Dans
la continuité du plan annoncé en avril 2003 par Jean-Pierre
Raffarin, le rapport de Fabrice Fries, Conseiller référendaire
à la Cour des comptes, intitulé "Propositions pour développer
l'industrie du jeu vidéo en France" est une étape importante
dans le secteur des jeux vidéo (Lire l'article
du JDN du 28/01/04). Pour mémoire, ce rapport fait
cinq propositions: mettre en place un fonds de production,
attirer l'investissement via un crédit d'impôt de 20
% sur les dépenses de développement réalisées en France,
inscrire le jeu vidéo dans les dispositifs existants
d'aide à la recherche et à l'innovation, favoriser le
financement du coût de fabrication des jeux sur consoles,
impliquer les acteurs de l'industrie dans le débat sur
les contrats de projet.
Cette
étape ne doit pas faire oublier que le jeu vidéo ne
bénéficie pas aujourd'hui d'une législation spécifique
ou de dispositions particulières. Les débats sur son
régime juridique et sa protection ont été vifs et ne
sont toujours pas clos. A l'heure actuelle, il n'existe
qu'une certitude : le jeu vidéo est une uvre de l'esprit
et est ainsi protégeable par le droit d'auteur (Cass.
Ass.Plén., 7 mers 1986, Atari Inc. c/Valadon, et Cass.
Ass. Plén., 7 mars 1986, Willimas Electronics Inc. c/Claudie
T. et Sté Jeutel).
Dans la mesure où le jeu vidéo
intègre à la fois des créations logicielle, graphique
et sonore répondant de manière interactive aux manipulations
du joueur, il s'agit d'une uvre complexe. Or, le droit
français n'a prévu de régime spécifique que pour chacune
des composantes, envisagée séparément. La complexité
de la qualification juridique du jeu vidéo est donc
à la hauteur de sa nature.
1 -
Les débats sur la qualification juridique
La qualification d'uvre audiovisuelle a été soutenue
pour les jeux vidéo. En droit français, cette qualification
est définie de manière stricte: il s'agit "d'une séquence
animée de sons et d'images" (art L112-2
6 du Code de la propriété intellectuelle - CPI).
Mais l'interactivité propre au jeu vidéo semble y faire
obstacle. Selon la Cour de cassation, un jeu vidéo,
par son interactivité, offre non des séquences animées
d'images, mais plutôt des séquences fixes d'images animées
(C.Cass. 18 janv 2003, pourvoi n°00
20 294).
La qualification de base de
données, c'est-à-dire "un recueil d'uvres, de données
ou d'autres éléments indépendants disposés de manière
systématique ou méthodique et individuellement accessibles
par des moyens informatiques ou d'une autre manière"
(art L112-3 du CPI) a été
également soulevée. En outre, le droit sui generis attaché
à cette qualification permet de protéger le contenu
de la base contre l'extraction ou la réutilisation substantielle
par un tiers non autorisé. Pour autant, même si cette
composante est indéniablement présente, définir un jeu
vidéo comme une simple base de données témoigne d'une
vision réductrice.
La jurisprudence et la doctrine
ont donc mis l'accent sur la composante logicielle.
Ainsi, la Cour de cassation, considère que l'interactivité
assurée par le logiciel est la caractéristique majeure
du jeu, faisant du logiciel l'élément primordial du
jeu vidéo (Aff. Midway, C.Cass. 21
juin 2000). Il a été également précisé que
"la programmation informatique du jeu électronique est
indissociable de la combinaison des sons et des images
formant les différentes phases du jeu".
Dans un tel contexte, certains
juristes optent pour une qualification distributive
du jeu vidéo, qui entraîne un dépeçage de l'ensemble
de ses diverses composantes. Cependant, une telle conception
peut être difficile à mettre en pratique, car il n'est
pas toujours aisé de distinguer les composantes entre
elles. Il semble au contraire que le jeu vidéo doit
être apprécié dans sa globalité. La qualification unitaire
permet ainsi de ranger le jeu vidéo parmi la catégorie
juridique prépondérante, en l'occurrence celle d'uvre
logicielle. En effet, le jeu vidéo devrait être perçu
comme un logiciel mettant en action différentes données,
et créant ainsi un environnement graphique et sonore
animé. Aucune distinction ne peut être opérée entre
le programme au sein du jeu, et les effets animés visibles
à l'écran.
2 -
Les débats sur les titulaires des droits
Les acteurs de cette industrie sont nombreux et divers
: scénaristes, game designers, illustrateurs, programmateurs,
infographistes, musiciens, testeurs, studios, distributeurs
...
De ce fait, un débat est né
sur la nécessité de favoriser soit l'uvre de collaboration
soit l'uvre collective (art L. 113-2 du CPI). Un jeu
est une oeuvre de collaboration, lorsque les différentes
personnes physiques réalisent leur part de création
(image, musique, animation
), parfaitement identifiables,
et finalisent le jeu en se consultant les uns avec les
autres. Cette qualification confère une co-titularité
aux différents auteurs du jeu. L'uvre collective, en
revanche, est une uvre créée sur l'initiative d'une
personne physique ou morale qui l'édite, la publie et
la divulgue sous sa direction et son nom. Dans ce cas,
il n'est plus possible de déterminer la part de contribution
de chacun des auteurs et la titularité des droits est
attribuée à celui qui l'exploite (une société). Selon
le contexte de création, l'un ou l'autre des régimes
sera applicable.
3 -
Les nouveaux débats
Deux sujets sont aujourd'hui naissants. Le premier vise
la fameuse exception de copie privée et sa taxe attachée.
Cependant, au vu des dernières consultations avec certains
représentants du secteur, elle ne serait pas mise en
uvre pour les jeux vidéo.
Le second concerne le filtrage
des contenus mis en ligne. En effet, selon le projet
de loi pour la confiance dans l'économie numérique (LEN),
les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et les hébergeurs
devraient mettre en place un dispositif permettant de
contrôler les contenus. Dans un objectif de protection
des mineurs et afin d'éviter une mise en cause de leur
responsabilité, ils pourraient par conséquent limiter
voir exclure certains types de jeux vidéo téléchargeables
ou accessibles en ligne qui ne seraient pas jugés tout
public.
A l'heure où l'industrie française
du jeu vidéo doit être soutenue, il est donc opportun
de clarifier enfin les débats. Les Commissions mixtes
qui ont été mises en place ont donc toute leur importance.
[Marc.dHaultfoeuille@CliffordChance.com]
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