Meditation Valley : les gourous envahissent la Silicon Valley

Meditation Valley : les gourous envahissent la Silicon Valley Cernée par le stress et les risques de burn out, l'industrie high-tech redécouvre la "méditation vigilante", pour en faire un outil au service de la culture de la performance.

La scène se passe le 12 décembre 2013 aux Docks de Paris à l'occasion de la conférence LeWeb. En ce début d'après-midi hivernal, les quelques centaines d'entrepreneurs du Net venus assistés au keynote de Rich Pierson et d'Andy Puddicome ne se doutent pas de l'expérience qu'ils vont vivre. Pendant près de 15 minutes, ils vont se retrouver plongés dans une vaste séance de méditation collective.

Pierson et Puddicome ne sont pas là par hasard. Ils ont développé une application, baptisée Headspace, qui surfe savamment sur la dernière mode dans la Silicon Valley : la "méditation vigilante". Cette pratique qui envahit les campus de la high-tech californienne tient déjà sa conférence de référence, la très prisée Wisdom 2.0, créée en 2010 par Soren Gordhammer, auteur du livre éponyme, "Wisdom 2.0". Une petite entreprise très rentable (comptez entre 199 et 275 dollars pour assister à l'une des sessions), un TED de la méditation, dont le concept vient d'être décliné à New York, et qui va gagner l'Europe cette année.

L'employé n°107 de Google

Mais que viennent donc chercher les quelques milliers de techies qui s'affairent à Wisdom 2.0 ? Un peu comme à Burning Man dans le désert du Nevada, ou au Summit Outside dans les montagnes de l'Utah, un savant mélange d'ailleurs et d'entre-soi, mais aussi un irrépressible besoin de se sentir vivant, d'apprendre à se connaitre, et d'entrer en relation avec les autres.

Les entreprises high-tech l'ont bien compris et tentent d'initier leurs collaborateurs à ces techniques ancestrales, pour apaiser les relations de travail, et combattre les grands maux de ce siècle hyper-connecté que sont le burn out, le stress, et la dépression.

Chez Google, un homme a pris les choses en main, c'est l'employé n°107 du géant de l'Internet, qui en compte aujourd'hui plus de 30 000. Chade-Meng Tan est un ingénieur d'origine singapourienne dont la très officielle carte de visite mentionne tout juste qu'il est un "good fellow" (un chic type). Sur le campus de Mountain View, Meng a longtemps prêché la méditation dans le désert, jusqu'à ce jour de 2007 où il a décidé de relier deux concepts entre eux : la pratique contemplative et l'intelligence émotionnelle (EI). Le credo de ce "fou sage" comme l'a surnommé le Financial Times : passer de l'AI à l'EI, de l'intelligence artificielle à l'intelligence émotionnelle, grâce à la méditation, porte ouverte sur le bonheur et l'accomplissement de soi. Résultat, plus d'un millier de Googlers ont déjà suivi les enseignements de Meng, et plusieurs centaines sont aujourd'hui sur liste d'attente.

Le management compassionnel, pour un meilleur ROI ?

En 2012, suite à la visite du moine zen Thich Nhat Hanh, Google a mis en place tous les deux mois des "mindful lunches" (des déjeuners silencieux) qui ne sont ponctués que par le son des cloches de prières. Meng a depuis su capitaliser sur sa renommée, à travers un livre, "Search Inside Yourself", qui a longtemps figuré dans la liste des best-sellers du New York Times, mais aussi en ouvrant son propre institut, Siyili, en plein cœur de San Francisco.

A la seule évocation de la "méditation vigilante" certains patrons de la high-tech se montrent intarissables. C'est le cas d'Evan Williams, cofondateur de Twitter et qui organise tous les jours dans sa nouvelle start-up, Medium, des séances de méditations collectives. Autre adepte, Jeff Weiner, PDG de LinkedIn, qui voit dans la pratique méditative un corollaire d'importance : l'émergence d'une sorte de "management compassionnel". Grand admirateur du Dalaï Lama, dont il a dévoré le livre L'art du bonheur, Weiner aime à se faire l'apôtre d'une nouvelle forme de management plus apaisé et à l'écoute de l'autre.

Une mode fort peu appréciée des bouddhistes

Mais que l'on ne s'y trompe pas, s'ils acceptent aujourd'hui de donner de leur (précieux) temps à la cause méditative, les techies (et les sociétés qui les emploient) n'en attendent pas moins un véritable "retour sur investissement". Immatériel certes, mais où l'amélioration de la productivité, la connaissance de soi, le retour au calme et l'écoute des autres sont appelés à faire bon ménage.

Cette forme de méditation édulcorée et passée au filtre du culte de la performance n'est que fort peu appréciée des bouddhistes traditionnels et des experts universitaires spécialistes du genre. Après le New Age, les nouveaux gourous affluent à San Francisco et dans ses environs quand, à l'instar d'un Kenneth Folk, ils n'exercent pas leurs talents directement sur Skype à 125 dollars la séance.

Certes, tous ces nouveaux maîtres à penser auraient pu trouver refuge à Détroit, cette métropole américaine en faillite. Finalement, ils ont préféré venir se lotir dans la baie de San Francisco, tout près d'une industrie high-tech où le salaire moyen avoisine les 130 000 dollars par an.