01/04/2001
Alessandro Thellung, IPWay : "le
dégroupage n'est pas pour demain matin..."
Auto-qualifiée
d'opérateur télécom de nouvelle génération
offrant des services voix et données sur IP, IPWay
a été fondée fin 1999 par Alessandro
Thellung et Didier Kerloch. Après un peu plus d'un
an d'existence, la société emploie 12 personnes
à Paris, plus 10 sur l'île de la Réunion
afin de mener des tests longue distance sans quitter la
France. Présent également en Italie et en
Espagne, l'opérateur compte s'implanter dès
ce début d'année en Egypte et au Maroc. Son
actualité récente tourne autour de la signature
d'un partenariat avec Qualiope concernant la mesure de la
qualité de service en voix sur IP. Afin de nous présenter
son entreprise encore jeune (2 millions de francs de
chiffre d'affaires), Alessandro Thellung nous dévoile
sa stratégie et nous explique les incidences de son
nouveau métier.
JDNet
Solutions : qu'est-ce qui vous a motivé pour fonder
IPWay ?
Alessandro Thellung : Fin 1999, j'ai croisé
Didier Kerloch et nous avons partagé des vues sur
le marché. Il travaillait à l'époque
chez IXNet, un opérateur pour les salles de marché.
Or, chacun à notre poste, nous avions tous les deux
vu qu'il existait une place à prendre sur le marché
des services liés à la convergence. Cette
convergence, nous pouvions surtout la voir au niveau des
équipementiers, à l'origine de nombreux rachats
comme celui de Xylan par Alcatel. Mais nous ne voyions pas
bouger les opérateurs de services face à ce
nouvel esperanto qu'est la convergence sur IP. Nous nous
sommes donc décidés à fonder un opérateur
de nouvelle génération en France, focalisé
sur l'Europe du Sud et le bassin méditerranéen.
Quelle
est votre stratégie en tant qu'opérateur ?
Premièrement, nous sommes en
train de bâtir un réseau tout IP. Nous ne creusons
pas des tranchées, mais nous sommes en train de nous
doter d'un réseau propriétaire en louant la
bande passante à d'autres opérateurs. Nous
avons un backbone de nouvelle génération sur
un seul niveau contrairement aux autres qui sont sur plusieurs
couches.
Que
signifie un réseau de nouvelle génération
?
En gros, il s'agit d'un réseau
unifié avec un niveau de transport très simple,
soit en ATM soit en SDH. Le protocole IP se situe juste
au dessus en éliminant toutes les couches intermédiaires.
D'après les analystes, ce type d'architecture permet
de réduire de 50 à 70 % les coûts
d'opération et d'environ 30 % les coûts
d'investissement.
Dans les faits, nous voyons l'importance de cet aspect économique
sur les marchés que nous avons mis en place. Depuis
l'île de la Réunion, nous proposons la minute
téléphonique loin en dessous du prix habituel,
tout en gardant une marge confortable. Ceci est possible
grâce au fait de gérer sur un PC industriel
à 4 000 francs ce qu'il fallait gérer
auparavant avec un ordinateur central.
Votre
offre en matière de réseaux comporte-t-elle
d'autres avantages ?
En terme d'optimisation de la bande
passante, nous avons développé un algorithme
pour lequel nous avons été reconnus comme
entreprise innovante par l'Anvar. Nous procurons ainsi une
double économie au niveau de l'équipement
pour la bande passante, mais aussi en terme de maintenance
centralisée avec un accès IP. Notre flexibilité
est dix fois supérieure à celle d'un opérateur
historique car nous proposons une façon rapide d'implémenter
de nouvelles offres par des packages, des développements
de produits, et l'intégration entre la voix et les
données. Et il est encore possible de raccourcir
les délais entre la création et l'implémentation
d'un service grâce à une tarification simplifiée.
Peut-on
aussi vous qualifier d'opérateur de voix sur IP ?
Je fais la distinction entre ce que
nous réalisons aujourd'hui et ce que nous voulons
réaliser demain. A l'heure actuelle, nous tenons
à prendre position en tant qu'opérateur de
qualité garantie irréprochable vis-à-vis
de nos clients finaux, c'est à dire les opérateurs
traditionnels. Au niveau réseau, nous pratiquons
l'intégration de code 7 selon les normes CCITT internationales
d'interconnexion entre opérateurs. Nous le faisons
en voix sur IP car le prix d'achat est plus intéressant,
et à un certain niveau de qualité.
Quelles
problématiques la mesure de la qualité de
service en VoIP pose-t-elle ?
Nous avons signé un partenariat
avec Qualiope et leur classement s'appuyant sur leur outil
Cold Metrix est déjà en ligne. Mesurer la
qualité de la voix sur IP, c'est connaître
vraiment la façon de percevoir la qualité
de la voix de la part de l'utilisateur. Contrairement aux
données, il ne s'agit pas d'une technique physique.
Avec Qualiope, nous avons défini un ensemble de paramètres
en terme de qualité comme le délai d'établissement
de la communication, l'atténuation selon le niveau
et le délai de l'écho, etc. Ces critères,
classiques pour une communication en voix normale, sont
nouveaux pour la voix sur IP. Celle-ci implique en effet
une connaissance du métier d'opérateur de
télécommunications, ce dont témoigne
notre partenariat avec Qualiope.
Pourquoi
est-ce si différent vis-à-vis des données
?
Pour un réseau d'ordinateurs,
la bande passante se partage entre le nombre de connectés
à une heure lambda. C'est le principe du "best
effort" pour l'opérateur de télécommunications,
qui fait de son mieux pour partager les ressources afin
que tout le monde puisse les utiliser. Mais typiquement,
lorsque le réseau est surchargé, les pages
s'affichent plus lentement. En parallèle, pour tout
ce qui est application temps réel comme la voix,
cela devient fatal.
Certains
disent que la qualité de service n'est pas un vrai
problème. Qu'en pensez-vous ?
Je suis assez d'accord pour dire que
celle-ci a suscité pas mal de bavardages, et qu'il
faut bien la définir avant d'en parler. Mais ce n'est
pas un faux problème car la question est de savoir
si vous arrivez à communiquer ou non. En attendant,
sur un réseau IP, il faut d'abord savoir s'il est
possible de garantir quelque chose. Nous le pouvons sur
notre réseau IP parallèle à Internet.
Mais sur Internet, c'est structurellement impossible.
Parfois, les clients entendent trop parler de la mesure
de la qualité de service et en ressortent agacés.
C'est la logique des opérateurs traditionnels de
dédommager les clients en cas de pépin, mais
ces derniers ne sont plus intéressés par ce
modèle. Ils veulent que ça marche plutôt
que d'être remboursés.
Quelle
est, ou sera, l'étendue de votre réseau ?
Pour l'instant, notre réseau,
qui a une vocation d'échelle européenne, est
axé sur l'Europe du Sud. Pour cela, nous nous appuyons
sur un partenariat que nous avons signé avec l'opérateur
Carrier1. Ce sont des personnes très dynamiques avec
qui nous travaillons de façon efficace.
Dans une deuxième phase, notre réseau va passer
d'un backbone européen à plusieurs réseaux
nationaux. Mais ce n'est pas encore le moment et il faudra
attendre la seconde moitié de l'année. Car
il faut d'abord laisser au dégroupage le temps de
faire sa route.
Nos liaisons à nx2Mbps sont en cours de construction
entre Paris, le Maroc et l'Egypte, et nous sommes déjà
reliés à Milan. Lorsque je dis cela, on pourrait
croire que nous sommes opérateurs de réseaux,
mais nous sommes plutôt positionnés en tant
qu'opérateur de services IP.
Par
conséquent, quel portefeuille de services offrez-vous
aux entreprises ?
Nous allons proposer des services
de voix sur IP comme la messagerie unifiée, les boutons
clic-to-talk, etc. Nous sommes complètement à
fond dans les services à valeur ajoutée. D'ailleurs,
je crois en une séparation de plus en plus nette
entre les opérateurs de transport et les opérateurs
de services. En particulier, les opérateurs nouveaux-nés
ne peuvent se permettre de se situer entre les deux positionnements.
Pour l'instant, donc, nous vendons nos services de voix
sur IP aux opérateurs traditionnels qui ont intérêt
à les acheter car ils bénéficient d'une
flexibilité immédiate. A terme, nous développerons
aussi des services à valeur ajoutée pour les
ISP et les entreprises.
Comment
votre offre va-t-elle évoluer ?
Pour après, nous parlons d'une
troisième phase qui consistera à développer
des services convergents voix et données pour les
entreprises, en particulier les grandes PMEs du middlemarket.
Il s'agit d'une cible spontanée pour les opérateurs
de nouvelle génération, et qui demande des
services d'accès simples et packagés au monde
Internet, comprenant les aspects de sécurité
et de qualité. Nous pouvons imaginer un package à
leur attention, une sorte de IPWay Box complètement
IP capable de gérer toutes les communications vers
l'extérieur. Dans ce cadre, nous délivrerions
la connexion à Internet, des services de messagerie
et de gestion des DNS, l'installation et le paramétrage
de firewalls, la création de VPN (réseaux
privés virtuels) pour la voix sur IP... plus d'autres
services en terme de collaboration notamment, qui pourraient
être intégrés en provenance d'un fournisseur
ASP avec qui nous travaillons.
Etes
vous intéressés par le fait de développer
une activité de location d'applications en ligne
?
Aujourd'hui, nous n'avons pas encore
intégré cette offre dans le business plan,
mais nous y réfléchissons et en discutons
avec deux ou trois ASP pour nous positionner en fonction
de leurs besoins dans le cadre d'éventuels montages
de partenariats. Aujourd'hui, les fournisseurs ASP se cherchent
un peu, et nous pouvons les aider en leur fournissant des
services d'intégration voix et données.
Quand
pensez-vous que la large bande ne sera plus un problème
au niveau local ?
De notre côté, nous pensons
attendre vers la fin de l'année 2001 pour lancer
l'offre à destination des entreprises. Car lorsque
l'on regarde le chemin du dégroupage, il devrait
se dérouler en plusieurs phases. En effet, ce
n'est pas demain matin que nous disposerons d'une véritable
alternative en terme de large bande face à France
Télécom. Plus de 37 opérateurs
pratiquent actuellement des tests XDSL mais je ne sais pas
combien l'auront réellement déployé
d'ici la fin de l'année. Actuellement, la seule possibilité
pour acheter du haut débit en local reste France
Télécom.
Avant de co-fonder IPWay fin 1999, Alessandro Thellung,
40 ans, était depuis 1998 directeur marketing
de 9Telecom, joint-venture entre Bouygues et Telecom Italia.
Auparavant, il a dirigé la filiale TMI France de
cette dernière à partir de 1995. A ce titre,
il a largement contribué à l'explosion de
son chiffre d'affaires de 3 millions de francs en 1994
à 125 millions de francs en 1997, et a permis
l'ouverture de ses 7 points de présence sur
le territoire français. En 1993, il ouvre le bureau
français de Italcable, société rachetée
en 1994 par Telecom Italia. Alessandro Thellung est titulaire
d'un doctorat en mathématiques obtenu à l'université
en Italie.
|