L'IA est en train de révolutionner la gestion d'actifs des banques françaises

L'IA est en train de révolutionner la gestion d'actifs des banques françaises Le Crédit Agricole, BNP Paribas et la Société Générale se tournent vers le machine learning pour optimiser leurs produits financiers.

Dans le trading, l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) n'est pas chose aisée. Les positions prises à très court terme sur la base d'algorithmes auto-apprenants ont rapidement un impact sur les cours. Et la prédiction est vite incorporée dans le prix des titres. Le serpent se mord la queue. Du coup, l'IA est plutôt utilisée par les banques pour optimiser la rentabilité de leurs portefeuilles d'actifs ou encore dans l'optique de personnaliser les conseils aux clients souhaitant investir. En France, les trois principales banques de la place sont engagées sur ce terrain. 

A la Société Générale, on commence à tester le machine learning pour construire des paniers d'actions en fonction d'un ratio performance / risque cible. Pour chaque action, l'algorithme passe au crible 80 métriques (cours, ebitda, ratio d'activité, taux de rentabilité...). "A cela s'ajoutent des données extra financières portant sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, ainsi que des commentaires et analyses financières issus de sites média, blogs, forums…", complète Albert Loo, responsable adjoint de la vente pour les activités de marchés au sein de la branche de banque d'investissement de la Société Générale (SG CIB). 

Créer les portefeuilles d'actifs

Même logique chez BNP Paribas Asset Management (BNP Paribas AM). Mais à la différence de SG CIB, la branche du groupe bancaire parisien spécialisée dans la gestion d'actifs a passé la phase de test et engagé le déploiement de ses modèles. "Des méthodes quantitatives de traitement de données sont mises en œuvre pour aider à identifier les titres pour chaque fonds au regard d'un rendement attendu et d'un niveau de risque. Le machine learning (ML) vient se greffer au processus", confirme Raul Leote de Carvalho, deputy head du Quantitative Research Group chez BNP Paribas AM. Pour affiner ce traitement, la filiale a introduit cette année le natural language processing (NLP) et l'analyse de sentiments pour décrypter les informations publiées dans la presse financière sur 2 500 sociétés éligibles à ses fonds. 

Des algorithmes d'auto-apprentissage de type clustering entrent ensuite dans la danse pour détecter des tendances au sein de cette masse de données. Pour BNP Paribas Asset Management, l'objectif est d'aboutir à un score d'attractivité tenant compte à la fois des historiques opérationnels, financiers et boursiers des acteurs en présence. L'ambition ? Développer des algorithmes capables de s'adapter à un environnement changeant plus rapidement que les outils historiques d'analyse quantitative.

"Nos traders développent eux-mêmes. Leurs idées peuvent d'ailleurs ensuite donner lieu à des projets d'IA"

La Société Générale met elle aussi en œuvre des modèles de partitionnement de données. Le clustering lui permet notamment d'identifier des comportements similaires chez ses clients en fonction de leurs caractéristiques, des catégories d'actifs auxquels ils souscrivent, de leur appétence en termes de conditions financières et de marché. Le tout de manière anonymisée évidemment. Partant de là, l'objectif est de définir le niveau de pricing à recommander sur tel ou tel actif en fonction du profil de comportement du client. 

Au sein de la branche de banque d'investissement du Crédit Agricole, on a également recours au machine learning pour scorer des actifs. La cible ? Les acteurs de la finance : assureurs, banques, fonds de pension, sociétés d'asset management. Evoluant en permanence, le scoring en question est calculé à la fois à partir du profil d'investissement du client (niveau de risque, de couverture, contraintes réglementaires). Mais aussi au regard de l'historique de ses demandes et, plus globalement, des conditions de marché. Une analyse prédictive qui a pour but de faire ressortir des axes de recommandation possibles, "par exemple une offre de repackaging dans l'assurance".

"Les clients s'attendent désormais à ce que les conseillers aient une bonne connaissance de leur historique et du contexte dans lequel ils évoluent", commente Thomas Spitz, responsable mondial hedging & investment solutions au sein de Crédit Agricole Corporate & Investment Bank (Crédit Agricole CIB). "Le machine learning guide les conseillers (via le scoring d'actifs, ndlr) dans leurs recommandations aux clients." Thomas Spitz insiste : "Nos traders développent eux-mêmes. Leurs idées peuvent d'ailleurs ensuite donner lieu à des projets."

Maîtriser les risques

Toujours dans la finance de marché, le Crédit Agricole CIB s'adosse à l'IA pour gérer les risques, détecter les signaux laissant présager un contexte pouvant mettre un client en difficulté, voire une fraude. A la Société Générale, le ML s'applique aussi dans la gestion des risques de marché. Il est notamment utilisé pour détecter les erreurs de saisie et opérations non-conformes en se basant sur un historique de transactions correctes. "Nous résolvons 15% de ces problèmes et anticipons d'en corriger 30% à 40% d'ici la fin de l'année", confie Cécile Bartenieff, responsable des ressources de la Banque de Grande Clientèle & Solutions Investisseurs de la Société Générale. 

"Il n'est pas acceptable de piloter un portefeuille d'actifs sur la base d'indicateurs que l'on est incapable d'expliquer"

Mais dans ce domaine, la banque de La Défense ne s'arrête pas. Elle va jusqu'à recourir à la reconnaissance vocale pour analyser les conversations de ses opérateurs de marché en vue d'y détecter d'éventuels échanges "anormaux". Une mise en application de l'IA qui est loin d'être étonnante compte-tenu de l'historique de la Société Générale avec l'affaire Kerviel. "Nous envisageons en parallèle le speech-to-text pour récupérer (de manière anonymisée, ndlr) les données des conversations téléphoniques avec nos clients portant sur le pricing en vue d'enrichir nos modèles prédictifs", souligne Albert Loo.

Forte de son avance, pourquoi la Société Générale n'a-t-elle pas déployé le machine learning en production pour concevoir ses fonds et reste en phase de test sur ce terrain ? "Il n'est pas acceptable de piloter un portefeuille d'actifs sur la base d'indicateurs que l'on est incapable d'expliquer", argue Albert Loo. De son côté, BNP Paribas Asset Management s'est attaqué au problème. "Pour certains clients (par exemples les fonds de pension, ndlr), l'analyse en composantes principales nous permet de réduire le nombre de dimensions de notre matrice de scoring de titres pour rendre le modèle plus interprétable", détaille Raul Leote de Carvalho.

La révolution des données publiques

Entrée en vigueur en janvier 2018, la réglementation MiFID 2 est venue révolutionner le marché bancaire. Avec à la clé des répercussions profondes sur les applications d'IA liées à la finance de marché. Elle oblige les acteurs financiers à plus de transparence sur leurs transactions. "MiFID 2 a rendu les données de marché beaucoup plus accessibles. Ce qui a permis d'ajouter de nouvelles dimensions et variables à nos modèles de machine learning", reconnait Thomas Spitz chez Crédit Agricole CIB. 

Aux côtés des données internes aux banques et des informations financières externes disponibles publiquement reste une source de data susceptible de venir alimenter l'IA prédictives appliquée aux marchés financiers : les images prises par satellite. "Via le deep learning (et la vision par ordinateur ndlr), leur traitement permet de détecter les flux de cargos, d'estimer s'ils sont pleins ou vides, puis d'en déduire des prédictions en termes d'activité de marché. C'est une piste que certains acteurs de la gestion d'actifs explorent. Nous nous heurtons néanmoins aux coûts importants de ce type de données", confesse Albert Loo.  Un point de vue que partage Raul Leote de Carvalho chez BNP Paribas AM. "Le coût des images satellitaires est beaucoup trop élevé dans le cadre des activités de marché", confirme-t-il.

Chez Crédit Agricole CIB, les données satellitaires sont utilisées, mais dans un tout autre domaine. "Nous y avons recours pour réaliser des prévisions macro-économiques en temps réel, par exemple pour estimer l'impact économique des mesures de restriction sur les routes", explique Thomas Spitz. A l'image de cette exemple, l'IA est déployée par les banques dans de nombreux domaines : automatisation du traitement des documents administratifs (via le RPA ou l'OCR), des mails, assistant intelligent pour aider les conseillers à appréhender la complexité des produits et des réglementations juridiques... La liste est longue, et n'est pas prête de raccourcir.