Web2.0 : la ligne Maginot culturelle

Le Web2.0 donne la parole aux clients, aux usagers, il permet la co-création et pousse les outils collaboratifs. Mais nos élites sont-elles prêtes à cette révolution ? Notre système de formation est-il adapté ?

La société française pourrait profiter bien plus des opportunités du Web2.0. sans un blocage culturel de la majorité de nos élites. Internet est avant tout un réseau décentralisé rendant plus faciles que jamais les interactions, les collaborations entre pairs.

Inadmissible, intolérable pour des cerveaux formatés par des siècles de centralisme colberto-jacobin. Le modèle mental inculqué par l'Ecole du collège à l'ENA explique le rejet initial d'Internet par France Telecom. D'où nos 9 ans de retard en connexion des foyers par rapport aux Pays-Bas et au Danemark. D'où le dégoût viscéral de nos clercs pour Wikipedia et leur incompréhension pour l'Open Source, l'économie du "don".
 
Ce n'est pas en faisant défiler au pas et en uniforme nos futures élites qu'on les prépare à l'ouverture d'esprit, à l'imagination, au respect des différences. On inculque à ce que l'on croit les plus doués de chaque génération l'arrogance, l'esprit de caste, de compétition agressive.

Alors, que faire d'un Web2.0 qui donne la parole aux clients, aux usagers, aux citoyens, permet la co-création, des études marketing en temps réel ?

Libérer la créativité du personnel, valoriser ses connaissances de terrain, non formalisables ? A quoi bon puisque l'on sait mieux que les usagers ce qui est bon pour eux et que les inférieurs hiérarchiques sont là pour obéir et appliquer les géniales intuitions des chefs. On ne va quand même pas partager de l'information stratégique avec les employés, les clients, les sous-traitants !

Dans cette optique, il est incongru de parler outils collaboratifs, d'expliquer les mashups, de recommander de se laisser copier pour devenir un standard...

Incompréhensible, ce Google Maps qui incite à greffer sur ses données des applications au lieu de préserver ses droits de propriétaire comme certains organismes français...

Dans un modèle pyramidal, les décisions passent par le sommet, d'où peu de réactivité. Les plans que l'on sort sont parfaitement ficelés, mais obsolètes dès la naissance. Lenteur illustrée par l'extraordinaire riposte élyséenne à Google, Quaero, pas encore accouchée en deux ans tandis que l'Américain progresse en sortant une version bêta (horreur, c'est inachevé !) presque chaque semaine...

On joue les tranchées de Verdun à l'ère des guerres de mouvement, de l'apprentissage en temps réel par l'écoute et l'action, par l'erreur valorisée. Mais justement, chez nous, pays de contrôleurs, l'erreur est une faute, que les copains jaloux guettent pour nous éliminer... On nous a élevés dans une société de méfiance, ce qui ne prépare pas aux collaborations.

Dans la logique fordienne dépassée, l'effet de masse était déterminant. 1+1=2, donc un grand groupe serait plus efficace qu'une PME, vive les fusions (dont la moitié échouent...). C'est conforme à la logique cartésienne qui dit qu'un grand problème doit être divisé en parties que l'on résoudra séparément, la somme des solutions partielles livrant la solution globale. D'où aussi le morcellement de l'enseignement, des universités et de la recherche en disciplines compartimentées depuis Auguste Comte.

Hélas, l'optimisation d'un tout complexe n'est pas la somme des solutions partielles et la majorité de nos problèmes sont très complexes. Il faut une vision globale, une pensée systémique, et des organisations en réseaux d'acteurs interagissants.

Des grappes de PME complémentaires et partenaires sont plus réactives, innovantes, efficaces que les mastodontes d'hier, qui captent pourtant 80% des aides publiques en recherche et innovation depuis des décennies.

Je ne suis pas en train de dire que le système actuel de formation et recrutement des élites n'a jamais été efficace. D'incontestables réussites ont été ainsi obtenues partout où il suffisait à l'Etat de décider d'investir pour créer le marché : aéronautique, armement, espace, nucléaire, ferroviaire, équipement téléphonique.

A présent, le contexte est radicalement différent. Les principaux marchés concernent le grand public. C'est eux qui imposent leurs normes et ils nécessitent une écoute, une compréhension par anticipation des attentes latentes de millions de personnes que nos élites ne côtoient pas. Ce n'est pas une solution que de déserter ces marchés en pleine expansion comme Thomson et Alcatel l'ont fait pour se tourner essentiellement vers le professionnel. C'est une option destructrice d'emplois et, à terme, de puissance économique, donc politique.

Le prochain gouvernement aura le choix entre perpétrer un système qui nous conduit à un désastre économique et social rapide ou lancer une profonde réforme sur trois plans :

- Il faut que l'école inculque une culture générale humaniste ne séparant plus technique et humain, une pensée systémique, le goût de la collaboration, le respect des autres, la passion de l'écoute. Ceci implique la suppression ou la refonte de l'Ena, une révision déchirante de l'X ...

- Le recrutement des élites, à commencer par les cabinets ministériels, doit exclure les chasses gardées : plus de castes d'intouchables, seul le mérite compte !

- L'instauration d'une vraie politique industrielle symbolisée par la formation d'un ministère de l'entreprise créant une continuité de l'industrie au commerce et aux services, et ne plaçant plus les PME dans un ghetto.

Une politique industrielle doit viser surtout à construire un écosystème administratif, financier, psychologique, favorable à l'innovation, l'initiative, la croissance des PME innovantes, condition de notre survie. Elle doit encourager la construction de vrais partenariats que le Web2.0 facilite, entre l'amont industriel et la distribution, entre tous les acteurs socio-économiques.

Nous avons tous les atouts à portée de mains pour bâtir notre renaissance. Il ne manque que la volonté politique de nous affranchir de notre la Ligne Maginot culturelle.