Digital Ad Trust : un label plus populaire auprès des régies que de leurs clients

Digital Ad Trust : un label plus populaire auprès des régies que de leurs clients Un an et demi après l'officialisation de la première fournée d'éditeurs labellisés Digital Ad Trust, l'effet sur les investissements médias est peu évident. Les patrons de régie s'impatientent, les annonceurs temporisent.

Le JDN publie à l'occasion de l'Adtech Summit, dont il est partenaire, une enquête sur les conséquences de l'arrivée du label Digital Ad Trust. Cette enquête servira de point de départ à une table-ronde intitulée "Publicité Web : la qualité va-t-elle (un jour) payer ?"

Avec 5 nouveaux entrants annoncés début octobre, pour un total de 141 sites labellisés et plus de 29 millions d'internautes touchés chaque jour, l'initiative Digital Ad Trust a tout d'un succès. Du côté des éditeurs, qui se sont vite appropriés ce label qui valorise ceux qui s'engagent dans des pratiques publicitaires responsables, mais aussi du côté des agences médias (GroupM, Publicis Media, Havas Media) qui ont été nombreuses à lancer des places de marché privées où l'on retrouve de l'inventaire 100% DAT. Les annonceurs semblent, eux aussi, avoir pris acte de cette initiative interprofessionnelle sans précédent. 15 d'entre eux ont même annoncé en février dernier qu'ils allaient favoriser les détenteurs du label. Un plébiscite donc. Du moins en apparence. Car le JDN a découvert une réalité un peu plus nuancée, une fois gratté le vernis des bonnes intentions proclamées par les uns et les autres. "Digital Ad Trust est un vrai succès marketing… et malheureusement pas beaucoup plus, résume le patron d'une adtech française. Le Syndicat des régies Internet a beau dépenser une énergie folle pour convertir le marché, les acheteurs sont encore très peu nombreux à joindre les actes à la parole."

"Je ne vends pas plus de pavés display et je n'ai pas accueilli de nouveaux annonceurs grâce au label"

Une situation problématique pour un label censé apporter un peu d'oxygène à des éditeurs étranglés par un duo Facebook–Google qui capte les trois-quarts des investissements pubs digitaux. Et, un an et demi après l'annonce de la première vague des labellisés, certains commencent à trouver le temps long. "Le ROI de Digital Ad Trust est nul, s'émeut un patron de régie. Je ne vends pas plus de pavés display et je n'ai pas accueilli de nouveaux annonceurs depuis que j'en fais partie", poursuit cet anonyme qui a rejoint le label en juin 2018. Le patron des activités digitales de Reworld Media, Jérémy Parola, dresse lui aussi un bilan très mitigé. "On a consenti à de gros efforts, en coupant notamment des formats très rémunérateurs, pour entrer dans les clous. Mais on n'en voit pas encore les effets", constate celui dont plusieurs sites sont labellisés.

Parce qu'il les contraint à supprimer certains emplacements et formats non compatibles avec les exigences du label, DAT représente un vrai sacrifice financier pour les régies. "Sur la vidéo, on a dû se couper de 30% de la demande instream", illustre un patron de régie. A cette perte sèche s'ajoutent d'autres frais, comme le coût du mesureur auquel il faut souscrire, la cotisation annuelle du label (entre 4 000 et 8 000 euros par site) et les ressources humaines allouées. Un investissement d'autant plus lourd que les efforts ne s'arrêtent pas une fois la labellisation obtenue. "Il faut également faire en sorte de la conserver", rappelle David Folgueira, directeur exécutif adjoint de Prisma Media Solutions, dont les sites sont soumis à un audit régulier par l'ACPM. Tant que les investissements ne suivront pas, les régies en seront de leur poche. "Le label me fait perdre de l'argent aujourd'hui", résume Jérémy Parola.

"DAT me fait perdre de l'argent aujourd'hui"

Sur ce point, tous les médias ne sont pas logés à la même enseigne. "Le label marche bien pour les formats vidéo ", concède notre patron de régie anonyme. Les mastodontes du format, TF1, M6 ou Prisma Media, sont donc beaucoup mieux lotis. Tout comme Le Figaro ou le groupe Les Echos–Le Parisien. La directrice générale de ce dernier, Corinne Mrejen, observe ainsi "un réel effet DAT sur les ventes en gré à gré". Chez 366, où on s'était félicité en janvier 2019 du triplement du chiffre d'affaires réalisé chez GroupM via la PMP Trusted Place, on est finalement un peu plus partagé. "Ce n'est pas suffisamment valorisé par les annonceurs", regrette Luc Vignon, le patron de la régie de la presse régionale. La croissance est toujours au rendez-vous… mais elle s'est sensiblement tassée. De quoi faire naître les premières interrogations. "On a voulu faire de ce label un coup de tonnerre. Mais il est peut-être arrivé un peu tôt par rapport à la maturité des annonceurs", pointe Luc Vignon. Pas question pour autant de se désolidariser de l'initiative. "Il faut absolument maintenir l'effort", assure le patron de 366. Du moins, "tant que les coûts directs resteront supportables." Jérémy Parola pourrait être, lui, moins patient. "On paie pour voir… mais c'est évident qu'on se posera la question de continuer ou pas d'ici un an, s'il n'y a toujours pas d'impact sur le business", confie-t-il.

En toute première ligne, la directrice générale du SRI, Hélène Chartier, estime qu'il est de toute façon un peu tôt pour tirer de véritables enseignements. "On a un an et demi de recul pour à peine 36 sites, rappelle-t-elle. Le label DAT n'a atteint un reach significatif (141 sites) que récemment, il faut donc patienter pour voir les investissements suivre cette tendance." D'autant qu'il est difficile de mesurer l'impact du label sur une activité aussi fluctuante que la publicité digitale. "Qui peut me dire la part de DAT dans la croissance du chiffre d'affaires digital de Capital alors que l'audience et le nombre de vidéos de ce dernier ont explosé ?", s'interroge David Folgueira. Une remarque légitime… dans un sens comme dans l'autre. "Les régies peuvent aussi se demander si leurs performances n'auraient pas été encore plus mauvaises sans ce label", pointe le directeur de la monétisation de 20 Minutes, Bruno Latapie, avant d'évacuer tout malentendu. "Je pense que c'est devenu obligatoire pour un média comme le nôtre de faire partie du DAT."

"DAT n'est pas un remède à tout. J'ai l'impression que certains ont mis trop d'attentes dans ce label"

De tels arguments laissent notre patron de régie anonyme plutôt dubitatif. "La réalité, c'est que Google et Facebook continuent à réaliser des performances records", rappelle-t-il. Une remarque qui interpelle Hélène Chartier. La DG du SRI se demande s'il n'y a pas malentendu. "DAT n'est pas un remède à tout. J'ai l'impression que certains ont mis trop d'attentes dans ce label", rétorque-t-elle. D'autant qu'à défaut de rapporter du business, le label a au moins le mérite de mettre les annonceurs face à leurs contradictions. "On ne pourra plus nous dire qu'on n'a rien fait pour changer les choses", remarque Bruno Latapie.

Quelques signes positifs tout de même. "Pas un jour ne passe sans que les annonceurs en parlent à nos commerciaux", observe David Folgueira. C'est particulièrement vrai pour les 15 annonceurs qui s'étaient engagés à mieux valoriser les sites DAT. "La croissance de leurs investissements est supérieure de 18 points à celle du chiffre d'affaires digital total de notre régie", chiffre David Folgueira. Même constat du côté de Media.Figaro. "Cela varie selon les 15 annonceurs mais ils surperforment dans leur globalité", confirme la directrice générale déléguée digital de la régie, Karine Rielland-Madirossian.

Le JDN a rencontré l'un de ces annonceurs. "On a doublé la part d'impressions allouée aux régies DAT entre le 2e semestre 2018 et 1er semestre 2019", se félicite le directeur de la communication d'Orange, Quentin Delobelle. Difficile toutefois de savoir si cette hausse témoigne d'une véritable bifurcation des investissements réalisés par Orange ou si elle s'explique par la labellisation progressive des sites au sein desquels l'opérateur télécom investissait déjà. "Nous sommes un des rares annonceurs chez lequel le poids du display social a baissé entre 2017 et 2018", précise néanmoins Quentin Delobelle. Un exemple à suivre selon Karine Rielland-Madirossian. "Le reste du marché doit lui aussi récompenser le travail fait par les éditeurs. Mais les annonceurs ont encore besoin de prendre la mesure de ce que le label peut leur apporter."

C'est particulièrement vrai pour ceux qui investissent à la performance et représentent, aujourd'hui encore, la majorité des investissements pubs sur le Web. "Ces annonceurs recherchent un trafic de qualité plutôt qu'un environnement de qualité", témoigne un patron d'agence. Comprendre qu'il est compliqué pour certains de mettre quelques euros de plus du CPM pour acheter chez les régies DAT un trafic qu'ils peuvent trouver ailleurs. Un raisonnement qui agace Luc Vignon. "On ne peut pas demander un contexte de diffusion ultra qualitatif et ne pas payer le prix qui va avec", s'insurge le DGA de 366 avant de se reprendre : "Mais peut-être que l'on ne valorise pas suffisamment ce différentiel de qualité."

"On peut faire des campagnes display 100% DAT sur des budgets conséquents"

C'est, selon Philippe Boutron, tout le nœud du problème. Le patron du média de Citroën, qui assure "faire des campagnes display 100% DAT sur des budgets conséquents", estime qu'il est possible d'y trouver de la performance à bon prix. "Certes les CPM sont plus élevés. Mais le ROI est meilleur si on regarde les conversions." Et d'expliquer préférer 2 000 leads avec un super taux de conversion plutôt que 10 000 pour lesquels il aura beaucoup de nettoyage à faire. "Je ne comprends pas pourquoi aucune régie DAT ne m'a approché pour mieux mettre en avant ce raisonnement auprès du marché", déplore Philippe Boutron. L'annonceur français reste un cas à part. Il investit moins de 15% de son budget média digital dans les plateformes sociales.

Côté branding, l'enjeu des régies DAT est autre. Plutôt que de communiquer sur leurs performances en matière de complétion ou de visibilité, comme elles ont pu le faire via une étude commandée auprès d'Integral Ad Science, les régies devront s'employer à démontrer leur impact sur la notoriété des marques. Sur ce point, elles disposent de sérieux atouts. "Les indicateurs d'engagement, comme le temps passé et le nombre de pages vues, sont bien meilleurs sur ce type d'inventaire", note Philippe Boutron. Dont acte. "L'Udecam et le SRI réfléchissent aux moyens de mesurer le gain de notoriété (brand lift) provoqué par les campagnes DAT", confirme Jean-Baptiste Rouet, chief programmatic officer de Publicis Media. Le projet est encore embryonnaire mais celui qui est président de la commission digitale de l'Udecam a déjà quelques idées. "On pourrait s'inspirer de ce que Youtube fait avec les sondages qu'il réalise suite à la diffusion de pré-rolls pubs pour mesurer leur impact sur l'audience", propose-t-il.

"La finalité d'un annonceur est de vendre des voitures, des yaourts… Pas de financer l'Internet"

C'est à ce prix que les régies, qui ne peuvent décidément pas se reposer uniquement sur la bonne volonté des annonceurs, renoueront avec la croissance côté display. Label DAT ou non. "Il est dans l'intérêt des régies de poser les bases d'un Internet durable et respectueux de l'internaute", rappelle Didier Beauclair, directeur de l'efficacité au sein de l'Union des marques. S'il convient qu'il est important que les sites qui adoptent cette démarche vertueuse soient mieux considérés que le tout-venant, le dirigeant de l'UDM rappellent que "la finalité d'un annonceur est de vendre des voitures, des yaourts… Pas de financer l'Internet." Bonne nouvelle, les régies sont plutôt d'accord sur ce point. "Le label n'a pas vocation à fixer les conditions d'un mécénat des sites premiums", reconnait Corinne Mrejen. Reste qu'il est dans l'intérêt de tout le monde que les internautes continuent à regarder des publicités, notamment chez ces éditeurs. "On aura gagné la bataille du Digital Ad Trust quand la courbe d'utilisation des adblockers s'inversera parce que les publicités sont proposées dans un contexte propre et pertinent", conclut Philippe Boutron.

Cet article a également été publié dans Adtech News, supplément papier du magazine CB News, dédié à l'adtech et au martech. Dans l'édition de novembre, le baromètre du programmatique, un focus sur Admax spécialiste du header bidding in-app, une page spéciale Adtech Summit et une interview de la Poste pour bilan sur Trust ID.