Que faire pour "remettre l'humain au centre" ?

Certaines entreprises, pressées par l'actualité, engagent une réflexion visant à "remettre l'humain au centre", selon la formule du n°2 de France Telecom. Sur quels leviers s'appuyer pour mener à bien cet objectif ? Réponses.

La mise en évidence de l'étendue et de la profondeur des troubles psycho-sociaux conduit les entreprises à s'interroger sur leurs pratiques managériales. Certaines d'entre elles, pressées par les événements, ont d'ores et déjà engagé une réflexion visant à "remettre l'humain au centre", selon la formule du n°2 de France Telecom, Stéphane Richard, le 22 octobre dernier à Lens. Toutes les entreprises sont aujourd'hui concernées par cet objectif, à des degrés divers. Mais que faire, pour remettre l'humain au centre de l'organisation ? Comment cultiver l'humanité dans une entreprise, sans altérer les fondamentaux du business ? Voici quelques éléments de réponse.

 

1- D'abord, cultiver la culture d'entreprise par tous moyens disponibles (formations, séminaires, conférences...), car ce qu'elle cultive, c'est l'homme. Faire de sa culture corporate la dernière roue du carrosse, en se désintéressant par exemple du type d'humanité qu'elle contribue à façonner, c'est marquer son indifférence pour la figure de l'humain dans son entreprise. Remettre la culture d'entreprise au premier plan des préoccupations, c'est à la fois l'intérêt des salariés, dont sera cultivé ce par quoi ils transcendent leur fonction, et celui de l'entreprise, puisque la qualité de la culture d'entreprise conditionne la manière dont seront reçus tous les savoirs professionnels.

 

2- Ensuite, réhabiliter la pensée, en quoi consiste toute l'humanité de l'homme. Dans un contexte professionnel où la quantité (d'informations, de techniques et de savoirs) menace toujours d'éclipser cette qualité par excellence qu'est l'humanité, c'est avant tout de pensée dont une entreprise a besoin, étant entendu que "beaucoup savoir n'apprend pas à penser" (Héraclite). On semble en effet avoir négligé que plus croît la quantité, plus c'est la qualité qui fait la différence, la capacité à analyser, donner du sens, organiser.

 

3- Enfin, humaniser les formations au savoir-être, afin de rompre avec une approche exclusivement technique du management. Il ne faut en effet pas s'étonner que ceux qui n'ont appris le management que comme un ensemble de techniques traitent tout problème, y compris humain, comme un simple problème technique. Comme le dit Abraham Maslow, "il est tentant, si le seul outil dont vous disposez est un marteau, de tout traiter comme si c'était un clou" (1). A "l'esprit de géométrie" (Pascal) qui règne dans l'entreprise, sous la domination des sciences "dures", il est urgent d'allier "l'esprit de finesse", nourri d'humanités, qui donne de traiter autrement l'humain qu'en le maltraitant. Ce dernier point en particulier implique de changer le contenu même d'un certain nombre de formations qui, en formant le savoir-être sur le modèle d'un savoir-faire, déforment en fait l'être humain au lieu de le former. Il conviendrait en effet de s'aviser que, par définition, le savoir-être n'est pas un savoir-faire, donc ni un savoir apparaître ni un savoir bien se comporter et que, par conséquent, il ne se développe pas d'abord avec des techniques.

 

Rompre avec cette approche bancale du savoir-être, cela veut dire, notamment :

- Revoir les formations à la communication qui se contentent de former à des techniques de communication.

- Revoir les formations à l'éthique qui ne forment qu'à de la conformité légale et négligent toute formation humaine.

- Revoir les approches du stress et de la démotivation qui se contentent d'apporter des réponses psychologiques y compris aux problèmes existentiels.

 

Autrement dit, pour "remettre l'humain au centre", il faut, dans le cadre de la mise en place d'une culture d'entreprise plus soucieuse de ce qu'"être humain" veut dire, procéder à une refonte radicale des formations qui, sous prétexte de développement personnel, apportent de mauvaises solutions à de vrais problèmes humains et génèrent, par conséquent, frustrations et incompréhensions. Il faut abandonner les recettes techniques simplistes qui prétendent résoudre le "problème humain" comme on résout un problème mathématique, et privilégier une approche existentielle qui envisage l'homme de manière globale, dans toute son épaisseur. Il n'est pas exclu que la philosophie, qui capitalise plus de 25 siècles de connaissance de l'homme, permette d'avoir une approche plus fine des fragilités humaines. C'est pourquoi le colloque qui se tiendra le 19 novembre prochain à l'UNESCO (Paris) sur la "philosophie en entreprise" mérite une attention particulière : c'est aujourd'hui que se pensent les pratiques managériales de demain.

 

(1) "I suppose it is tempting, if the only tool you have is a hammer, to treat everything as if it were a nail." (Abraham MASLOW, Psychology of science: a reconnaissance, Chicago, Henry regnery, 1966)