Il
y a un drôle d'argument qui excite les réflexions des
managers américains ces derniers mois : l'informatique
n'aurait plus d'importance. Elle n'influerait pas plus
que l'électricité, le chauffage sur la stratégie de
l'entreprise. C'est Nicholas Carr dans Harvard Business
Review qui a déclenché la polémique. Son article intitulé
"Why
IT Doen't Matter Anymore"
repose sur l'observation suivante : l'informatique est
omniprésente dans l'entreprise moderne. Et qu'est-ce
qui rend une ressource vraiment stratégique ? C'est
sa rareté et non sa large diffusion. Conclusion : tous
les managers qui pensent que l'informatique joue un
rôle fondamental dans le développement de leur affaire
se trompent et ils feraient mieux d'investir leur argent
ailleurs.
L'auteur
insiste sur le fait que l'on consacre beaucoup trop
d'argent aux technologies de l'information. Selon une
étude du département du commerce américain qu'il cite,
l'informatique représentait 5% des investissements des
entreprises en 1965, puis 15% dans les années 1980 avec
l'introduction des micro-ordinateurs. Dans les années
1990, on aurait atteint plus de 30% et en 2010 on en
sera à... 50% ( !). En plus de cela, Nicholas Carr affirme
qu'une grande partie de ces investissements est inutile
: on achète de l'espace de stockage pour abriter des
tera-octets de spam, de fichiers MP3 et de clips vidéo
(évidemment nuisibles à l'activité de l'entreprise).Le
remède est énoncé en trois principes : primo, dépensez
moins ; secundo, contentez-vous de suivre et ne précédez
pas (vous diminuerez les risques d'essuyer les plâtres
des nouvelles technologies) ; tertio, concentrez-vous
sur les vulnérabilités de vos services informatiques
et non pas sur les opportunités qu'ils peuvent vous
apporter. Des conseils d'un conservatisme surprenant
de la part d'un collaborateur d'une publication américaine
aussi éminente que Harvard Business Review.
Mais
ce qui choque le plus, c'est le manque de vision sur
les opportunités actuelles, comme le souligne Bob Evans,
rédacteur en chef d'Information Week (voir Business
Technology : IT Doesn't Matter ?). L'informatique
n'est pas une source d'énergie comme une autre, elle
permet d'établir de nouvelles formes de collaboration
ou d'échanges (que serait Price Minister sans sa base
de données et son moteur de recherche ?), de réformer
des pans entiers d'activités (comme la logistique et
le transport), d'initier de nouvelles relations avec
sa clientèle. Ne s'agit-il pas de points importants
pour la stratégie d'une entreprise ? On dirait que M.
Carr n'en a cure comme le confirme à nouveau une interview
dans Business Week cette semaine : The
Tech Advantage is Overrated.
Les
prises de position de Nicholas Carr expriment sans doute
une vague de déceptions qui sont apparues avec l'éclatement
de la bulle Internet : on a trop faire croire à des
investisseurs naïfs qu'ils suffisait de mettre en ligne
un site Web connecté à une base de données pour faire
fortune. Voilà le résultat. La réalité est tout autre.
Il ne s'agit pas de se laisser aveugler par les promesses
technologiques : les informaticiens savent bien qu'ils
ne pourront plus lancer aujourd'hui un seul projet dont
la seule justification serait de faire entrer une nouvelle
technologie dans l'entreprise. Mais ils doivent également
être conscients de ce qu'ils peuvent apporter aux directions
métiers. C'est dans un dialogue constructif avec les
différentes branches de l'entreprise que l'informatique
comptera. Plus que jamais.
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