DMP : quand les médias rencontrent les mégadonnées

La Data Management Platform joue un rôle central pour activer les données collectées via les études, les sites Web, les apps mobiles, les réseaux sociaux, les capteurs passifs et les points de vente physiques d'une marque. De ce fait, elle complète le CRM pour personnaliser le marketing, et s’adresser aux clients à acquérir.

L'industrie des médias regorge d’acronymes tels que Trading Desk, DSP, SSP, Ad Servers, Ad Exchange, First Party Data, Third Party Data et RTB. Le plus récent et le moins clairement défini est DMP pour Data Management Platform. Trois mots qui, pris individuellement, ont chacun une signification mais qui, pris ensemble, n'évoquent quelque chose que pour le lecteur déjà spécialisé dans la publicité en temps réel, le marketing ciblé et la personnalisation de sites Web. La présente contribution propose d'éclaircir ce qui se cache derrière cet acronyme.

Qu’est-ce qu’une DMP ?

Comme pour beaucoup de concepts du marketing, de la communication et de la publicité à l’ère du Digital, il n'y a pas de définition unique, précise et standardisée de ce qu’est une DMP. Certains y voient une base de cookies ou d’adresses mail, d’autres une base CRM pour les points d’accès digitaux, d'autres encore un système intelligent pouvant contenir toutes les données online et offline, propriétaires, achetées ou échangées sur tous les canaux de communication et d'achat, digitaux et physiques. Cela dépend du point de vue adopté, suivant qu'on vienne du monde de la publicité en ligne, du marketing direct, du commerce en ligne ou du CRM traditionnel. Au lieu de tenter d’ajouter une autre définition, prenons deux exemples d'utilisation qui illustrent mieux ce qu'est une DMP. Deux exemples qui montreront qu’une DMP n’est pas obligatoirement réservée au placement publicitaire en temps réel (RTB), l’exemple souvent cité sur le Web et dans la presse spécialisée.

Exemple d’Amazon à tester soi-même

Longtemps avant que le concept de DMP n’apparaisse, le site d’Amazon utilisait déjà la Data pour chaque internaute, à chacune de ses visites, à chacun de ses clics. Quand un internaute connu arrive, son profil est automatiquement activé. Ses achats, ses consultations de produits, les recommandations qu'il a lues et les recommandations qu'il a rédigées sont utilisés pour lui proposer des produits similaires ou complémentaires. Quand un internaute inconnu consulte un produit, le profil le plus proche est activé. Au fur et à mesure que l’internaute inconnu navigue sur le site, son profil est comparé à celui d'internautes connus et il sera ainsi guidé vers des produits achetés, consultés ou recommandés par ces internautes qu'il ne connait pas. S’il consulte, recommande ou achète, ses actions seront exploitées pour améliorer les profils activés. Depuis la publication de son algorithme de recommandation en 2003, la personnalisation est devenue une fonctionnalité commune de gros sites Web d’information ou de commerce en ligne.

Exemple de Capital One rapportée par Wall Street Journal

Capital One est une banque américaine spécialisée dans le crédit à la consommation similaire à la société Cetelem en France. Elle dispose de centaines de produits de crédit. Quand un internaute se connecte sur la page de garde de Capital One, des cookies sont automatiquement envoyés vers un serveur de la société [X+1]. Ce dernier se connecte automatiquement à une base de donnnées de la société Digital Envoy pour lui demander le code postal de l'internaute. En parallèle à cette connexion, il récupère des cookies similaires et envoie le tout (code postal, cookies de l’internaute, et cookies similaires) à une base de donnés de la société Nielsen afin d'en déduire le plus probable des segments auquel l'internaute appartient (âge, statut socio-professionnel, salaire et risque d'endettement). L'ensemble de toutes les données récoltées permet au serveur de personnaliser la page d'offres de crédit à l'internaute en question.

Alors que l'exemple d’Amazon met en jeu une DMP composée de données internes, l'exemple de Capital One illustre une DMP structurée comme un réseau de plusieurs bases de données internes et externes. Les bases de données ne sont pas forcément des bases NoSQL, elles peuvent être des bases traditionnelles SQL ou une hybridation des deux types de bases de données.

Comment choisir une DMP ?

Aujourd'hui, le marché des plateformes DMP est diversifié. Composé à l'origine de spécialistes de la Data dont les plus connus sont [X+1], Turn, Bluekai, Exelate, Lotam, Upfront, Quantcast et Demdex, il est en cours de consolidation avec de nouveaux entrants qui rachètent des spécialistes pour compléter leur offre Digital, CRM ou ERP. 

Le bal fut ouvert par le spécialiste du Digital Adobe qui a acquis Demdex en 2011. Mais c’est en 2014 que la consolidation s’est accélérée avec l’acquisition de BlueKai par le spécialiste du CRM Oracle, celle de [X+1] par le spécialiste du RTB Rocket Fuel et celle d’Upfront par le réseau publicitaire Undertone. Courant 2015, la consolidation a continué avec l’acquisition d’eXelate par la société de mesures d’audience et d’études de marché Nielsen. Il y a fort à parier que la danse des acquisitions continuera avec d'autres arrivants tels que les sociétés de logiciel à la recherche de nouvelles opportunités de business d’intégration de systèmes, les agences média qui deviennent de plus en plus dépendantes de la Data pour cibler leurs compagnes publicitaires digitales.

Le manque de standardisation d’une part et la consolidation toujours en cours d’autre part font du choix d’une plateforme un exercice difficile. Pour un annonceur et son agence média ou un éditeur et sa régie publicitaire, le choix d’une plateforme DMP devient une décision délicate avec des incertitudes quant à sa pérennité, son contenu technique et sa roadmap quand elle est intégrée dans une offre globale d'un plus gros fournisseur. 

Pour diminuer cette incertitude, il serait de bon conseil de procéder par recenser les objectifs recherchés et les bénéfices attendus : personnalisation de sites Web, d'applications mobiles, de présence sur les réseaux sociaux, de son système CRM, de la totalité de son écosystème digital, de ses campagnes publicitaires et promotionnelles, voire de toute son activité marketing et commerciale. Plus l'objectif est réduit, plus le choix se restreint autour d'une seule plateforme. Plus il est large, plus le choix est complexe, nécessitant l’intégration de technologies additionnelles voire de plusieurs plateformes. 

Une fois les objectifs recherchés et les bénéfices attendus définis, il pourrait être intéressant de faire un audit de la Data dont on dispose. Différents modèles d’audit sont disponibles sur le Web mais le plus simple est le Data Analytics Maturity Model de la société Adobe, directement exécutable en ligne. Grâce à ce modèle, vous pourrez savoir si vous disposez de la Data nécessaire en interne ou si vous aurez besoin de l’acquérir auprès de vos partenaires ou des fournisseurs spécialisés dans la Data. C'est seulement une fois l'analyse de la Data faite que vous devriez aborder le choix d'une plateforme, déjà disponible sur le marché, d'en combiner plusieurs ou de développer la vôtre. La sélection d'une DMP est un projet en soi avec ses objectifs, ses contraintes, son budget et son timing.

La DMP remplace t-elle le CRM ?

Non, les cookies sur votre site Web ne permettent pas de savoir qui de vos clients dans votre système CRM sont venus voir votre site à telle ou telle heure. Sans être enregistré sur votre site Web, il n’y a aucun moyen de faire le lien entre le visiteur inconnu et le client connu. De même sans carte de fidélité, les systèmes CRM n'identifieraient pas un client qui est passé dans l'une de vos boutiques il y a quelques semaines. La DMP est une création du monde numérique. Elle est pour ce dernier ce que le CRM est pour le monde physique. Mais l’analogie s’arrête là. En effet, il y a deux différences de taille entre les deux concepts. 

Premièrement, le CRM contient des données permettant d’identifier précisement le client : nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, adresse mail, achats antérieurs et points gagnés sur des années. Grâce à sa carte fidélité par exemple, Carrefour archive jusqu’à 24 mois de transactions allant jusqu’aux références des produits achetés. La DMP, quant à elle, contient uniquement des données permettant d'identifier les derniers parcours d’un internaute sur le Web : son adresse IP, ses cookies, parfois son adresse mail et ses coordonnées de géolocalisation. Et deuxièment, le CRM est activé pour des opérations de marketing classiques tels que les envois de mails, de textos ou de courriers postaux alors que la DMP est activée pour des opérations de ciblage publicitaire ou de personnalisation de sites Web en temps réel.

Pour pouvoir faire communiquer ces deux systèmes entre eux, il faudrait un identifiant unique pour chaque client. Le même identifiant sur une carte de fidélité, dans le système CRM et à travers l’écosystème digital de l'annonceur (sites Web, applications mobiles, réseaux sociaux). 

Ce n’est pas un problème technique, car il suffirait que tous les visiteurs d'un site s’enregistrent et indiquent un identifiant unique. C'est plutôt un problème marketing. Il faudrait apporter à l’internaute une plus-value pour qu'il accepte de s'identifier et de ne pas effacer sa trace. Cette tendance a été initiée par les grands sites de presse à l'instar du Wall Street Journal en offrant la lecture gratuite de plusieurs articles par mois pour les visiteurs qui s’enregistrent sur le site. D’autres marques dans plusieurs secteurs ont suivi cette tendance. On peut citer par exemple les banques de détail, les opérateurs mobiles, les compagnies aériennes, les fournisseurs d’électricité et de gaz, etc. Le rêve des annonceurs de pouvoir identifier chacun de ses clients deviendra réalité le jour où leurs sites Web, leurs applications mobiles, leurs comptes sur les réseaux sociaux et leur CRM s’intégreront parfaitement et harmonieusement dans un écosystème avec un identifiant unique. C'est précisement ce qu'a fait Google en instaurant un identifiant unique pour ses services Chrome, YouTube, Gmail et Google Drive et pour son CRM invisible aux internautes.

Comment utilise t-on une DMP ?

Une fois mise en place, la DMP est utilisée pour y importer de la Data sous formes diverses et variées, comme des cookies et des adresses mail --collectés sur ses propres sites, partagés avec ses partenaires ou achetés à des vendeurs de la Data tels qu’Experia, Datalogix et Acxiom--, des identifiants de clients de la base CRM et toutes les données permettant de construire une audience pour une campagne publicitaire, une opération de marketing direct ou une personnalisation de sites Web ou d'applications mobiles. L'hétérogéneité de la Data d'une part et de la variété des sources d'autre part renforcent le schéma d'une DMP structurée sous forme d'un réseau de serveurs de bases de données plutôt qu'une base de données unifiée. L’activation peut-être manuelle, semi-automatique ou automatique selon la sophistication de l’écosystème digital de l'annonceur.

Ainsi, pour une opération donnée, on sélectionne l’audience que l’on souhaite cibler. Comme pour n'importe quelle base de données, les DMP viennent avec des outils permettant de définir une audience tels que les visiteurs de sites partenaires : comparateurs de prix, centrales d’achat de voitures, pages d’éditeurs sur l’immobilier, etc. L'audience ainsi créée devient activable au sens où elle peut être utilisée par une DSP (Demand Side Platform) pour l’achat d’emplacements publicitaires digitaux, l'envoi de mails ou de textos promotionnels ou la personnalisation de sites Web ou d'applications mobiles.

Le choix, la mise en place et la gestion quotidienne d’une DMP nécessitent certes un savoir-faire dans les secteurs de la publicité, du marketing, de la communication et des médias, mais il devient de plus en plus indispensable d'avoir une expertise des bases de données et des algorithmes de trading toujours plus sophistiqués. Ceci explique la ruée des grands groupes de communication sur les technologies et les sociétés spécialisées dans la captation, le cleansing, le traitement et l'analyse de la Data. C'est ainsi que WPP propose aux annonceurs mondiaux sa propre plateforme DMP Xaxis, qu'Omnicom fait de même avec sa plateforme Neustar et tout comme Publicis avec sa plateforme Vivaki. 

L’arrivée du Digital avec Google, Facebook et plus récemment Baidu et Alibaba, qui à eux quatre contrôlent la moitié de la publicité digitale mondiale, bouleverse complètement l'industrie des médias. La frontière devient de plus en plus poreuse entre les agences média, les régies publicitaires traditionnelles, les sociétés d’études, les instituts de sondage, les agences digitales pures players, les spécialistes du CRM, les vendeurs de la Data et les sociétés high-tech avec leurs algorithmes dignes de ceux du high-frequency trading financier. 

Même les médias traditionnels tels que la télé, la radio, la presse et l’affichage urbain profitent des dernières technologies pour faire évoluer leurs méthodes de collecte, de traitement, d’analyse et activation de la Data. Par exemple, les sociétés d’études et les instituts de sondage expérimentent l’utilisation des smartphones et des tablettes pour mesurer les audiences de radio et de télé. Avec les objets connectés tels que les montres et les lunettes, elles seront capables de mesurer les audiences d’affichage urbain, l'un des plus anciens médias auquel la technologie pourrait lui redonner une seconde jeunesse. 

La DMP joue un rôle central pour activer toutes les données collectées via les études, les site Web, les applications mobiles, les réseaux sociaux, les capteurs passifs et les points de vente physique de manière efficace sur tous les médias numériques ou physiques. De ce fait, la DMP ne remplace pas le CRM mais le complète pour personnaliser le marketing, la communication et la publicité au delà des clients que la marque ou son distributeur connaissent. Le CRM s’adresse en cela aux clients déjà acquis alors que la DMP s'adresse aux clients à acquérir.