INTERVIEW
 
24/01/2008

"L'avenir des opérateurs est à l'intégration fixe-mobile, d'où l'importance de la 4ème licence 3G"

Ancien membre de l'Arcep, aujourd'hui consultant dans le domaine des technologies de l'information, Michel Feneyrol décrypte les grandes tendances du marché des télécoms et les enjeux de la régulation en 2008.
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Michel Feneyrol
 
 
  • Président Fe.net.tel Conseil
 

Quelles sont les grandes tendances qui vont marquer le secteur des télécommunications en 2008 selon vous ?

La première grande tendance, amorcée en 2007 et qui va se poursuivre dans les prochaines années, est la croissance faible en valeur de la consommation de services de communications électroniques. Cette croissance est aujourd'hui parallèle à la croissance du PIB, soit environ 3 % par an.

 

En revanche, la croissance de la consommation de services de communications électroniques est très forte en volumes, notamment pour les secteurs de l'Internet haut débit et de la téléphonie mobile. Cette tendance va s'accentuer dans les prochaines années avec l'apparition d'offres d'accès Internet en fibre optique, qui permettront de bénéficier d'une vitesse de connexion de 100 Mbits/s pour un forfait de base relativement faible, et d'offres d'Internet illimité sur les réseaux mobiles.

 

La deuxième grande tendance est le poids de la télématique dans la structure de la consommation des communications électroniques des ménages. Il y a quelques années, l'essentiel des volumes consommés étaient des échanges de communication entre les personnes. Aujourd'hui, la croissance des volumes qui transitent sur les réseaux de communications électroniques est pour l'essentiel de la consommation de services et applications en lignes. Cela va avoir pour conséquence d'augmenter, , dans ce que paie le consommateur, le poids des contenus disponibles sur Internet dans l'ensemble de la chaîne de valeur.

 

Insinuez-vous que les contenus de l'Internet vont évoluer vers un modèle payant pour le consommateur ?

L'important est la valeur des contenus que le consommateur va chercher sur le Web. La problématique est le financement de ces contenus et services. Aujourd'hui, le modèle dominant est la gratuité financée par la publicité. Mais l'on peut déjà prévoir que la croissance de la publicité en ligne, malgré son dynamisme par rapport aux autres médias, ne pourra à terme financer la forte croissance de la consommation de services en ligne. La question est : comment faire pour assurer la qualité de ces contenus et services ? Je pense que le fond du débat est de mieux rémunérer les éditeurs de contenus et services sur Internet.

 

"Encore plus de concentration et d'intégration entre les acteurs télécoms en 2008"

Quelle est la conséquence pour les opérateurs de cette tendance à la croissance des volumes de consommation de télématique ?

Jusqu'à présent, l'essentiel des revenus des opérateurs de réseaux provenaient des services de voix. Aujourd'hui la tendance s'inverse, donc les opérateurs redimensionnent leurs investissements réseaux en fonction de ces nouveaux modes de consommation. Les opérateurs investissent donc désormais dans des réseaux nouvelle génération de transport à très haut débit de données et d'images. C'est le cas pour les réseaux fixes avec la fibre optique, et pour les réseaux mobiles avec les technologies 3G et 3G+.

 

Cette restructuration des investissements des opérateurs est-elle la cause des mouvements de concentration observés sur le marché des télécoms en France depuis deux ans ?

Effectivement, la tendance à la hausse des volumes consommés de services de communications électroniques, pour des revenus en faible croissance voire en décroissance, secoue fortement les enjeux du secteur. Les opérateurs sont ainsi contraints à serrer les vis de leur gestion financière, mais sont également contraints d'investir massivement et fortement dans des réseaux nouvelle génération. Cela va pousser encore plus à la concentration entre les acteurs du fixe et du mobile, comme on l'a vu récemment en France avec le rachat de Neuf Cegetel par SFR.

Le mouvement n'est d'ailleurs pas spécifiquement français mais d'ampleur internationale. Ainsi aux Etats-Unis, lors du démantèlement de AT&T il y quelques années, il y avait une dizaine d'acteurs sur le marché du fixe et du mobile. Aujourd'hui, il ne reste que deux opérateurs dominants et intégrés fixe et mobile : AT&T et Verizon. Même mouvement au Japon où le marché des télécoms compte trois opérateurs dominants présents à la fois sur le fixe et le mobile : l'opérateur historique NTT DoCoMo, KDDI et Sofbank.

 

"Les candidats les plus sérieux à la 4ème licence 3G sont ceux qui ont le plus besoin de s'intégrer"

Le modèle d'opérateur télécoms intégré et convergent est-il donc le seul pérenne selon vous ?

Oui, je pense que les opérateurs qui peuvent se permettre d'avoir de grandes ambitions sont les opérateurs intégrés fixe et mobile. C'est pourquoi il existe un enjeu fort en France autour de la quatrième licence 3G.

 

Cette licence va-t-elle finalement être attribuée, et à qui selon vous ?

Je ne peux pas dire si cette licence va être attribuée ou non car tout dépend des décisions du gouvernement en matière de paiement et de conditions tarifaires. Ce qui est certain, c'est que les acteurs les plus intéressés, donc les candidats les plus sérieux, seront ceux qui ont le plus besoin de s'intégrer. De toute façon, ceci ne simplifiera pas la vie de ceux qui restent sur un seul marché.

 

Comment analysez-vous dans ce cas le phénomène des MVNO ?

Je pense que les MVNO resteront un phénomène de niche face à des opérateurs généralistes qui offrent une combinaison de services fixes et mobiles.

 

"Une régulation préalable des réseaux de fibre optique constituerait un frein aux investissements"

Selon votre vision, le marché des télécoms est inéluctablement amené à être constitué de monopoles. Cela ne créera-t-il pas un problème pour la régulation du marché ?

Comme je le disais souvent quand j'étais à l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, Ndlr), la régulation, c'est injecter de l'anti-gravitation dans un champs fortement gravitationnel. Le but de la régulation, c'est d'éviter les monopoles sur un marché. Dans le cadre du marché des télécoms, la régulation porte sur des oligopoles restreints, ce qui est encore plus compliqué que de réguler des monopoles.

 

Quels sont les grands enjeux de la régulation du marché des télécoms en France cette année ?

Je vois trois grands enjeux. Le premier porte sur la régulation des tarifs de gros entre opérateurs, ou, plus simplement, la régulation des tarifs des terminaisons d'appels entre les réseaux fixes, les réseaux mobiles et entre les réseaux fixes et mobiles.

 

Le deuxième enjeu pour les trois prochaines années, est l'apport de fréquences basses pour les réseaux mobiles. On ne peut pas envisager le développement de services multimédia mobiles avec une bonne couverture nationale si on ne libère pas des fréquences basses additionnelles pour les réseaux mobiles. C'est un enjeu français et européen : aux Etats-Unis et au Japon, la gestion des fréquences basses du dividende numérique, et notamment leur attribution aux acteurs télécoms, sont déjà actées. Si cela n'est pas fait en France et a fortiori en Europe, nous serons en retard sur le marché mondial.

 

 
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Enfin, le troisième enjeu porte sur la régulation des nouveaux réseaux d'accès Internet en fibre optique. La voie empruntée par l'Arcep, à savoir la mutualisation des infrastructures dans les immeubles, va dans le bon sens. En revanche, il est mauvais à mon avis de vouloir réguler des réseaux et un marché qui n'existent pas encore. Les réseaux de fibre optique sont de nouveaux réseaux à construire. Dans ce sens, toute régulation préalable, ex ante, constituerait un frein aux investissements des opérateurs. Il faut laisser démarrer le marché avant de penser réguler.

 


Parcours

Michel Feneyrol est né en 1940. Membre du collège de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) de janvier 2001 à janvier 2007, il est désormais président de Fe.Net.Tel, une société de conseil sur l'innovation, la stratégie et la régulation dans le domaine des technologies de l'information, qu'il a créée en mai 2007.

 

Ancien élève de l'école polytechnique, Michel Feneyrol a été nommé ingénieur général des télécommunications en novembre 1985. Il a démarré sa carrière au sein de la Direction générale des télécommunications du ministère des PTT où il a successivement exercé des fonctions dans le domaine de la R&D (au CNET de 1964 à 1968), dans le domaine des études économiques et de la gestion financière (Service des programmes et des études économiques entre 1968 et 1974), puis des fonctions opérationnelles dans l'équipement de la banlieue parisienne (direction régionale de Paris extra-muros 1975-1979) ; en juin 1979, il a été nommé Directeur régional des télécommunications, en charge de la direction de Paris Nord Ouest.

 

Entre 1984 et 1986, il fut conseiller technique du ministre des PTT. Conseiller du Directeur général des télécommunications de 1986 et 1990, il a participé à la réforme des PTT et à la transformation du statut de France Télécom. De 1990 à 1998, il a été Directeur du CNET, l'organisme interministériel de recherche dans le domaine des télécommunications.

 

Michel Feneyrol est par ailleurs ancien Président de la Société des Electriciens et Electroniciens et ancien Président de l'Association des Ingénieurs des Télécommunications.



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