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18/09/00

L'Europe va-t-elle brider la liberté technologique ?

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Le conseil d'administration de l'office européen des brevets a récemment voté en faveur de la brevetabilité des logiciels en Europe. Cette décision, qui aurait été prise avec 10 voix pour et 9 contre, entérine une thèse soutenue de longue date par cette institution. Mais, cette décision, qui entraîne une révision de la convention de Munich, sera discutée, puis entérinée ou non par les pays membres de l'union européenne au mois de novembre. L'échéance d'un débat qui prend de plus en plus d'ampleur se révèle donc particulièrement proche. On peut penser que la décision qui sera prise à ce moment aura de fortes conséquences sur l'innovation et le développement de l'économie digitale.

Deux thèses s'opposent. L'office européen des brevets déclare, dans ses propositions de révision de la convention de Munich, qu'un large consensus existe en faveur de la disparition des logiciels de la liste des inventions non brevetable contenue dans l'article 52(2) de ladite convention. Si cette modification intervenait, elle aurait pour effet d'aligner le droit européen sur le droit américain applicable en la matière.

Mais la notion de "large consensus" est tout de même sujette à caution. En effet, depuis quelques mois, plusieurs initiatives ont vu le jour, faisant pencher la balance dans l'autre sens. Ainsi, par exemple, le député français Jean-Yves Le Déaut a adressé une lettre ouverte au gouvernement, le mettant en garde contre les dangers d'une telle décision. (voir notre article). La pétition, lancée par l'association Eurolinux.org, a, quant à elle, recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures. Ces faits peuvent conduire à penser que le consensus n'est pas si large.

En effet, si les brevets sur les logiciels devenaient valides, cela conduirait probablement a des situations pour le moins curieuses. Ainsi, les effets sur l'innovation, qui sont souvent mis en avant comme un avantage des brevets logiciels, ne sont pas garantis. De nombreux brevets sur des techniques utilisées par de nombreux sites web ont d'ores et déjà été déposés, la plupart par de grandes entreprises. Ainsi, la société Amazon a par exemple breveté le principe de l'affiliation, ainsi que le principe de l'achat en un clic, et n'hésite pas à poursuivre ses concurrents en justice. Priceline a breveté la vente de billets d'avion. L'éditeur O'Reilly propose sur son site une liste de ces brevets. L'opérateur de télécommunications British Telecom, qui détient un brevet américain sur les liens hypertextes (demande en 1976, brevet accordé en 1989), aurait ainsi décidé d'attaquer en justice tous les ISP américains.

Au niveau des effets sur l'innovation, une étude de James Bessen et Eric Maskin (Sequential Innovation, Patents, and Imitation), deux chercheurs du M.I.T., basée sur l'expérience américaine (les USA ont introduit la brevetabilité des logiciels en 1980) met en exergue le fait que l'innovation est séquentielle et complémentaire. La brevetabilité permet à une entreprise d'empêcher une autre de développer une nouvelle invention à partir de ses travaux, ce qui entraverait l'innovation. Il faut aussi préciser que le mouvement Open Source qui gagne de plus en plus d'importance, est bâti sur ce principe de liberté de circulation (et d'utilisation) de l'information, un principe rassemblant la communauté scientifique internationale et un principe qui est aussi à l'origine d'internet.

On peut donc penser que, en vue du développement de la société de l'information, et des conflits qu'elle peut engendrer vis à vis de la propriété intellectuelle (voir, par exemple, l'affaire Napster), la décision des pays européens, sera particulièrement importante. Espérons qu'elle aille dans le sens de l'égalité...

[Ludovic Blin, JDNet]


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