Boycott de Facebook : en France, les annonceurs optent pour le statu quo

Boycott de Facebook : en France, les annonceurs optent pour le statu quo Aucun annonceur français n'a pour l'instant décidé de stopper ses investissements au sein de la plateforme. L'Union des marques appelle de son côté à un dialogue pour trouver une solution.

Unilever, Coca Cola, Starbucks… Ils sont plus de 200 annonceurs américains à avoir annoncé suspendre leurs investissements sur Facebook (et parfois Instagram) au cours du mois de juillet pour certains, jusqu'à la fin de l'année pour d'autres. Ce mouvement, dont l'intégralité des participants est accessible ici, s'inscrit dans le cadre d'un appel au boycott lancé par deux associations américaines de défense des droits civils sous l'étiquette #stophateforprofit. En cause, "l'incapacité constante de Facebook à adresser de manière efficace la prolifération de la haine au sein de ses plateformes". Sont notamment pointés du doigt la décision de Mark Zuckerberg de ne pas assortir d'avertissements les messages controversés de Donald Trump et le déferlement de messages à caractère haineux suite au mouvement #blacklivesmatter.

Alors qu'il avait jusque-là un fort tropisme américain, ce boycott prend depuis le 29 juin, une ampleur mondiale. Coca Cola et Adidas ont annoncé stopper leurs investissements globaux là où les premiers membres, comme Unilever et Starbucks, avaient cantonné leur décision au marché US. Et les instigateurs du mouvement #stophateforprofit ont enjoint les annonceurs européens à suivre l'exemple. En France, c'est pour l'instant l'attentisme qui prévaut, aucune marque n'ayant pris position sur le sujet.

"J'ai l'impression que les annonceurs français attendent qu'un autre bouge avant de prendre eux-mêmes une décision sur le sujet"

Le JDN a interrogé les plus grosses agences médias de l'Hexagone pour savoir ce qu'il en était. Du côté de Dentsu Aegis et GroupM, on botte en touche, demandant de poser directement la question aux clients. Mais chez Heroiks, IPG Mediabrands, Publicis Media et Jellyfish France, on confirmait lundi 29 juin au soir qu'aucun client n'avait décidé de stopper ses investissements sur Facebook. "C'est pour l'instant surtout un sujet US", estime Jean-Baptiste Rouet, chief programmatic officer de Publicis Media. "J'ai l'impression que nos clients attendent qu'un autre bouge avant de prendre eux-mêmes une décision sur le sujet", observe de son côté Salem Handoura, directeur du digital chez Heroiks. L'agence média, qui fait un point régulier sur la situation avec ses clients, reste à l'affût. "On a redoublé de vigilance concernant les réactions aux prises de parole de nos clients sur Facebook", admet Salem Handoura. Les commentaires accolés aux posts sponsorisés sont notamment scrutés de près.

L'inertie des annonceurs français tranche en tout cas avec l'agitation qui règne du côté de la filiale française de Facebook. Son patron, Laurent Solly, et la directrice du département agences, Séverine Six, ont eu un week-end plutôt chargé. "Ils ont multiplié les appels et mails pour rassurer leurs partenaires, rappelant les actions mises en place par Facebook", témoigne un patron d'agence. "J'ai reçu ce dimanche un mail long comme le bras qui énumère tous les investissements et les mesures qu'ils prennent contre la haine en ligne", révèle un autre.

"J'ai reçu ce dimanche un mail de Facebook long comme le bras qui énumère tous les investissements et les mesures qu'ils prennent contre la haine en ligne."

Parmi les récipiendaires de ce mail, l'Union des marques, l'association qui regroupe les principaux annonceurs français. "Le sujet n'est pas nouveau puisque nous avons remonté à plusieurs reprises le problème des propos haineux et de la violence en ligne auprès de Facebook", commente son directeur général, Jean-Luc Chetrit. Ce dernier rappelle que la tuerie de Christchurch, diffusée en live sur Facebook, avait occasionné de nombreux échanges avec la plateforme. Ce nouvel épisode devrait occasionner une nouvelle explication, promet Jean-Luc Chetrit.

Pas d'appel au boycott à l'UDM

Pour l'Union des marques (UDM), il est en tout cas hors de question de prendre position sur le boycott. "Une association comme la nôtre n'a pas à orienter le marché de cette façon. Ce serait éthiquement discutable et cela contreviendrait au bon fonctionnement d'un marché concurrentiel comme celui de la publicité", estime Jean-Luc Chetrit. Le patron de l'UDM en appelle plutôt au dialogue et à la force de l'action collective. "Nous avons lancé avec la WFA (l'association des annonceurs dans le monde, ndlr) et certains acteurs du marché, dont Facebook, la Global Alliance for Responsible Medias pour améliorer la fiabilité et la sécurité de l'écosystème digital." Ce projet présenté il y a un an aux Cannes Lions doit permettre la mise en place de définitions communes sur la nature des propos haineux et les conditions d'une mesure indépendante. "Facebook est très coopératif sur le sujet et on espère faire des annonces d'ici la fin de l'année", précise Jean-Luc Chetrit.

"Je pense qu'il faut une réponse systémique à ce problème, au-delà des actions individuelles qui dure quelques mois", estime Jean-Luc Chetrit. Difficile de lui donner tort. Car l'action des quelques 200 annonceurs, si elle a eu un impact sur la valorisation boursière de Facebook (l'action a plongé de 8%), ne devrait pas en avoir beaucoup sur ses bénéfices. D'abord parce qu'elle est limitée dans le temps, ensuite, parce que 76% des revenus de Facebook sont générés par les petites et moyennes entreprises, selon une étude de la Deutsche Bank. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Facebook fait l'objet d'un boycott de ce genre… "Il y avait déjà eu des coupes à l'époque du scandale Cambridge Analytica, même en France. Cela avait duré quelques jours, puis les investissements avaient repris comme avant…", se souvient Jean-Baptiste Rouet.