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Isabelle Collet
Auteure de L'informatique a-t-elle un sexe ?
Isabelle Collet
"Il faut abattre cette image de l'informaticien hacker associal qui n'est pas représentative du métier"
Post-doctorante à l'université Paris X, Isabelle Collet a cherché à comprendre les raisons de l'image masculine de l'informatique et s'est prêtée au jeu des questions-réponses avec nos lecteurs.
16/11/2006
 
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Isabelle Colet
Sachant que les filles ont un usage de l'espace public plus "discret" et plus "raisonné" que les garçons, agissent-elles de la même façon avec l'usage de l'ordinateur ?
Isabelle Collet. L'ordinateur, et en particulier Internet, permet un usage "anonyme" et protégé de l'espace public virtuel. Les garçons en profitent aussi d'ailleurs... Donc, certaines filles peuvent s'affranchir de leur réserve pour prendre possession de l'espace public virtuel.

Néanmoins, les filles et les garçons n'ont en général pas les mêmes usages de l'ordinateur. Surtout pour des questions d'intérêts divergents. Globalement, les filles l'utilisent davantage pour les relations avec les autres (chat, mail, forum) et les garçons davantages pour trouver des logiciels, jouer en réseaux, etc.

Qu'en est-il de la dichotomie "les hommes s'interessent à l'outil et les femmes à l'usage" (caricatural) ?
Vous avez assez raison, même si, comme vous dites, c'est caricatural. Bien sûr, on ne peut pas généraliser pour toutes les femmes et tous les hommes... Disons que dans le groupe de ceux qui utilisent l'ordinateur comme une fin en soit, plus que comme un outil, il y a quasiment uniquement des hommes. Dans le groupe de ceux et celles qui en font "usage", on trouve des 2.

   
  Le secteur de l'informatique est loin de la parité hommes-femmes"
Avez-vous remarqué des barrières à l'entrée du monde informatique mis en place par les hommes et qui pourraient empêcher les femmes d'y mettre leur nez ?
En premier lieu, il faut dire que les salaires à l'embauche des hommes et des femmes dans les métiers informatiques sont égaux depuis quelques années. C'est assez rare.

Néanmoins, les femmes sont toujours suspectées d'incompétence, non pas par la majorité de leurs collègues, mais par un ou deux, de temps en temps...

Quand ce collègue est leur supérieur, les conséquences sont problématiques, sur l'avancement et aussi sur "l'ambiance" dans le groupe de travail...

Enfin, si les salaires sont égaux à l'embauche, l'écart se creuse dès 30 ans

A une époque où chacun revendique une parfaite parité, la question de savoir si l'informatique a un sexe a-t-elle un sens à proprement dit ?
Si vous me demandez : "les hommes et les femmes ne peuvent-ils pas faire de l'informatique de la même manière, je vous réponds : "oui, évidemment". Maintenant, parité signifie 50% d'hommes et 50% de femmes. Et là, l'informatique en est très loin...

Y a-t-il un profil type d'informaticiens ? Est-ce différent du profil type d'un scientifique ?
Il n'y a pas un profil type "réel" de l'informaticien. Mais il y a un "idéal-type" de l'informaticien. Une sorte "d'image d'Epinal" de ce qu'un informaticien est supposé être.

En effet, ça ressemble beaucoup au scientifique, avec une dimension "Geek" en plus. En gros, une version possible de l'informaticien type, dans sa version péjorative, c'est celui de Jurassik park !!! Néanmoins, si ces informaticiens-types existent (approximativement, des hommes, peu sociables à part entre eux, et très investis dans la relation à la machine), ils ne sont pas majoritaires et ne résument pas la population des informaticiens, loin de là.

Les études scientifiques post-bac séduisent-elles autant de femmes que d'hommes d'une manière générale ? N'y a t'il pas des domaines réservés à tel ou tel sexe (la biologie a un public très féminin et la physique plutôt masculin) ?
C'est clair, les disciplines sont socio-sexuées. On retrouve beaucoup de femmes en biologie (plus de 60%) et peu en maths ou informatique. Je ne crois pas que la "nature" des hommes et des femmes y soit pour quoi que ce soit.

Après tout, je suis moi-même une ancienne informaticienne... Je suis convaincue que l'éducation familiale, l'école, les images des médias, les stéréotypes que la société véhicule, en sont les responsables.

N'y avait-il pas au démarrage de la population informatique, une tribu de quasi-autistes qui préféraient s'adresser à des machines prévisibles plutôt qu'à des humains imprévisibles et (cliché) des femmes encore moins prévisibles ?
Oui, là on est de nouveau dans l'image d'Epinal de l'informaticien...Mais vous avez absolument raison, ces personnes existent. Et même si elles sont minoritaires, elles ont frappé l'imaginaire commun.

Il est vrai que l'informatique est un monde d'ordre. Les règles de l'informatique sont rigoureuses, mais on peut jouer avec quand on les connait. Pour l'informaticien compétent, rien n'est incompréhensible dans le monde virtuel, ou du moins, tout est explicable.

C'est bien plus confortable que la vie réelle. Le programmeur virtuose peut jouer à Dieu dans le monde virtuel, supposé reproduire le monde réel. Ce confort, cette maîtrise, cette sécurité, on ne la retrouve jamais dans le monde réel.

   
  Il est difficile de définir ce qu'est un informaticien"
L'informatique, c'est aussi les jeux. Quels types de jeux attirent plus les hommes que les femmes et vice-versa ? Quelle relation ont ces deux univers ?
Il y a 2 types de jeux sur ordinateur. Les jeux auxquels on joue le plus, de manière générale, ce sont les solitaire, dame de pique ou, plus ancien, Tétris, etc. L'ancètre de tous les jeux, "Pong", n'avait rien d'un jeu "guerrier". Sur ce type de jeu, on a des hommes et des femmes qui jouent. Idem pour les mini jeux sur Internet, comme "élever son dragon".

Ensuite, les jeux en réseau, emblématiques du jeux vidéo, comme Doom Like, First Personn Shooter, etc, sont plus de jeux de garçon. Pour autant il y a peut-être plus de joueurs et joueuses d'animal crossing ou de Nintendog que de joueur de Counterstrike. Donc, finalement, les filles jouent également beaucoup mais pas aux mêmes jeux, et ce ne sont pas de ceux-là qu'on parle le plus.

De plus, les informaticiens très impliqués dans la relation à la machine ne sont pas toujours les plus grands joueurs, certains ne jouent pas du tout. Il n'en reste pas moins que le jeu en réseau devient emblématique de l'activité informatique.

Avez-vous pu observer des similitudes parmi les étudiants qui choisissent l'informatique  ? Ont-ils des attentes similaires ?
Il y a en gros (en très gros) trois types d'étudiants. D'abord, ceux qui aimeraient devenir le meilleur hacker du monde et pirater le Pentagone... En général, ils sont assez vite déçus par le contenu de la formation...!!

Ensuite, il y a beaucoup d'étudiants qui "aiment faire des choses avec un ordinateur", qui ont, semble-t-il des facilités dans ce domaine, et cette voie leur semble la meilleure.

Enfin, il y a quelques étudiants (et c'est là qu'on trouve la plupart des filles) qui ont une vision assez juste des métiers et qui font ce choix de filières parce que les métiers auxquelles elles conduisent leur plaisent.

Au-dessus de toutes ces motivations, il y a l'idée que ce sont des métiers porteurs. Mais c'est surtout un argument qui rassure les parents, davantage que l'argument premier des étudiants. Néanmoins, au moment du "boum" informatique de l'an 2000, ça a été une motivation très forte pour un certain nombre d'étudiants (se faire plein de sous grâce à la bulle internet, par exemple). Ça s'est vient bien bien calmé depuis...

Qu'entendez-vous exactement par informaticien ? L'utilisateur quotidien en fait-il partie ? Cela signiefie-t-il dire que cette "rationnalisation de la vie" touche une plus large partie de la population qu'avant, et s'inscrit en profondeur dans la civilisation ?
Il est de plus en plus difficile de définir ce que c'est qu'un informaticien. Pour moi, je trace la limite entre l'usage et la maîtrise de l'outil. Dans mon livre, je me suis cantonnée aux personnes qui avaient fait des études estampillées "informatique".

   
  L'idée d'une informatique jeune faite pour les jeunes est un fantasme"
Ensuite, il y a des métiers à la frontière. C'est le cas par exemple des métiers du Web... Entre utilisateur éclairé et concepteur/développeur de page Web, la frontière n'est pas toujours simple à définir.

Donc non, travailler avec un ordinateur toute la journée ne fait pas de vous un informaticien. Les secrétaires, les préparateurs de commande ne sont pas des informaticiens. Ils utilisent l'outil, mais ne le paramètrent pas, ne le maîtrisent pas.

N'y-a-t-il pas aussi une image du hacker jeune et débrouillard qui décrédibilise en entreprise les seniors jugés incapables de s'adapter aux NTIC ?
Alors, pour qu'on soit d'accord sur les termes : 'hacker', au sens premier, signifie virtuose informatique et non pirate. Pirate n'est que le sens dévoyé actuel du terme hackers. Attention, cependant, je n'ai pas dit que les hackers ne pirataient jamais... mais ce sont avant tout des virtuoses de la machine.

Pour revenir à la question, l'informatique est supposée être une discipline "jeune" pour les jeunes. Les "jeunes" voire les enfants comprendraient intuitivement l'ordinateur.

C'est bien sûr un fantasme et on peut tout à fait rencontrer de "vieux" hacker puisque l'ordinateur est né dans les années 1950... Cette image du hacker n'est finalement pas très prisée en entreprise. On le suppose associal, inadaptable, dangeureux pour la sécurité interne de la société... Néanmoins, les seniors souffrent d'une discrimination pro-jeune en entreprise qui dépasse la question de l'informatique.

Existe-t-il des hakers femmes?
Oui !!!! j'en ai rencontrées... surtout en Allemagne. D'ailleurs, elles font partie du célèbre Chaos Computer Club et se font appeler les Hacksen. C'est la contraction de hacker et hexen (sorcières). Au Québec, il y a les htmelles, les gender-changer aux Pays-Bas ou encore les linux-chicks en France. Mais je reconnais qu'elles sont rares...

Qui impose aujourd'hui l'image de l'informaticien : les médias, les enseignants, les politiques, le peuple ?
Les médias sont pour beaucoup dans la confusion hacker-pirates, c'est une image "vendeuse", à la fois "robin des bois du net" et dangereux terroristes. Une image également propagée par les films et romans de science-fiction.

En fait, elle est très imbriquée dans notre façon de voir l'informatique. Finalement, tout le monde est un peu responsable et participe à contruire cette image de l'informaticien. Il est donc très difficile de lutter contre.

Pourquoi cette désaffection pour les études scientifiques en général ? L'informatique est-elle aussi touchée ?
L'informatique est probablement la discipline la moins touchée par la désaffection. Simplement, les écoles recrutent dans un vivier moins vaste qu'avant.

Quant à la désaffection, c'est un problème complexe. Je vais vous donner une piste d'explication. Dans une étude, on a demandé à des élèves de collège à quoi servent les maths. Ils ont répondu : "A faire ses comptes". Des élèves de lycée ont répondu : "à travailler dans les banques, à travailler dans la bourse". Les métiers de valeur, de prestige ne sont plus les métiers scientifiques, réputés par ailleurs difficiles mais les métier de "manager". Quoique cela peut bien vouloir dire "financier"...

Au début de l'informatique, dans les années 70-80, la part des femmes était-elle plus grande qu'aujourd'hui ?
Oui, beaucoup plus importante et on l'oublie, tant on a l'habitude de voir de si faibles parts. Aujourd'hui, leur part est d'environ 15% (et encore) alors qu'à la fin des années 70, l'INSA de Rennes accueillait 50% de filles à l'INSA de Rennes dans les filières ingénieurs, 60 à 70% dans les DUT Informatique de gestion. Autant dire que quand on me dit : "les femmes ne sont pas faites pour l'informatique", j'en déduis que la race des filles a dû muter en 30 ans...

Que faudrait-il faire selon vous pour réconcilier les femmes et l'informatique ?
Alors, d'abord, elles ne sont pas fâchées... Mais je comprends votre question. A mon avis, une des premières choses à faire, c'est abattre cette image de l'informaticien hacker associal, qui n'est pas représentative du métier.

Ensuite, il faut leur proposer des vraies carrières dans l'informatique. Car ce n'est pas tout de les attirer, il faut qu'elles puissent se maintenir dans le métier en progressant de manière motivante. Plus nous aurons de success stories d'informaticiennes, plus nous aurons de chances d'attirer les filles !

Pourquoi avoir fait une thèse sur cette question de la représentativité des femmes dans l'informatique ?
Comme je disais, je suis informaticienne moi-même. A l'époque de mes études, je ne m'étais jamais rendue compte qu'il y avait si peu de femmes et quand bien même, je m'en moquais complètement.

Je pensais que les filles n'avaient qu'à se motiver pour faire comme moi. Si elles ne choisissait la filière informatique, c'était soit qu'elles n'en étaient pas capables, soit qu'elles n'en avaient pas envie ! Et accessoirement, c'était très flatteur pour moi d'être une des rares filles en informatique...

Par la suite, je me suis rendue compte que c'était plus compliqué que ça. J'ai eu la chance d'être élevée par des parents qui pensaient que tous les métiers étaient ouverts aux filles comme aux garçons et d'avoir un père qui a apporté un Apple II à la maison et m'a fait partagé sa passion. Cela a donc été facile pour moi et je n'ai jamais douté de mes capacités. J'ai compris par la suite que c'était un parcours plutôt atypique.

Dans les années 70-80, les filles ne choisissaient-elles pas l'informatique pour faire comme ou mieux que les garçons ? Leur choix d'aujourd'hui n'est-il pas plus basé sur leurs propres "valeurs" ?
Valeurs "propres" supposeraient des "valeurs naturelles". Je ne crois pas à "l'éternelle féminin". Pas plus qu'à l'éternel masculin... De toute manière, peu importe en soi que les filles ou les garçons fassent ou non de l'informatique. L'important, c'est qu'ils et elles en fassent (ou pas) pour de bonnes raisons.

   
  Le procédé de compilation a été inventé par une femme"
Les filles qui me disent qu'elles ne font pas d'informatique car elles ne veulent pas parler uniquement à des ordinateurs toute la journée, qu'elles ne veulent pas programmer toute la journée. Pour moi, ce sont de mauvaises raisons : moins de 30% des métiers incluent la programmation. Les garçons qui disent qu'ils veulent faire de l'informatique pour gagner un tas d'argent ou pour hacker le Pentagone, je trouve que ce sont aussi de mauvaises raisons...

Vous démontrez une disparité de plus en plus forte dans les études d'informatique. Est-ce que les universités se préoccupent de ce problème ? Les universités ont-elles aujourd'hui des plans d'action pour attirer de nouveau les filles vers les études d'informatique ?
Oui, les universités commencent à s'en préoccuper. Par exemple , la semaine prochaine, va avoir lieu à Lyon un colloque intitulé "Femmes en informatique, les encourager de l'école à l'université".

Parmi les mesures possibles, les universités doivent changer l'image qu'elles donnent d'elles-mêmes. Quand on ne voit que des garçons et des ordinateurs sur les publicités pour les formations, on peut comprendre que les filles ne se sentent pas très concernées... A l'ENS Lyon, lieu du colloque, il y a environ une fille par promo... d'où la raison de ce colloque, d'ailleurs !

Est-ce que les interfaces d'aujourd'hui et d'hier n'ont pas repoussé également nombre de vocations d'informaticiens ?
Difficile de répondre à cette question... J'ai envie de vous conseiller la lecture du livre de Sherry Turkle 'Life on the screen : Identity at the age of Internet". Tout un chapitre est consacré au sujet.

Il est certain que les interfaces se faisant moins techniques, plus conviviales, elles ont attiré plus de monde, dont les femmes. Mais là, c'est surtout pour l'usage. Pour la maîtrise, on avait des mathématiciennes sur les tout premiers ordinateurs. C'est une femme, par exemple, Grace Hopper, qui a inventé le procédé de la compilation (pour le COBOL).

Alors, l'ordinateur a-t-il finalement un sexe? Qu'appelez-vous le 3e sexe des informaticiennes ?
Alors : l'ordinateur a "choppé" un sexe (masculin) dans l'imaginaire social. En soi, il n'est ni masculin, ni féminin, il est juste "perçu" comme objet d'usage pour tous, objet de maîtrise pour les hommes.

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Quant au 3e sexe... C'est assez compliqué. Les femmes informaticiennes sont obligées de trouver un moyen de bricoler leur identité sexuelle pour être acceptées dans leur milieu étudiant et professionnel : ressembler à des filles ou des femmes, mais pas trop féminines, sinon elles ne sont pas prises au sérieux. Et surtout, ne pas ressembler à des hommes, sinon, elles font figure de repoussoir.

Alors elles tracent une ligne parfois subtile entre les deux images... Et souvent, elles tombent des nues, en se rendant compte qu'au XXIe siècle, elles peuvent malgré tout rencontrer le sexisme brutal, basique et crétin autour d'elles : souvent en entreprise, autour de la trentaine.
 
Propos recueillis par Yves DROTHIER, JDN Solutions

PARCOURS
 
 
Isabelle Collet, 37 ans, post-doctorante à l'Université Paris X, auteure de L'informatique a-t-elle un sexe ?

2006 Thèse et recherches en sciences de l'éducation.

1996 Successivement formatrice et chercheuse à l'université Paris X.

Et aussi Diplômée d'informatique en 1991 puis en sciences de l'éducation en 2001

   
 
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