Simon Baldeyrou (Deezer) "Nous représentons près de 15% du marché de la musique en France"

Le DG France de Deezer détaille la stratégie internationale de la start-up et revient sur ses sources de génération de revenus. Entretien.

JDN. Combien d'abonnés compte Deezer en France et dans le monde ?

Simon Baldeyrou. Deezer compte aujourd'hui 30 millions de membres dans le monde dont 3 millions qui paient pour accéder au service. Nous ne communiquons pas sur le nombre d'abonnés pays par pays mais l'international reste historiquement faible puisque l'ouverture du service dans d'autres pays a débuté en 2011 et s'est accélérée sur le second semestre 2012. Par ailleurs, quand Deezer se lance dans un pays, le service est illimité sur ordinateur durant 1, 3 voire les 6 premiers mois pour l'utilisateur et ne génère donc pas de revenus mais nous permet d'optimiser le trafic.

baldeyrou simon dg deezer france 275
Simon Baldeyrou, DG France de Deezer © S. de P. Deezer

Axel Dauchez a confirmé en décembre au Wall Street Journal que vous préparez votre offensive contre Spotify sur le marché américain. Où en est ce projet ?

La levée de fonds de 100 millions d'euros réalisée l'an dernier l'a été pour nous permettre d'acquérir des droits à l'international, excepté aux Etats-Unis et au Japon. Deezer se concentre donc sur sa croissance dans les autres pays. Si lancement aux Etats-Unis il y a, il se fera uniquement si on trouve un partenaire de taille. Mais il y a de moins en moins de place pour de nouveaux entrants outre-Atlantique.

Comment se décomposent les revenus de Deezer ?

En 2011, nous avons réalisé 47 millions d'euros de revenus et nous avons dépassé les 60 millions d'euros en 2012. Il faut considérer que ces revenus sont jusqu'en 2012 majoritairement enregistrés en France. Seuls 10 millions d'euros sont des revenus publicitaires, le reste étant généré par les abonnements. Nous reversons ensuite environ deux tiers du total aux majors. L'idéal serait de ne reverser que 50% de ce chiffre d'affaires pour nous permettre de financer davantage notre R&D et améliorer notre proposition de valeur.

Comment comptez-vous améliorer votre offre de service ?

"La vente de billets via Songkick sera intégrée sur les pages artistes"

Le sujet de la billetterie de concert se pose et constitue une véritable valeur ajoutée. Nous la proposons déjà en partenariat avec Songkick sur la page "recommandations". Nous allons prochainement intégrer un module Songkick sur les pages artistes qui pourront être customisées par ces derniers. Nous ne souhaitons pas que ce type de service devienne envahissant pour l'utilisateur, mais il doit permettre d'améliorer l'ensemble de notre offre.

Le business model de Deezer tel qu'il existe est-il définitif ?

Il faut perpétuellement évoluer et trouver un équilibre avec le modèle gratuit tout comme l'a toujours fait Canal+ dans la TV. Cela veut dire que le modèle de Deezer n'est pas figé, que tout peu et va certainement changer et s'adapter pour nous permettre de trouver le bon équilibre. Il a par exemple fallu faire évoluer notre offre d'essai gratuite qui n'était pas accessible sur mobile alors que ce canal peut et doit jouer un rôle phare dans l'optimisation de notre taux de transformation. Désormais les utilisateurs peuvent essayer l'application gratuitement sur mobile durant les 15 jours suivant son téléchargement.

Parce que les utilisateurs dits "gratuits" ne sont pas rentables...

Sur les cinq à sept millions de visiteurs uniques qui viennent chaque mois sur Deezer en France, beaucoup n'écoutent que les 5 heures de musique gratuites. Ce sont des internautes dont le reste de la consommation musicale restante se reporte soit dans de l'achat de CD, soit dans du téléchargement. Et ces derniers ne nous rapportent qu'environ deux euros par ans, ce qui n'est évidemment pas rentable pour Deezer. Les abonnements le sont à l'inverse largement.

Depuis votre lancement, comment votre relation avec les majors a-t-elle évoluée ?

"Nous représentons près de 15% du marché de la musique en France"

Le marché de la musique en France représente un marché de près de 500 millions d'euros et nous nous rapprochons des 15% de parts de marché. Si nous arrivons à avoir 5 millions d'abonnés payants en France qui paient 10 euros par mois, notre poids sera équivalent à l'ensemble du marché. Notre relation avec les majors a évolué en raison de la confiance qu'ils ont en nous mais également parce que les maisons de disques prennent progressivement conscience qu'ils doivent adapter leur modèles au streaming musical.

Amazon, Google et Apple sont trois multinationales qui souhaitent vous concurrencer. Quelle est votre stratégie ?

La vraie rupture dans le marché de la musique en ligne est l'abonnement. Amazon et Apple sont historiquement spécialisés dans la vente. Ce n'est pas le même métier. Et le marché est déjà encombré.

Qu'est-ce qui différencie votre offre de celle de votre principal concurrent Spotify ?

"Face à Spotify, notre différenciation se fera dans la recommandation musicale"

Spotify est une entreprise qui gère un parc de logiciels. On peut estimer que nos catalogues sont identiques en revanche nous sommes meilleurs sur l'ergonomie. Je considère à ce titre que Spotify est bien plus froid. Je suis convaincu que la différence se jouera sur les fonctionnalités de découverte de musique.

Notre métier est d'être un disquaire, pas un jukebox. Raison pour laquelle nous croyons beaucoup en notre stratégie éditoriale : nous disposons d'une soixantaine d'experts à l'international qui sélectionne les albums que nous mettons en avant sur la home du site et qui sont clairement complémentaires de la partie algorithmique. Notre défi est également de trouver des moyens de recréer des leviers affectifs entre les utilisateurs du service puisque le numérique a par sa nature appauvri ces relations. Nous souhaitons ainsi nous positionner comme intermédiaire conversationnel entre les artistes et leurs fans.

Que vous a apporté l'intégration de l'Open Graph de Facebook ?

"Facebook nous a guidés dans notre stratégie d'expansion internationale"

Ce n'est pas un sujet propre au marché français. Il s'agit de l'optimisation d'un canal viral qui nous permet dans les pays où Deezer s'installe de recruter de nouveaux utilisateurs. On peut dire que Facebook nous a guidés dans notre stratégie d'expansion internationale.

L'ouverture de Deezer dans un nouveau pays s'accompagne-t-elle systématiquement d'un nouveau partenariat avec un opérateur de télécommunication ?

Pas forcément mais ces partenariats ont l'avantage d'implanter la marque Deezer sur le terrain puisque nous profitons des campagnes des opérateurs. Pour ces derniers, c'est également un argument commercial qui leur permet d'améliorer leur stratégie de recrutement. Et c'est également un facteur d'augmentation du revenu moyen par utilisateur puisque les utilisateurs vont plus facilement prendre un smartphone compatible si Deezer Premium est intégré à leur offre.

Où avez-vous appliqué cette stratégie ?

En France, nous avons noué un partenariat avec Orange en 2010 qui a été reconduit pour trois ans en 2012. C'est une stratégie d'acquisition client qui a également été mise en place aux Royaume-Uni avec la filiale d'Orange Everything Everywhere, avec Belgacom en Belgique, avec Tango au Luxembourg, Deutsche Telecom en Autriche et aux Pays-Bas ou encore avec Telenor dans certains pays d'Europe de l'Est mais également en Asie, en Thaïlande et Malaisie. En Amérique du Sud, nous travaillons avec des opérateurs dans six pays. En Afrique, dans quatre.

Diplômé de l'Université Paris XI, de l'Université de Birmingham et de l'ESSEC, Simon Baldeyrou débute sa carrière chez Toulouse et Associés en 2011 puis devient directeur associé de sport Concept en 2004 avant de devenir directeur des finances du comité d'organisation de la Coupe du Monde de Rugby en  007. Il rejoint Deezer en septembre 2009 au titre de DGA France pour devenir directeur général de Deezer France en juin 2012.