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05/03/2001

Crise et renouveau des méthodes. Acte I : l'échec du modèle Mac Donald's

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Tout au long de ma carrière (plus de vingt ans de métier, ça commence à compter !) j'ai pu constater et analyser de nombreuses situations sur le terrain. De même, j'ai observé l'évolution de notre secteur vis-à-vis de l'approche méthodologique tout au long de ces vingt dernières années au gré de ses modes et de ses tournants. J'ai même été un auditeur assidu des " journées internationales du Génie Logiciel " (Génie Logiciel, on appelait ainsi les tentatives visant à améliorer la production du logiciel, même cette appellation est tombée en désuétude…) qui se tenaient à Toulouse à la fin des années 80. Aujourd'hui, il est clair que les méthodes traditionnelles sont en crise et c'est normal. Comment les méthodes sont apparues, pourquoi elles sont passées du succès au désaveu en quelques années et que reste-t-il de tout cela, c'est ce que nous allons voir ensemble maintenant…

La démarche de développement chaotique
L'apparition des méthodologies de développement et de suivi de projet peut être vue comme une réaction à la démarche "chaotique" qui prévalait dans les premiers temps de l'informatique. La plupart des activités de développement logiciel suivaient un cours chaotique souvent caractérisé par la phrase "coder et corriger". Le logiciel était écrit sans vraiment de plan d'ensemble et la conception des systèmes était le fruit de nombreuses décisions basées sur le court terme (tout cela est encore vrai dans bien des cas…). Ce type de pratique peut convenir pour des petits programmes mais si on veut mettre en place des applications plus importantes, il devient de plus en plus difficile d'ajouter des fonctions aux systèmes au fur et à mesure de sa " construction ". De plus en plus de défauts deviennent proéminents et il devient de plus en plus difficile de les corriger.

Un longue période de tests après que le logiciel soit considéré comme terminé sur le plan fonctionnel est un signe typique de ce type de démarche. Une longue période de test vient remettre en cause le calendrier du projet puisque la durée des tests et du debug sont presque impossibles à évaluer.

L'alternative au chaos : les méthodes
Nous avons vécu avec ce style de développement pendant longtemps mais il existe aussi une alternative depuis longtemps : les méthodologies de développement et de suivi de projet. Les méthodologies imposent une discipline sur les processus de développement logiciel avec pour but de rendre le développement plus prévisible et plus efficace. Ce but est théoriquement atteint en suivant un enchaînement rigoureux de tâches et en respectant à la lettre un planning détaillé. Ces méthodologies informatiques sont inspirées ou même dérivées des pratiques connues dans d'autres disciplines faisant appel à l'ingénierie.

La critique la plus fréquente qui est faite à l'encontre de ces démarches c'est qu'elles sont bureaucratiques. Il y a tant à faire pour simplement suivre la démarche que le rythme des projets s'en trouve ralenti. Du coup, on les appelle souvent les méthodologies lourdes voire "monumentales"… Les méthodes monumentales sont basées sur un gros classeur où tout est décrit et où tout doit être consigné. Ces méthodologies sont connues et utilisées depuis le tout début des années 80. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles n'ont pas donné de résultats spectaculaires et, conséquence logique, elles deviennent de moins en moins populaires. Ces approches sont surtout conçues pour que les intervenants de base sachent au moins où il faut poser les pieds pour avancer et ainsi donnent l'illusion de savoir ce qu'ils font…

L'approche classique : le modèle Mac Donald's
L'approche classique : le modèle Mac Donald's
Le désaveu qui a frappé les méthodes traditionnelles s'explique facilement : ces démarches strictes sont sans doute adaptées aux domaines de la fabrication en série mais pas pour le développement logiciel qui est très éloigné du systématisme qui y a cours. Prenons l'exemple de Mac Donald's et de ses Big Macs et vous allez me comprendre…

Qu'on le veuille ou non, qu'on y croit ou pas, Mac Donald's ne doit pas son succès au seul marketing mais bien à son approche de la qualité dans la gestion de ses processus de fabrication. Oui, j'ai bien écrit qualité mais ici ce terme doit se comprendre dans le sens de " constance de résultat " et non comme " goût délicieux ". Un manuel épais pour les cerveaux plats Pour garantir la constance du résultat, Mac Donald's remet un épais manuel à chaque franchisé où tout est consigné, depuis le temps de cuisson jusqu'aux gestes à faire (et l'ordre de ces gestes, la position des opérateurs, leur tenue vestimentaire, les moyens mnémotechniques de contrôle de l'erreur, etc., etc.) pour obtenir le fameux Big Mac. Cette assistance hyper-rigide et hyper-codifiée a été conçue, par des gens raisonnablement intelligents, pour que d'autres gens, même stupides, gardent une bonne chance d'aboutir avec succès dans la réalisation systématique du même produit n'importe où dans le monde et que ce résultat ait le même goût partout et tout le temps. Hamburgers, logiciels, même recette ? Et ça marche. En tout cas, ça marche pour les hamburgers dans des boîtes en plastique.


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(rubrique Solutions e-business)

Beaucoup de méthodes, peu de progrès...
Pour ce qui est de la réalisation de logiciels, c'est déjà plus discutable. Ceci dit, cette approche permet de donner l'illusion au client (celui qui paye pour qu'on lui développe ses applications et ses sites, pas celui qui est d'accord pour manger des Big Macs après avoir fait la queue dans un univers en plastique aux couleurs criardes) que son prestataire se préoccupe de la qualité des prestations puisque ses représentants (de jeunes diplômés faiblement compétents en matière de développement mais maîtrisant bien la langue de bois obligatoire préconisée par la " Méthodologie maison "…) produisent des tonnes de papiers, documents d'analyse, rapports d'avancement, graphes de conception, etc. Le problème avec cette débauche d'énergie et de documents, c'est qu'on ne parle pas d'applications ou de logiciels mais seulement de respecter la démarche…

Chez Mac Donald's au moins, les hamburgers sont cuits et livrés ! Bref, l'approche Mac Do, c'est un peu "méthodologie pour les nuls" et ce n'est pas vraiment que l'on cherche, n'est-ce pas ?

Pendant des années, le domaine des méthodes informatiques a été agité par une activité soutenue : les modes s'y succédaient, les gourous pullulaient et les débats faisaient rage. Les clients y croyaient et n'hésitaient pas à dépenser des sommes importantes en outils et en séminaires. Au temps des premiers pas du génie logiciel, l'idée était simple et élégante : créons des logiciels qui nous aident à écrire des logiciels. Mais, rapidement, les choses sont devenus incontrolables : les outils sont devenus trop lourds et trop contraignants pour apporter une aide réelle dans les projets de développements. Ces outils qui ont été créés à l'origine pour nous aider à suivre les règles sont devenus trop difficiles à utiliser par eux-mêmes. Les développeurs d'applications trouvèrent nécessaires de pratiquer des raccourcis et même " d'oublier " des pratiques importantes simplement pour respecter les délais des projets où ils étaient engagés.

La nostalgie de l'âge d'Or des méthodes
On ne peut pas se souvenir sans une certaine nostalgie de ces vagues successives : d'abord l'approche conceptuelle (avec Merise côté français mais les autres ont aussi eu droit à la dictature des méthodes basées sur le couple " entités-relations "), la mode du CASE l'acronyme CASE était censé signifier Computer Aided Software Engenering) ou l'espoir mis dans le développement articulé autour d'un " référentiel " (ah, AD Cycle et le Repository, qu'êtes-vous donc devenus ?). Aujourd'hui, toute l'effervescence autour des méthodes et des outils accompagnant ces méthodes est bien retombée faute de bénéfice. Un bilan désastreux Sous bien des aspects, le bilan des développements associés à ces pratiques est terrible. Ces mauvais résultats découlent, entres autres, d'une approche planificatrice (démarche inspirée par la doctrine des méthodes classiques) symbolisée par la mode du " schéma directeur " qui sévissait au début des années 80.

Les directions informatiques payaient alors très cher quelques consultants issus de cabinets réputés afin de rédiger un " plan d'orientation général des développements " (une définition approximative de la notion de " schéma directeur "). Souvent, ce plan d'ensemble était composé de deux parties : un volet fonctionnelle (analyse des besoins et des demandes afin de déterminer les applications qu'il fallait développer) et un volet technique (définition d'une architecture informatique et réseau capable de supporter les applications envisagées et choix des outils pour les développer). Il fallait des mois pour établir ce plan qui, à peine publié, était déjà dépassé par l'évolution de la technique et par l'évolution des demandes des utilisateurs. Lorsqu'enfin on tenait le précieux document, on pouvait passer à l'examen des demandes et à la mise en œuvre des projets. Et là, une fois encore, on repartait pour un nouvel " effet tunnel " : rien ne voit le jour pendant un certain temps et quand l'équipe émerge avec son application, le contexte a encore changé !

Bref, cette approche planificatrice à outrance n'a rien donné de bon et a contribué au désaveu général qui a frappé les méthodes classiques. Questions légitimes · Comment se fait-il que l'apport des méthodes soit aussi maigre ? Comment est-il possible que des années d'efforts, des armées de consultants et d'experts n'aient donné aucun résultat ou presque ? · Pourquoi les évolutions successives des différentes approches ont-elles produit des progrès aussi minces (voire pas de progrès du tout) ?

Réponses dans notre édition de demain :
"Crise et renouveau des méthodes, acte II :
la découverte du peopleware"

[Alain Lefebvre, Vice-président du Groupe SQLI ]


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