John-Lee Saez (Kayak) "Les comparateurs de voyages français sont obsolètes"

Kayak se distingue des autres comparateurs en sachant interroger directement les GDS sans passer par les voyagistes, explique son DG France, qui détaille sa stratégie.

JDN. Que vous inspire la stratégie de Google sur le voyage ?

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John-Lee Saez, DG France et Autriche de Kayak © S. de P. Kayak

John-Lee Saez. Lorsque Google a lancé son moteur de voyages aux Etats-Unis, sa part d'audience est passée de 1 à 1,2% et celle de Kayak de 55 à 70%. Nous nous attendons au même non-événement en Europe. Les gens ne veulent pas aller chercher leurs vols sur Google. Et en dehors du fait que Google Flight Search n'est pas vraiment terminé, tout est géré depuis les Etats-Unis : Google Europe n'est pas impliqué. Dans ces conditions, aller chercher des partenaires locaux va être compliqué.

Au final, d'autres acteurs semblent plus dangereux que Google dans le voyage, comme TripAdvisor qui lance un comparateur, ou Skyscanner au Royaume-Uni qui utilise une technologie similaire à celle de Kayak.

Quelle est la part de Google dans le trafic de Kayak ?

Au niveau mondial, elle était inférieure à 10% au premier trimestre 2012, le dernier chiffre dont nous disposons. Elle est donc très réduite, d'autant que nous pouvons aussi compter sur les liens sponsorisés pour maintenir cette source de trafic.

Qu'est-ce qui distingue Kayak des autres comparateurs de voyages ?

La plupart des comparateurs envoient la requête de l'internaute aux voyagistes, qui la retransmettent aux GDS. Cela coûte plus cher aux comparateurs, car ils doivent rémunérer ces intermédiaires. Et les compagnies aériennes ne veulent pas de ce modèle. Elles sont en guerre avec les agences de voyage en ligne et ne proposent souvent leurs promotions que directement sur les GDS. Aux Etats-Unis, elles essaient même de contrôler les voyagistes pour qu'ils n'envoient pas leurs flux sur des sites tiers comme les comparateurs.

A l'inverse de cette vieille méthode, Kayak va chercher les informations d'une part auprès de partenaires voyagistes, mais surtout directement auprès des GDS. ITA aux Etats-Unis et Amadeus en Europe lui donnent accès eux vols de 700 compagnies aériennes.

A la sortie, les prix proposés aux internautes ne sont-ils pas les mêmes ?

Seulement à 70%. Parmi les différences qui opposent ces deux modèles, beaucoup de choses paraissent anodines mais finissent par peser. Par exemple, lorsque vous êtes interfacés directement avec les GDS, vous pouvez acheter l'aller et le retour indépendamment. Or dans peut-être 10% des cas, deux allers simples reviennent moins cher qu'un aller-retour. Par ailleurs, toutes les combinaisons de compagnies aériennes sont réalisables.

En outre, les trajets multi-destinations sont possibles. Alors qu'il coûterait trop cher aux autres comparateurs d'envoyer toutes ces requêtes aux voyagistes, Kayak peut en envoyer autant qu'il le souhaite aux GDS. Enfin, cela ne concerne pas le prix mais nous pouvons créer des filtres supplémentaires, selon le type d'avion, le temps d'escale... Tous ces avantages sont importants pour les voyageurs exigeants.

Qu'en pensent les voyagistes ?

Ils apprécient notre modèle au CPA. Celui-ci nous oblige à avoir une politique d'acquisition client plus intelligente, ce qui nous permet d'obtenir des taux de conversion deux fois supérieurs aux comparateurs traditionnels au CPC, nous disent-ils. Or c'est ce qu'ils recherchent, car les coûts que nous créons chez eux sont alors moins élevés.

Quels sont les grands chantiers actuels de Kayak ?

La grande frustration des utilisateurs de comparateurs d'hôtels est d'être transférés sur le site du voyagiste partenaire lorsqu'ils cliquent sur le bouton "voir l'offre". Car là, c'est la foire. Upselling, assurances, cross-selling de vols et de location de voitures... Les internautes sont parfois même contraints de renseigner à nouveau leur requête.

Nous avons donc conçu nos propres pages de résultats. Parmi les partenaires que nous proposons en réponse à une requête, nous désignons le moins cher sous l'expression "offre Kayak". L'internaute qui clique dessus arrive sur une page de ce partenaire, intégrée en marque blanche sur le site de Kayak, qui détaille l'offre et lui permet de l'acheter. Le tunnel d'achat, qui s'étendait en moyenne sur 6 minutes, est ainsi réduit à 2 minutes. Ce qui augmente beaucoup le taux de transformation. Nous travaillons actuellement à appliquer le même principe aux vols et aux locations automobiles.

Travaillez-vous aussi sur les séjours ?

Kayak vient de lancer en France un comparateur de séjours, déjà disponible en Allemagne. Cela n'existait pas auparavant sur le marché. Il ne repose pas sur une recherche par destination, mais par thème : plage, gastronomie... Sa vocation est d'inspirer le client, plutôt que de servir de simple moteur.

Easyvoyage a lancé un algorithme prédictif des prix des vols et des hôtels. Travaillez-vous sur le même sujet ?

Nous lancerons cet été en France un taux de confiance dans les prix des vols, qui est déjà actif aux Etats-Unis sous le nom de "price prediction forecast". A côté d'un prix nous afficherons par exemple "99%", ce qui signifiera qu'il y a 99% de chances pour que le prix ne baisse pas. Ce taux sera cliquable et donnera accès à des tendances et évolutions sur les vols passés.

Quelles sont l'audience et l'efficacité du canal mobile chez Kayak ?

L'essor du mobile est absolument massif. Skyscanner, par exemple, a annoncé qu'il avait dépassé le Web dans son audience. Pour notre part, le mobile représente selon les pays 15 à 40% de nos visiteurs. En revanche, le revenu par mille recherches (RPM) est trois fois moindre sur le mobile que sur le Web. Autrement dit, le taux de transformation y est beaucoup moins bon.

Que va changer pour Kayak son rachat par Priceline, finalisé fin mai ?

Plus qu'avec Priceline, c'est avec son site de réservation d'hôtels Booking que nous travaillons. Booking étant la plus grosse plateforme SEM sur Google, nous allons beaucoup apprendre de leur stratégie en la matière.

D'autre part, nous allons pouvoir augmenter nos budgets marketing pour développer Kayak en Europe ainsi qu'en Asie-Pacifique. Nous sommes actuellement présents dans 18 pays et attaquerons de nouveaux marchés dans les mois à venir.

John-Lee Saez est directeur général France et Autriche de Kayak. Diplômé du Cefam et titulaire d'un master en International Business de l'université Pace à New York, il a débuté sa carrière à Miami chez Acts International avant de cofonder en 2005 Checkfelix, comparateur autrichien de voyages qu'il dirige toujours. En 2011 il revend Checkfelix à Kayak, dont il devient le DG pour la France et l'Autriche.