Quelle est la juste valeur du travail ?

Les rémunérations des grands patrons et des footballeurs posent la question de la légitimité des écarts de salaires.

Quelle est la juste valeur du travail ? Autrement dit, qu'est-ce qu'une juste rémunération ?
Comment se forment les revenus du travail ? Les patrons des grands groupes sont-ils justement rémunérés ? Les footballeurs méritent-ils leurs salaires ? Pourquoi sont-ils mieux payés qu'une infirmière, un instituteur ou un paysan ? Le salaire d'un seul homme peut-il valoir celui de mille smicards ?
Autant de questions essentielles pour la cohésion de la société française, pour le niveau de vie des Français et, par conséquent, pour la croissance économique.
L'exploration de  la pyramide des rémunérations françaises, riche en surprises, révèle l'absurdité d'un système où la rareté l'emporte sur l'utilité, la valeur économique et financière sur la valeur sociale et morale, l'intérêt particulier sur l'intérêt général, le copinage sur le mérite. Elle montre que la valeur du travail se déprécie dans la masse des travailleurs pauvres ou précaires qui observent avec dégoût les gains phénoménaux et vulgaires accumulés par les grands patrons et les vedettes du sport ou du spectacle.
Le débat sur les "très très hautes rémunérations", celles supérieures à plus d'un million d'euros mérite d'être lancé, tant au niveau français qu'européen. En effet, le haut de la pyramide française est une pointe très acérée qui s'allonge vers l'infini. Depuis une quinzaine d'année, les rémunérations des patrons de grands groupes, ceux du Cac 40 en particulier, des traders, des footballeurs ou autres stars du show business ont littéralement explosé. Par exemple, entre 1995 et 2010, la rémunération totale des patrons du Cac 40 a été multipliée par cinq ! Et par deux entre 2000 et 2010 ! Dans le même intervalle, la capitalisation boursière de l'ensemble des entreprises qui composent l'indice phare de la Bourse de Paris a été divisée par deux. Les patrons du Cac ont détruit plus de 400 milliards d'euros de valeur financière. Et ont détruit massivement des emplois dans l'Hexagone.
Cet emballement des hautes rémunérations patronales est dû à un empilement effarant d'une quinzaine de couches bien grasses et sucrées qui constitue un étrange millefeuille : avantages en nature, golden hello, fixe, variable, primes, dividendes, jetons de présence, stock-options, actions gratuites, parachutes dorés, retraites chapeaux, clauses de non concurrence, etc.
Or la hausse vertigineuse des rétributions patronales ou footballistiques s'est produite dans un contexte triplement sinistre :
- la stagnation du salaire net moyen des Français qui est d'environ 2 000 euros par mois en 2010 !
- près de 30% de la population active française gagne le Smic ou moins en 2010, soit moins de 1000 euros net par mois !
- le développement sans précédent des travailleurs pauvres dans notre pays. La France compte près de huit millions de pauvres officiels, soit 13% de la population totale. Un enfant sur cinq est pauvre !
Alors oui, il s'agit de raboter les rémunérations indécentes des traders, des patrons de grands groupes, des footballeurs ou autres "bouffon" qui divertissent les puissants. Tandis que se développe les travailleurs pauvres ou précaires. Rappelons qu'un travailleur pauvre est quelqu'un qui travaille mais qui n'arrive pas vivre décemment de son travail.
Le fruit est mûr en Europe et aux Etats-Unis où de nombreuses voix s'élèvent désormais pour une limitation des rémunérations pharaoniques injustifiées.
Nous en appelons donc à un vaste débat national, voire européen, sur la valeur du travail, c'est-à-dire sa rémunération optimale.
Sans vouloir fixer de ratio entre le salaire le plus bas et le salaire le plus élevé, il est nécessaire d'instituer des taux d'imposition marginale de plus de 60% pour les rémunérations qui dépassent le million d'euros, voire de 80% pour celles qui excédent les cinq millions.
Enfin, il faut réfléchir à l'interdiction des parachutes dorés, ces "primes" qui viennent récompenser l'échec et qui sont presque une incitation à la non réussite. De même, il faut bannir le système des retraites chapeaux qui viennent pérenniser à la retraite des avantages liés à une fonction que l'on exerce plus.
Oui, lançons un débat national sur la valeur du travail et sa juste rémunération !

Villemus Philippe  est l'auteur de "Le patron, le footballeur et le smicard" (editions dialogues.fr)