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par
Thibault Verbiest
Avocat aux Barreaux
de Bruxelles et Paris,
Cabinet
Ulys
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Si
un contrat est conclu via l'Internet ou un autre réseau
(commande par échange d'emails, via un formulaire d'achat
sur le Web, par téléphone mobile etc.) entre des personnes
établies dans des Etats différents, et qu'un litige
survient entre elles (défaut de livraison par le cyber-vendeur,
défaut de paiement dans le chef de l'acheteur etc.),
la partie qui entend engager des poursuites judiciaires
devra en premier lieu identifier le tribunal compétent
pour connaître de l'affaire, et ensuite la loi qui régira
le litige.
Juridiction
compétente : un régime européen récemment modifié
En matière de compétence juridictionnelle,
la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, a été
remplacée par un Règlement communautaire du Conseil
du 22 décembre 2000 "concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
civile et commerciale". Ce Règlement, qui est directement
applicable et dont l'une des finalités est de tenir
compte des spécificités du commerce électronique, est
entré en vigueur au 1er mars 2002 pour tous les Etats
membres de l'Union européenne (à l'exception du Danemark
qui a décidé de ne pas souscrire à cette réglementation).
Dans
les Etats de l'AELE (notamment la Suisse), la Convention
de Lugano du 16 septembre 1988 reste applicable, mais
devrait sous peu être mise en concordance avec le nouveau
Règlement communautaire.
Compétence
des tribunaux et contrats en ligne
Conformément à l'article 2 du
Règlement de Bruxelles, le critère de compétence général
est déterminé par le territoire du domicile du défendeur
: les personnes domiciliées sur le territoire d'un État
contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité,
devant les juridictions de cet État. L'article 5 alinéa
1 donne compétence "au tribunal du lieu où l'obligation
qui sert de base à l'action a été ou doit être exécutée".
Le lieu d'exécution de l'obligation
litigieuse s'avérera difficile à déterminer lorsque
l'exécution a lieu en ligne, par exemple en cas de téléchargement
d'un logiciel. S'agira-t-il du lieu où est situé, au
moment de l'exécution, le serveur du vendeur ou de son
hébergeur depuis lequel le téléchargement est opéré,
ou s'agira-t-il du lieu où est situé l'ordinateur (voire
le téléphone portable !) de l'acheteur ?
Le Règlement communautaire
distingue à cet égard la vente de marchandises de la
fourniture de services. Lorsqu'il s'agit d'une vente
de marchandises, le lieu d'exécution sera celui où,
en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient
dû être livrées. En ce qui concerne la fourniture de
services, ce lieu sera celui où, en vertu du contrat,
les services ont été ou auraient dû être fournis. Dès
lors, dans l'hypothèse d'une exécution en ligne, sera
compétent le juge du lieu où ont été reçues les données
téléchargées et non le juge du lieu depuis lequel elles
ont été envoyées.
Les
clauses de prorogation de compétence en ligne
Les parties peuvent déroger
à ces principes en convenant d'une clause attributive
de compétence (sous réserve de la protection spéciale
instituée au profit des consommateurs, comme exposé
infra). Des conditions de forme sont toutefois requises.
Ainsi, la convention attributive de juridiction, pour
être valable, doit notamment être conclue par écrit
ou verbalement avec confirmation écrite. Le Règlement
précise à cet égard que "toute transmission par voie
électronique qui permet de consigner durablement la
convention est considérée comme revêtant une forme écrite".
La conclusion de conditions
en ligne contenant une clause attributive de juridiction
sera indubitablement valable si les conditions sont
confirmées par l'envoi d'un courrier électronique, dans
la mesure où il s'agira d'une information consultable
ultérieurement sur le disque dur de l'ordinateur de
l'acheteur, tandis que le seul affichage à l'écran des
conditions, suivi de leur impression à titre d'archivage,
sera probablement jugé insuffisant.
Tribunaux
compétents et contrats conclus avec les consommateurs
Le consommateur est la personne
qui s'engage dans un contrat pour un usage qui peut
être considéré comme étranger à son activité professionnelle.
Sans préjudice du droit pour les parties d'introduire
une demande reconventionnelle devant le tribunal saisi
de la demande originaire, l'action intentée contre le
consommateur par l'autre partie (le vendeur via un site
Web, par exemple) ne peut être portée que devant les
tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel
le consommateur a son domicile, tandis que l'action
intentée par le consommateur contre l'autre partie peut
être portée, à sa discrétion, soit devant les tribunaux
de son domicile soit devant ceux du domicile de l'autre
partie, et ce dans les hypothèses suivantes :
- lorsqu'il s'agit d'une vente
à tempérament d'objets mobiliers corporels ;
- lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une
autre opération de crédit liée au financement d'une
vente de tels objets ;
- lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été
conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales
et professionnelles dans l'Etat membre sur le territoire
duquel le consommateur à son domicile, ou qui, par tout
moyen, dirige ces activités vers cet Etat membre, ou
vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre, et que le
contrat entre dans le cadre de ces activités.
Le Règlement communautaire
substitue au critère du démarchage préalable par le
fournisseur consacré par la Convention de Bruxelles
celui "d'activités dirigées" vers l'État membre du consommateur
ou "vers plusieurs pays dont cet État membre". Ainsi,
lorsqu'un consommateur de l'Union européenne achètera
un CD sur un site étranger, il pourra toujours saisir
ses tribunaux nationaux (même si les conditions générales
du site prévoient la compétence exclusive des tribunaux
du domicile du cyber-vendeur) dès lors que le site "dirige"
ses activités vers le pays de l'acheteur (ou plusieurs
pays dont le sien).
Une déclaration du Conseil
précise à cet égard : "que le simple fait qu'un site
Internet soit accessible ne suffit pas à rendre applicable
l'article 15, encore faut-il que ce site Internet invite
à la conclusion de contrats à distance et qu'un contrat
ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen.
A cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un
site Internet ne constitue pas un élément pertinent."
Le Parlement européen avait,
quant à lui, adopté le 21 septembre 2000 une résolution
plus tranchée : "la commercialisation de biens ou de
services par un moyen électronique accessible dans un
État membre constitue une activité dirigée vers cet
État lorsque le site commercial en ligne est un site
actif en ce sens que l'opérateur dirige intentionnellement
son activité, de façon substantielle, vers cet autre
État..
La
Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations
contractuelles
Les États membres de la Communauté
économique européenne ont adopté la Convention de Rome
du 19 juin 1980 afin d'instaurer des règles communes
de désignation de la loi applicable aux obligations
contractuelles. La Convention de Rome consacre le principe
fondamental de la "loi d'autonomie" : les parties sont
en principe libres de choisir la loi qui régira leurs
relations contractuelles, et ce même si la loi qu'elles
désignent n'a aucun lien avec le contrat (sous réserve
d'une fraude à la loi, et de l'application par le juge
saisi de ses lois de police ou d'ordre public).
A défaut de choix des parties
sur la loi applicable à leur contrat, la Convention
de Rome désigne la loi "du pays avec lequel le contrat
présente les liens les plus étroits" (article 4 alinéa
1er).
L'article 4 alinéa 2 présume
que "le contrat présente les liens les plus étroits
avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation
caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat,
sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société,
association ou personne morale, son administration centrale.
Toutefois, si le contrat est conclu dans l'exercice
de l'activité professionnelle de cette partie, ce pays
est celui où est situé son principal établissement ou,
si, selon le contrat, la prestation doit être fournie
par un établissement autre que l'établissement principal,
celui où est situé cet autre établissement".
Dans un contrat de vente par
voie électronique, la prestation caractéristique sera
toujours la livraison du bien par le vendeur. La loi
applicable sera donc celle du pays de son domicile au
moment de la conclusion du contrat.
Loi
applicable aux contrats conclus avec les consommateurs
L'article 5.2 introduit une
importante dérogation au principe de l'autonomie de
la volonté : la liberté de choix ne peut pas avoir pour
résultat de priver le consommateur de la protection
que lui assurent les dispositions impératives de la
loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle
dès lors que l'une des deux hypothèses suivantes est
rencontrée :
- la conclusion du contrat a été précédée dans le pays
du consommateur d'une proposition spécialement faite
ou d'une publicité et le consommateur a accompli dans
ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat,
ou
- le cocontractant du consommateur ou son représentant
a reçu la commande dans ce pays.
L'on rangera parmi les "lois
impératives" les dispositions protectrices du Code de
la Consommation. Sur l'Internet, il est très délicat
de déterminer dans quelle mesure la conclusion du contrat
en ligne a été précédée dans le pays du consommateur
d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité
par voie électronique.
Certains insistent sur le fait
qu'en naviguant sur le Web, le consommateur se rend
lui-même sur le site où s'opère la transaction et décide
d'y conclure un contrat, ce qui constitue donc dans
le chef du prestataire une attitude "passive" qui échappe
à l'application de l'article 5.2 de la Convention de
Rome. Opérant un raccourci, ceux-ci limitent généralement
l'article 5.2 aux offres non sollicitées envoyées par
courriers électroniques (le prestataire adopte alors
une attitude "active").
Pareille analyse doit être
nuancée. S'il est vrai que le simple fait de se rendre
volontairement sur le site Web d'un fournisseur est
insuffisant à caractériser dans son chef une prestation
"active", il faut toutefois avoir égard aux nombreuses
autres possibilités techniques de démarchage qu'offre
l'Internet. A titre illustratif, un prestataire peut,
avec l'aide d'une société de marketing spécialisée en
la matière, faire en sorte qu'une bannière renvoyant
directement à son site transactionnel apparaisse à l'écran
d'un moteur de recherche lié à la société de marketing,
chaque fois qu'un internaute introduit un mot clé évocateur
des services offerts par le prestataire dans la fenêtre
de soumission du moteur. Il nous semble que cette technique,
de plus en plus couramment utilisée, relève de l'attitude
active visée à l'article 5.2 de la Convention de Rome.
En effet, l'internaute n'est initialement pas demandeur
du service proposé. Toutefois, en pratique, il sera
souvent difficile, voire impossible, pour le consommateur
de prouver qu'il acheté tel bien ou souscrit tel service
suite à l'apparition de cette bannière publicitaire
par définition fugace, plutôt que consécutivement à
une recherche volontaire.
Cela étant posé, contrairement
à l'avis de certains auteurs, il nous semble excessif
de considérer que toute publicité susceptible d'être
reçue dans l'État du consommateur justifie la mise en
uvre de la protection spéciale du consommateur instituée
par l'article 5 de la Convention. En effet, sauf à dénaturer
complètement l'esprit de la protection instituée par
article 5 de la Convention, la publicité préalable doit
être conçue comme une invitation spécifiquement dirigée
vers le consommateur.
Cette question connaîtra probablement
des rebondissements. Nous avons déjà relevé que, s'agissant
de la question de la juridiction compétente, le Règlement
de Bruxelles supprime le critère du démarchage au profit
de celui d'"activités dirigées". Certaines voix se font
déjà entendre pour étendre ce critère à la question
de la loi applicable aux contrats conclus avec les consommateurs
dans le cadre de la future révision de la Convention
de Rome (dont les travaux ont déjà commencé).
La
directive sur le commerce électronique et la clause
du marché intérieur
L'article 3.1 de la directive
sur le commerce électronique stipule que "Chaque État
membre veille à ce que les services de la société de
l'information fournis par un prestataire établi sur
son territoire respectent les dispositions nationales
applicables dans cet État membre relevant du domaine
coordonné". Toutefois, l'article 3.3 prend soin de préciser
que cette disposition ne s'applique pas aux domaines
visés à l'annexe, dans laquelle on retrouve "les obligations
contractuelles concernant les contrats conclus par les
consommateurs". Les États membres peuvent en outre prendre
des mesures qui dérogent à la clause de marché intérieur
si le but poursuivi est la protection de l'ordre public,
de la santé publique, de la sécurité publique ou la
protection des consommateurs, pour autant que ces mesures
visent spécifiquement le service qui représente un danger
pour ces objectifs et que la mesure soit proportionnelle
à ces objectifs. Ces mesures sont soigneusement contrôlées
par la Commission européenne grâce à un système de notification.
Par ailleurs, l'article premier
prend soin de souligner que la directive "n'établit
pas de règles additionnelles de droit international
privé et ne traite pas de la compétence des juridictions".
[thibault.verbiest@ulys.net]
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