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ENQUETE
 
30/08/2006

Scooters, motos : comment
la Chine veut conquérir l'Europe

Avec des prix inférieurs de moitié à ceux pratiqués par les grandes marques, les deux roues « made in China » envahissent les vitrines des concessionnaires. Constructeurs, importateurs, distributeurs : leurs recettes pour casser les prix.

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Fabriqué dans l'usine de 200.000 m² de Jiangmen Zhongyu, ce scooter est vendu 350 euros en sortie d'usine.
Photo © Jiangmen Zhongyu motorcycle Group Co.

Baotian, Jialing, Jincheng ou encore Zongshen… Encore quasiment inconnues il y a quelques mois, ces marques de scooters et de motos se multiplient dans les vitrines des concessionnaires de deux roues. Et séduisent de plus en plus de clients. Leur atout ? Des prix "cassés" : environ 1000 euros pour un scooter 50 cm3 et 1800 euros pour une petite moto. C'est presque deux fois moins cher qu'un modèle équivalent frappé du logo d'une grande marque – Honda, Yamaha, Peugeot ou Piaggio. Le point commun entre toutes ces marques affichant des tarifs défiant toute concurrence : elles sont originaires de Chine.

Le pays le plus peuplé du monde compte aussi quelque 400 constructeurs de deux roues. Nombreux sont ceux qui lorgnent sur l'Europe pour se développer. Pour cela, nul besoin d'ouvrir une filiale dans l'un des pays de l'Union et de réaliser des investissements importants, ces fabricants se contentent de trouver des importateurs qui leur achètent des produits en gros et les distribuent à des concessionnaires en Europe. Tout se passe à la foire de Canton : au milieu des jouets pour enfants et des chaussures dernier cri, les constructeurs vantent les mérites de leurs deux roues à des importateurs européens. "Entre le moment où nous passons commande et celui où nous recevons la marchandise, il s'écoule environ deux mois. Il faut environ un mois pour fabriquer la machine – les constructeurs travaillent en flux tendu – et un mois pour la transporter", explique Ben Asker, gérant d'Innova Bike qui importe aujourd'hui 4 modèles différents, auprès de deux fournisseurs.


Déjà 800 distributeurs en France

Preuve de l'intérêt des constructeurs chinois pour les marchés européens, ils se chargent eux-mêmes de faire homologuer leurs véhicules, une dépense de 50.000 euros par modèle. Une homologation dans un seul pays suffit pour vendre un deux roues dans toute l'Europe. Alors, plutôt que de passer par les fourches caudines de l'administration française ("trop lente et tatillonne" selon un importateur), les constructeurs préfèrent effectuer leurs tests en Hollande, en Italie ou en Espagne, pays réputés pour leur célérité à homologuer des véhicules. Comment sont conçus ces deux roues ? La plupart des fabricants sont aussi les sous-traitants des Yamaha et autres Honda. Ils utilisent des plans tombés dans le domaine public, ou ils achètent les licences pour fabriquer les pièces.

L'usine de Zhongshan Guochi produit 10 modèles de deux roues différents qu'elle exporte en Europe et en Amérique du sud. Quelque 200.000 véhicules sortent de ses hangars tous les ans.
Photo © Zhongshan Guochi Motorcycle Industrial Co.

Les consommateurs, eux, sont séduits. Les Grecs et les Trucs sont les plus friands des scooters chinois, qui ont déjà pris environ 10% du marché local. En Allemagne et en France, le décollage est plus lent. Entre 1 et 3% des scooters vendus en France sont chinois, selon les importateurs interrogés. On compte déjà plus d'une cinquantaine de marques de deux roues "made in China" présentes dans l'Hexagone. "Aujourd'hui 700 à 800 concessionnaires sur 3600 distribuent des modèles chinois. Le marché des deux roues chinois progresse de 30% par an depuis deux ans" affirme Pierre Laurent-Chauvet, un ancien cadre de Honda qui a fondé Sidam Europe, l'un des principaux importateurs français.


Les importateurs n'ont pas de mal à persuader les concessionnaires de distribuer leurs modèles. Car en plus des prix cassés qui attirent la clientèle, ils leur proposent aussi des niveaux de marge bien supérieurs à celles offertes par les grandes marques. Les marges d'un concessionnaire Yamaha, Honda ou Piaggio se situent entre 10 et 20% du prix hors taxes, primes comprises. Un distributeur de scooter chinois atteint 25%, voire 30%. Si bien que certains concessionnaires, liés par des contrats d'exclusivité avec des marques n'hésitent pas à ouvrir une seconde boutique pour vendre des deux roues en provenance de Chine ! Ainsi, après deux ans de présence sur Internet, Scoot Discount vient d'ouvrir sa première boutique à Paris.


Entre 20 et 30 constructeurs disparaissent chaque année

Toutefois, le marché n'est pas encore régulé. "L'un des principaux problèmes pour les importateurs est de trouver le bon constructeur. Car bon nombre de constructeurs ne sont en fait que des assembleurs ; ils ne disposent pas de bureaux d'études, ne conçoivent ni moteur, ni châssis et se contentent d'assembler des pièces achetées chez différents sous-traitants" explique Paul Monnery, directeur commercial de Greentech Industries, un importateur qui a choisi de vendre les deux roues venus de Chine sous ses propres marques. Moins de 10% des constructeurs chinois disposent de bureaux d'études. Et même lorsque l'on a trouvé le bon fabricant, on n'est jamais à l'abri d'une défaillance. "Entre 20 et 30 constructeurs disparaissent chaque année. L'un de nos précédents fabricants a vendu son activité et le nouveau propriétaire a décidé de se concentrer sur son activité première, les climatiseurs !" se rappelle Pierre Laurent-Chauvet de Sidam Europe. Sa société a donc plusieurs fournisseurs pour se prémunir de ce genre de problème. Quant au gouvernement chinois, il a, en début d'année, interdit d'exportation les fabricants de moins de 50.000 unités par an. Un moyen comme un autre d'écarter les entreprises les moins solides financièrement.


Les problèmes surgissent aussi du côté des importateurs. Certains se sont fait la spécialité d'acheter des deux roues en quantité, de les écouler rapidement et de… disparaître. Sans assurer la garantie légale et sans fournir les pièces détachées nécessaires aux diverses révisions de leurs modèles. "Pour éviter ce genre de problèmes, nous travaillons uniquement avec des importateurs qui nous garantissent qu'ils font venir suffisamment de pièces détachées pour que nous puissions assurer les maintenances par la suite" explique Noël Rizzo, fondateur du concessionnaire Scoot Discount. Un importateur se montre aussi sévère avec la grande distribution : "pour faire des coups, la grande distribution n'hésite pas à faire venir 10.000 pièces achetées directement sur la foire de Canton. Mais lorsque le propriétaire de l'un de ces deux roues voudra faire changer sa chaîne de distribution, il va aller à l'accueil du supermarché ?".


Malgré ces problèmes, les constructeurs chinois ne reculent pas. Bien au contraire, après s'être restreints au marché des 50 et 125 cm3, ils prévoient d'attaquer les plus grosses cylindrées. Des modèles à 650 cm3 devraient apparaître prochainement. Et les grandes marques ? Leur réaction est tout simplement de travailler avec des constructeurs chinois pour proposer, elles aussi, des modèles à bas prix…
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