Face au resserrement des budgets
informatiques, reviennent au premier plan les méthodes
d'évaluation - le plus minitieusement possible
- des impacts économiques des choix technologiques.
Pour le DSI, qui n'a pas le droit à l'erreur, quels
outils sont aujourd'hui les mieux adaptés ?
"Il y a eu deux grandes
étapes
dans l'évolution récente des indicateurs -
explique Hervé Payan, directeur commercial d'EDS,
et ancien du monde de la finance. Il y a 30 ans environ,
les Directeurs achat de l'industrie ont commencé
à comprendre que le coût total d'une machine
est loin de se résumer à son prix d'acquisition".
Que
faut-il ajouter ? Le prix de la main d'oeuvre qui va
faire fonctionner la machine, le coût occasionné
par les périodes de panne, les coûts liés
à sa maintenance, ceux qui correspondent à
l'espace immobilier qu'elle occupe, et enfin la somme
qu'il faudra débourser pour se débarrasser
de cette machine et lui en substituer une autre. D'où
la remarque suivante (somme toute de bon sens):
une machine A peut coûter moins cher à
l'achat qu'une machine B, mais coûter beaucoup
plus cher après cinq ans d'utilisation.
TCO
et instruments financiers : un beau mariage
En 1986, le Gartner Group s'inspire des travaux de l'industrie,
et applique ce principe à l'informatique en introduisant
le TCO - Total Cost of Ownership, ou Coût
Total de Possession. Pour son premier calcul, le Gartner
tente d'évaluer le coût réel d'un
terminal informatique. Le chiffre auquel parviennent
les analystes est astronomique : 13 000 dollars.
Les observateurs sont dubitatifs, y compris au sein
du Gartner.
Mais
le temps passe et les informaticiens se rendent aux
évidences : le TCO est non seulement un
indicateur pertinent, mais il constitue un outil d'analyse
révolutionnaire. Ironie du sort, l'approche qui
a inspiré le TCO se généralise
grâce à l'informatique, qui seule permet
d'effectuer les calculs complexes que le TCO exige.
Aujourd'hui, la méthode est passée dans
les moeurs, en dépit de quelques défauts
indéniables.
Le
TCO est la base même de tout calcul de rentabilité.
Mais il ne se suffit pas à lui même :
pour affronter son Directeur financier, le DSI doit
évaluer le passif et l'actif de la solution qu'il
souhaite implémenter. Il devra par exemple connaître
le coût total de la fusion de ses trois datacenters
(passif), puis calculer les économies qu'il espère
dégager (actif). En d'autres termes, il s'agit
de mettre en balance, avec le TCO, les bénéfices
escomptés.
Vient donc le moment fatidique : celui du calcul
de la balance passif/actif. On peut faire un simple
calcul de retour sur investissement (ROI) : il
s'agit de déterminer la durée de vie de
la solution, et de diviser les gains escomptés
par les coûts engendrés. Mais on peut faire
beaucoup mieux encore.
"Le
ROI manque de réalisme : mieux vaut recourir
au NPV - Net Present Value -, qui est un indicateur
robuste, antédiluvien même. On construit
ici un scénario plus précis, avec les
gains et les bénéfices année par
année. On prend donc en compte la valeur temps
de l'argent : si les bénéfices arrivent
beaucoup plus lentement que les dépenses, cela
se traduira par des coûts de trésorerie"
explique Hervé Payan (EDS). Avec le NPV, le calcul
est nettement plus précis.
Affiner
encore l'analyse avec le TEI
Le couple TCO - NPV serait-il l'arme fatale du
DSI ? Pas certain ... On peut encore mieux
faire : "il y a une approche prometteuse,
qui porte le nom de TEI - Total Economic Impact -
et qui a été créée par le
Giga Group. C'est la deuxième grande innovation
moderne dans le monde des indicateurs".
Le niveau d'analyse s'affine, puisque le TEI incorpore
le TCO, et qu'il prend aussi en compte :
-
Les bénéfices - Le calcul
des bénéfices est directement intégré
au TEI - dans le cas du TCO il faut l'effectuer
à part. Ce calcul est approfondi : on tente
d'évaluer les répercussions positivies
d'un choix sur tout le système d'information,
mais aussi sur les métiers de l'entreprise, et
sur les résultats des "business units".
Un outil de CRM pourrait par exemple améliorer
la loyauté des clients.
- La flexibilité - Le TEI considère
qu'on est pas embarqué dans un projet figé,
que la barre n'est pas soudée sur un même
cap : il est toujours possible d'en changer. Tout
au long de la durée de vie du projet, on pourra
faire des choix. Celui de liquider le projet par exemple,
et de reconvertir les moyens humains et techniques mobilisés.
Celui de valoriser deux fois certaines dépenses :
imaginons qu'un DSI implémente un ERP. Les efforts
d'intégration qui précèdent sa
naissance peuvent être économisés
sur un futur projet de SCM. D'où cette règle :
pour chaque option, un scénario doit être
calculé.
- Les risques - Un bon chef de projet
se doit d'évaluer les risques qu'il fait encourir
à son enteprise. L'éditeur de ma solution
est-il disponible et pérenne, l'architecture
de ses produits est-elle souple, a-t-elle un avenir
incertain ? La taille du projet, son timing, sont-ils
faciles à maîtriser ? Y a-t-il un
risque que le projet échoue à cause de
la culture d'entreprise ? Autant de questions qui
permettent de prendre la mesure du risque encouru.
Sagesse
paysanne
Cette approche plonge ses racines dans les recherches
de l'industrie pétrolière : "chez
les majors, les budgets sont tout à fait colossaux,
et les projets sont sujets à de nombreuses incertitudes :
il est capital qu'elles sachent se projeter à
travers des choix multiples" se souvient Hervé
Payan. Cette approche est donc à la fois très
sophistiquée, et emprunte d'une sagesse toute
paysanne : lorsqu'il achète une vache, le
paysant sait qu'il peut revendre l'animal à un
abattoir, si deux ans plus tard son lait ne lui rapporte
finalement pas assez.
Mais attention : le TEI
n'est pas toujours utile. Il est même parfois
superflu : "si je fusionne trois datacenters,
mes options de flexibilité sont très pauvres,
et le TEI perd de son intérêt. Inutile
de dépenser de l'argent pour rien. Par contre,
lorsque je mets en place un ERP, les problèmes
sont complexes et les options sont nombreuses. Le TEI
se justifie pleinement" - distingue Hervé
Payan.
Le TEI reste un indicateur
marginal : "Dans le milieu de l'externalisation,
on le rencontre très rarement" constate
Hervé Payan. Il ne jouit pas de la confiance
dont jouit le TCO, et il n'est pas familier aux financiers
et aux DSI. Mais c'est un indicateur encore fort jeune
qui a un bel avenir devant lui : il apporte indéniablement
un plus à la gestion des projets.
TEI et TCO partagent évidemment
des défauts communs. Celui du coût, tout
d'abord : une étude de ce type coûte
au minimum 20 000 euros. Ce qui réserve
TCO et TEI à certains projets seulement :
il faut savoir se priver d'une étude de TCO,
et ne pas hésiter à évaluer le
... ROI d'une étude de TEI ! "Le
coût de ces études les réserve aux
gros projets complexes, comme l'implémentation
d'un ERP - confirme Hervé Payan. A quelques
exceptions près : quand on a un parc de
50 000 machines, on peut à juste titre faire
des études de ROI sur tous les aspects du SI :
le coût des études sera amorti par les
économies générées à
cette échelle".
Dernier défaut :
ces études se fondent sur des prévisions.
Les errements de certains cabinets d'études nous
ont bien montré que, lorsque l'on tente de prédire
ce qui va se passer dans le futur, on marche sur des
oeufs. TCO et TEI souffrent donc d'une grande marge
d'incertitude, à moins de recourir à certaines
astuces, comme l'explique Hervé Payan dans cette
interview.
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