que Google se retrouve seul juge de la suppression ou non des liens, sur sa propre appréciation. Selon l'arrêt européen, doivent être retirées les données "non pertinentes, obsolètes ou inappropriées". Un cadre bien flou... Google doit ainsi trancher entre droit à l'oubli et droit à l'information relevant de l'intérêt général. Le journaliste de la BBC assure ainsi qu'une information comme celle concernant un ancien patron de banque d'investissement, "vu comme quelqu'un qui a joué un rôle important dans la pire crise financière", devrait rester accessible au public. Mais pas pour Google.

"Atteinte à la liberté de la presse"

Déjà, le Guardian s'avance en assurant qu'il est aux médias eux-mêmes de décider s'ils veulent supprimer ou non un article sur des faits datant de plusieurs années, dans le cas où cela viole le droit à l'oubli d'une personne mais ne présente pas une information capitale pour l'intérêt général. "Le Guardian, comme les autres médias, écrit régulièrement sur des actes qui ne sont pas forcément illégaux, mais qui posent de sérieuses questions politiques, morales ou éthiques –comme l'évasion fiscale. Cela ne devrait pas pouvoir disparaître : agir ainsi est une atteinte énorme, même si indirecte, à la liberté de la presse."

NextInpact, dont un article a également été déréférencé, soulève une question parlementaire de la députée UMP Virginie Duby-Muller publiée le 24 juin, et qui dénonce également le rôle donné à Google par la Cour de justice européenne : "Les responsabilités que la Cour fait peser sur Google sont capitales. Il revient en effet au moteur de recherche d'examiner lui-même le bien-fondé de chaque demande, en recherchant l'équilibre entre droit à l'information du public et protection de la vie privée. Cette situation laisse transparaître un risque réel de substitution du juge par un acteur privé alors même que le respect de droits fondamentaux est en jeu."

Aucun recours ?

Il semble pour l'instant que les médias n'aient aucun recours pour demander la restauration d'un lien. Google ne communique par ailleurs pas l'identité de la personne qui a réclamé la suppression des données, même si elle a forcément dû s'authentifier au moment d'enregistrer la demande (Lire : "Formulaire de droit à l'oubli de Google : mode d'emploi", du 02/06/14). Le moteur de recherche ayant reçu plus de 70 000 demandes de déréférencement depuis la mise en place du formulaire, bien d'autres articles pourraient se voir déréférencer.  

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