OPA sur le Club Med : de l'intox sur le Net !

OPA sur le Club Med : de l'intox sur le Net ! En pleine guerre boursière pour le contrôle du Club Med, des articles publiés sur des sites de médias sous de fausses identités ont cherché à influencer les marchés.

C'était en décembre 2014 : les professionnels du tourisme attendaient l'issue de la prise de contrôle du groupe Club Méditerrannée à l'occasion d'une OPA qui opposait le chinois Fosun (soutenu par la direction du Club) à l'italien Andrea Bonomi, qui avait rallié à son projet le fils du fondateur, Serge Trigano. Il y a quelques jours, l'Italien a déposé les armes et le Club va découvrir son nouveau propriétaire asiatique. Mais au-delà des surenchères sur le prix offert aux détenteurs d'actions, l'affrontement se portait sur le Net afin de dévaloriser l'image de marque des compétiteurs. C'est ainsi que des articles écrits sous de faux noms ont fleuri sur les sites d'information.

Un exemple passé au crible. Signée par un prétendu Marc Fortin, présenté comme analyste financier au sein de la société MFR Business, une chronique publiée sur le JDN le 16 décembre 2014 démonte point par point l'offre établie par l'Italien. En visant tant l'homme que son projet industriel. Pour donner de la crédibilité à leur soi-disant analyste financier et à son propos, les faussaires lui ont créé un compte Twitter et un CV sur le réseau professionnel Linkedin ainsi que sur Google+. De même ils lui ont inventé un diplôme de Grenoble Ecole de Management et un passage par la société canadienne Home Trust Company. La mystification est donc très élaborée. Et l'intention de tromper manifeste. Un détail ? Pas vraiment puisque d'autres fausses chroniques, que nous avons pu repérer sur d'autres sites d'information, pourraient démontrer le caractère intensif de la tentative de manipulation. Comme par exemple celui du quotidien économique Les Echos qui publie un prétendu Guillaume Barabé présenté comme consultant marketing ou cette analyse accessible sur le site de Mediapart  qui s'interroge sans nuances : " Raid d'Andrea Bonomi sur le Club Med, opération kamikaze ?" 

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Présentation du pseudo analyste Marc Fortin sur le JDN © JDN

Comme expliqué lors de notre précédente enquête du JDN consacrée à l'infiltration par les cabinets de lobbying des sites de médias par le biais d'identités usurpées, l'auteur de la chronique déposée sur le JDN utilisait cette fois-ci cette méthode illicite pour influencer le cours d'une opération boursière en portant atteinte à l'image d'une partie prenante à l'OPA. Le JDN a donc cherché à remonter la piste de ce faux-nez.

Première étape : nous avons relevé l'adresse IP utilisée lorsque le texte litigieux a été soumis à la rédaction du JDN. En effet, nous enregistrons et conservons, comme la loi nous y oblige, les adresses IP utilisées lors d'actions conduites sur notre site.

Arnaud Dassier et Matthieu Creux nient

Deuxième étape : nous avons cherché l'origine de cette adresse. L'adresse IP suspecte renvoie à un abonnement professionnel (Completel) utilisé, selon notre recoupement, par des collaborateurs des sociétés Allo-Media et iStrat. Deux entreprises détenues en partie (aujourd'hui ou dans le passé) par Matthieu Creux et Arnaud Dassier, ancien prestataire des campagnes Internet de Jacques Chirac, de l'UMP et de Nicolas Sarkozy. La société Allo-Media éditant des annuaires et ne semblant pas mêlée à cette affaire, nous nous sommes particulièrement arrêtés sur iStrat. Sa spécialité selon son site Internet ? Maîtriser la "coloration de l'information" accessible au public.

Interrogés par le JDN, Arnaud Dassier et Matthieu Creux nient que leur société soit à l'origine de telles pratiques, qui enfreignent les dispositions du Code pénal et du Règlement de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF). Arnaud Dassier indique "je démens catégoriquement mais je ne suis pas opérationnel"; Matthieu Creux, affirme pour sa part "n'avoir jamais travaillé pour le Club Méditerranée ni les parties prenantes de l'OPA". Sollicitée par le JDN, Caroline Bruel, la directrice de la communication du Club Med nous a répondu simplement : "Dans le cadre de nos activités, nous développons des actions digitales et travaillons avec un certain nombre de partenaires dont  il n'est pas d'usage de communiquer les noms". Difficile donc d'avoir des certitudes et d'accuser l'agence iStrat directement. Même si l'agence recrute des stagiaires pour effectuer des tâches de rédaction au long cours pour alimenter les plateformes communautaires des sites de média. Le critère de recrutement de ces plumes ? "S'attacher à trouver des angles malins et originaux pour leurs articles".

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Offre de stage émise par la société iStrat en 2014 pour recruter des rédacteurs capables de valoriser des contenus sur le Net. © JDN

Des pratiques lourdement sanctionnées

Le fait d'usurper la photo d'une personne, ici pour illustrer le profil inventé de toutes pièces, est puni selon l'article 226-4-1 du Code pénal d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Et l'article 441-1 du même Code sanctionne le faux et l'usage de faux de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Il faut ajouter à cela les mesures que pourraient prendre l'Autorité des Marchés Financiers après enquête. En effet, le contexte de l'Offre Publique d'Achat du Club Méditerranée en raison de l'importance de la transaction et du caractère médiatique de l'affaire pose la question de la sincérité de l'information du public et des investisseurs. Rappelons enfin que la diffusion de fausse information est formellement interdite par l'article 632-1 du Règlement général de l'AMF.

Droit de réponse de la société iStrat:
L'entreprise iStrat dément formellement les informations parues sur Le Journal du Net. Elle regrette que son auteur n'ait pas souhaité rencontrer les collaborateurs du cabinet qui lui ont pourtant proposé de venir dans leurs bureaux pour lui démontrer in situ la vraie nature des travaux réalisés. Fin décembre, il lui a même été offerte la possibilité de consulter la comptabilité de l'entreprise, proposition refusée par Monsieur Arpagian. En conséquence, l'entreprise fait savoir qu'elle a confié à son avocat le soin de faire cesser dans les plus brefs délais ces accusations ineptes et poursuivra en justice toute personne qui relayera ces propos mensongers.