La crise de la dette américaine : résultat d’une croissance soutenue par l’endettement

Le Congrès et le Sénat américain ont finalement voté un projet de loi afin de lever le plafond de la dette pour 13 mois consécutifs jusqu'au 15 mars 2015. Ce projet de loi ranime le débat sur la dette et les problèmes qui y sont rattachés.

Cette dette qui a augmenté considérablement depuis 2008 et qui est la conséquence directe d'un surendettement des ménages. J'aborde donc le processus qui a mené à la crise des « subprimes » de 2008 et les conséquences actuelles.
Dernièrement Jack Lew, le secrétaire du Trésor des États-Unis, faisait état de la situation américaine et d’un éventuel rehaussement du plafond de la dette d’ici la fin février. Il affirmait qu’il était urgent pour le Congrès de penser à d’éventuelles mesures les priant même d’agir avant le 7 février. Ce projet de loi a finalement été accepté par le Congrès et par le Sénat cette semaine. Le projet de loi vise à proscrire le plafond de la dette pour une période prolongée qui se terminera le 15 mars 2015. Il permet également au Département du Trésor américain de continuer ses emprunts pour une période de 13 mois. Jack Lew craignait un éventuel défaut de paiement sur les obligations américaines et affirmait que le Congrès aurait une mince marge de manœuvre passé le 7 février.
La dette américaine avoisine présentement les 17 trillions et 300 milliards de dollars américains ce qui équivaut à 55 558$ par citoyen. En voyant ces chiffres une seule question me vient en tête : comment la nation qui a su se hisser au premier rang de l’économie mondiale durant la deuxième moitié du dernier siècle a-t-elle pu se retrouver dans une situation aussi catastrophique ?
Bien entendu plusieurs facteurs peuvent être mis en cause dans la Crise des « subprimes » de 2008; le surendettement des ménages, la bulle immobilière, les produits financiers toxiques et j’en passe. Mais ma conclusion émane de la lecture d'une analyse de Joseph Stiglitz et peut se simplifier ainsi: C’est le résultat d’une croissance économique artificielle qui était soutenue par l’endettement excessif des ménages, lui-même encouragé par de nombreux incitatifs à l’endettement.
Cette croissance était le fruit d’une culture à l’américaine qui se nourrissait du rêve américain. Cette même culture qui a poussé la population et ses dirigeants à focaliser sur des données économiques de croissances sans se soucier d’où cette croissance provenait. J’expliquerai donc comment cette culture, qui avait permis aux États-Unis de devenir la nation la plus prospère du monde lors des Trente Glorieuses, a finalement eu raison de ceux-ci et comment le « American Dream » s’est transformé en cauchemar.

Libéralisation des marchés

Les États-Unis ont été fondés selon des principes libéraux qui sont présents afin de maintenir une économie libérale dynamique où le gouvernement n’intervient qu’au minimum. D’un point de vue historique, on peut remarquer que le gouvernement  américain est intervenu de nombreuses fois en période de crise mais qu’il ne possédait pas les outils afin de réguler les marchés lors des périodes précédant celles-ci.
Dans la philosophie économique américaine  on préfère donc guérir plutôt que prévenir.
Le gouvernement agit très rarement comme régulateur des marchés et se contente plutôt d’intervenir lors des situations de crise. Cette caractéristique de la politique américaine était propice à l’établissement du processus économique qui a pris place au début des années 2000.

Mauvaise distribution des revenus et croissance économique

Aux yeux de l’opinion publique américaine, les riches sont synonymes d’investissement, entrepreneuriat, de création d’emploi et d’enrichissement. Il est vrai qu’un entrepreneuriat fort et dynamique et qu’une classe d’affaire importante permettent un développement et une croissance économique accentuée. La plupart des économistes en conviennent et ne diffèrent pas sur ce point. Par contre, là où l’opinion des économistes diverge, c’est lorsqu’on fait face à une distribution des revenus inéquitable et à un taux d’imposition trop faible chez les plus hauts salariés.
En 2007, on évaluait que le 5 % le plus riche aux États-Unis possédait plus de 61,9 % du total de la richesse; ce qui laissait un mince 0,2 % de la richesse au 40 % le plus pauvre. Une mauvaise distribution des revenus au sein d’une société influence donc négativement la croissance économique. En effet, la propension marginale à épargner est beaucoup plus élevée chez les gens riches et leur propension marginale à consommer est de ce fait beaucoup plus faible que chez les ménages les plus pauvres. On remarque donc que passé un certain seuil, plus le revenu d’un individu augmente et plus la proportion marginale de celui-ci dédiée à l’épargne va augmenter.
C’est donc dire que sur chaque dollar supplémentaire gagné, la proportion de ce dollar dédiée à l’épargne va augmenter par rapport à celle dédiée à la consommation. De ce fait, plutôt que de réinjecter ce dollar supplémentaire dans l’économie, les plus riches ont plutôt tendance à augmenter leur taux d’épargne. Le capital financier dort donc dans des coffres ou dans des investissements à long terme et on se retrouve avec une économie en ralentissement. Il en est tout autre chez les ménages les plus pauvres qui ont une propension marginale à consommer beaucoup plus élevée.
Leur revenu étant plus faible, ils ont donc tendance à utiliser la plus grande partie de leur revenu pour la consommation jusqu’à un certain seuil. Donc si la distribution des revenus au sein d’une société est équitable, on a de meilleures chances d’augmenter la consommation et d’obtenir de meilleurs résultats de taux de croissance. Ce n’est pas ce qui s’est produit aux États-Unis au début du présent millénaire. Bien au contraire, la croissance économique aux États-Unis avait ralentie en dessous des 2 % désirés.

Un taux directeur toujours plus bas

Cette croissance avait ralenti suite à l’éclatement de la bulle technologique en mars 2000 et avait provoqué un certain niveau d’inquiétude chez les politiciens qui se tournèrent vers la Réserve fédérale afin de régler le problème. Les politiciens auraient pu mettre en place des mesures afin de distribuer la richesse ou d’augmenter le revenu disponible à la consommation chez la classe moyenne et les ménages les plus pauvres.
Par contre, ces mesures se seraient attaquées à une bonne partie du lobby américain et aurait eu un coût politique que peu de politiciens étaient prêts à payer. Ils se sont donc tournés vers la solution facile; l’endettement des ménages afin d’augmenter la consommation et de stimuler l’économie.
Le président de la Réserve fédérale de l’époque, Alan Greenspan, décida donc de baisser le taux d’intérêt directeur de la Réserve fédérale sous des niveaux qui n’avaient pas été atteint depuis les trois dernières décennies. Ces mesures avaient donc comme objectif de créer un incitatif à l’endettement chez les ménages afin que leur consommation augmente. On permettait ainsi aux ménages les plus pauvres d’accéder à la propriété par l’endettement. On allait également atteindre les taux de croissance désirés sans avoir à toucher à la richesse des plus riches : Tout semblait parfait. Pourtant aucune richesse n’avait été créée, aucun nouveau mécanisme n’avait été instauré et on n’avait pas redistribué la richesse déjà existante. La Réserve fédérale semblait donc avoir fait un tour de magie; Alan Greenspan le magicien. Mais en réalité, nous allions découvrir qu’il était bien meilleur illusionniste que magicien.
C’est ce que j’appelle personnellement une croissance économique artificielle; plutôt que de stimuler l’économie par la consommation des ménages à même leur revenu, on créé plutôt une économie «boostée» à l’endettement. Tout le monde y gagne à l’exception du consommateur. Le gouvernement est gagnant car les objectifs de taux de croissances sont atteints, les banques sont gagnantes car les frais de transactions remplacent les taux d’intérêts élevés et les entrepreneurs sont heureux car la Demande du secteur immobilier s’accroît. Par contre, un seul perdant vient encaisser le coût de cette bulle immobilière créée de toute pièce; le consommateur. Celui qui s’est endetté au dessus de ses moyens et qui n’a pas pu respecter ces paiements suite à une augmentation des taux d’intérêt. Pour ce dernier, le rêve américain n’était qu’un rêve bien éphémère.

À court de solutions

La Demande pour l’immobilier a donc continué d’augmenter  aux États-Unis et a ainsi créé une bulle immobilière faisant doubler le prix de l’immobilier en moins de 7 ans. Personne ne se plaignait jusque là car l’augmentation de la valeur de l’immobilier enrichissait également le consommateur. Mais l'inévitable survenu et était pourtant bien prévisible. Les banques s’étaient d'ailleurs judicieusement protégées en connaissance de cause. En effet, la remontée des taux d’intérêt directeur était inévitable afin de combattre une inflation trop importante. Sachant que certains prêts étaient dangereux, les banques avaient décidé de rediriger le risque vers les marchés financiers en créant des produits financiers qu’on surnomma «toxic assets». Mon but n’étant pas de m’attarder sur le procédé d’élaboration des produits financiers hypothécaires mais plutôt de démontrer que les banques étaient bel et bien conscientes du risque qu’elles avaient prise en accordant certaines hypothèques à des clients qui n’avaient vraisemblablement pas la capacité de payer. Sinon quel aurait été l’intérêt de redistribuer ces créances sous forme d’actifs financiers? Mais en 2008 il était déjà trop tard; les défauts de paiements ont commencé lorsque les taux d’intérêt ont remonté en 2006, la bulle immobilière a éclaté et les marchés financiers se sont finalement enflammés lorsqu’on a découvert que ces créances hypothécaires, sur lesquelles étaient basés plusieurs actifs financiers, ne valaient rien. « American dream » is over Oncle Sam!!!

Ça n’arrive pas qu’aux Américains

Les États occidentaux ont tous mis les pieds dans le piège de l’endettement, que ce soit la France, la Grande-Bretagne, L’Allemagne ou même le Canada. Il nous est essentiel de réaliser les impacts à long terme avant qu’il ne soit trop tard et de cesser de créer des incitatifs à l’endettement auprès des ménages afin de «booster» la croissance économique de façon artificielle. 
J’écoutais dernièrement un commercial de l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec qui demandait d'aller signer une pétition pour inciter le gouvernement à aider les jeunes ménages à accéder à la propriété. Ils prétendaient vouloir aider les consommateurs à accéder à la propriété en demandant au gouvernement d'intervenir en créant des mesures favorables à l’achat d’une propriété; prêt hypothécaire sur plus de 30 ans, taux d’intérêt plus bas etc...
Quelques semaines plus tard, la Deutsch Bank affirmait que les prix des maisons au Canada étaient surévalués de 60 % (ce qui fut plus tard contesté par d'autres études notamment celle de Fitch ratings qui prétend que la surévaluation serait de l'ordre de 21 %).  En agissant tel que le demande l’APCHQ, le gouvernement va augmenter la Demande sur le marché, les prix continueront donc d’augmenter au dessus de leur prix d’équilibre et les propriétés seront de moins en moins accessibles. L'intervention du gouvernement sous la forme de prêt poussera donc les ménages à s’endetter d’avantage.
Les défenseurs de ces mesures continuent d’utiliser l’argument qu’avaient les banques aux États-Unis en 2000; ne vous inquiétez pas pour l’endettement car les ménages vont s’enrichir avec l’appréciation de leurs actifs. Mais avec la suite des événements que nous avons connu en 2008, cette hypothèse devient indéfendable. C’est de cette façon que les États occidentaux se sont embarqués dans un cercle vicieux où le consommateur s’endette d’avantage et où le prix de l’immobilier continue d’augmenter pour atteindre un sommet insoutenable. Et un jour la bulle éclate, entraînant avec elle l’économie tout entière.

Conclusion 

En tentant de sauvegarder la richesse d’une minorité de la population, le gouvernement américain a donc poussé l’économie vers un ralentissement. Afin de stimuler à nouveau l’économie, il a créé des incitatifs à l’endettement afin que les ménages les plus pauvres augmentent leur consommation. Lorsque les taux d’intérêt ont augmenté, les ménages étaient trop endettés pour pouvoir s'en sortir.
La Bulle immobilière a fini par éclater en 2008 mais il était déjà trop tard et le mal était fait; les produits financiers toxiques étaient partout sur le marché financier mondiale et entraînaient l’Europe dans la récession.
Le gouvernement américain s’est donc lancé dans l’assouplissement quantitatif par la suite afin de stimuler l’économie par son propre endettement. Nous sommes en 2014; les marchés financiers ont repris de la vigueur et semblent vouloir se stabiliser. Mais cette reprise économique aura eu un prix énorme; le surendettement de plusieurs États.  La venue d’une nouvelle récession laisse craindre le pire à plusieurs économistes. Dans la prochaine année, les États-Unis devront donc trouver une solution plus efficace que de rehausser le plafond de la dette s’ils désirent avoir une marge de manœuvre pour agir lorsque la prochaine récession frappera.