ePub : un excellent 2e semestre sauve le bilan 2020… mais le plus dur reste à venir
Les investissements en publicité digitale se sont établis à près de 6 milliards d'euros en 2020, selon l'Observatoire de l'ePub. Cela représente une croissance de 3% par rapport à l'année précédente.
Confiné et ratatiné au premier semestre 2020 (au cours duquel il a chuté de 8%), le marché de la publicité digitale français s'est, à en croire l'Observatoire de l'ePub, refait une santé au deuxième semestre. La croissance de 13% des investissements sur la période lui permet même de finir l'année dans le vert. Les investissements en publicité digitale se sont ainsi établis à 6,066 milliards d'euros en 2020, soit une croissance de 3% par rapport à 2019. Il s'agit tout de même d'une vraie rupture pour un marché dont la croissance était en moyenne de 13% chaque année entre 2013 et 2019. Le manque à gagner inhérent à la crise du coronavirus avoisinerait d'ailleurs les 500 millions d'euros selon l'Observatoire. Mais cela témoigne aussi de la résilience d'un secteur qui est le seul canal publicitaire en croissance en 2020. Et c'est là tout sauf une surprise. "Le digital a énormément d'avantages par rapport aux médias traditionnels : il est bien plus accessible côté prix et beaucoup plus facile à réactiver", rappelle la patronne du Syndicat des régies Internet (SRI), Sylvia Tassan-Toffola.
Premier constat, les leviers orientés performance, le social (+7%), les canaux affiliation, emailing et comparateurs (+7%) et le search (+3%) s'en sortent beaucoup mieux que les autres. Les annonceurs, dont une bonne partie ont vu leur activité e-commerce exploser, ont privilégié les canaux les plus ROIstes. Les sites d'informations, dont les publicités display sont peut-être vues mais rarement cliquées, en ont souffert. Les investissements display alloués au secteur ont chuté de 7,9% sur l'année. Deux de ses habituelles vaches à lait ont d'ailleurs essuyé de sérieuses déconvenues : les revenus tirés des opérations spéciales sont en chutes de 21% sur l'année et ceux issus des vidéos de 4%. "Beaucoup d'annonceurs ont coupé leurs investissements de vidéo en ligne en même temps qu'ils ont stoppé leurs achats TV", rappelle le patron de l'Union des agences médias (Udecam), Gautier Piquet.
En 2020, priorité a été donnée aux formats faciles à produire ET à acheter. Le mode d'achat programmatique, qui représente désormais 61% des recettes display, reste en hausse : +4%. Même croissance pour les investissements alloués aux bannières display classiques, format le plus facile et le moins coûteux à produire. Priorité a également été donnée à un trio formé de Google, Facebook et Amazon. De sorte que l'écart entre ces trois acteurs, dont le cours de bourse a quasiment doublé cette année, et le reste du marché, s'est encore creusé. "Le marché de la publicité digitale a plus que doublé depuis 2013 mais cette croissance fait chaque année un peu plus le jeu des géants américains", observe Emmanuel Amiot, partner chez Oliver Wyman.
Le retail search a pesé près de 254 millions d'euros d'investissements, soit 10% du search au total
Pionnier du retail media sur le digital, Amazon est sans conteste le grand gagnant de cette année atypique au rayon pub. Le géant américain, dont l'Observatoire ne communique pas la part de marché, capte selon nos informations plus d'un tiers des investissements en retail media. Dans ce secteur où des géants français comme Carrefour, Casino ou Fnac-Darty sont également présents, c'est surtout le search qui explose : +32% . Le retail search a pesé près de 254 millions d'euros d'investissements, soit 10% du search au total. "2020 a fait gagner deux ou trois ans au secteur en termes de dynamique d'investissement", résume Sylvia Tassan-Toffola. Cela ne devrait pas se démentir en 2021. "C'est le seul secteur dans lequel mon groupe n'hésitera pas une seconde à investir l'année prochaine", confirme Gautier Piquet, qui est également patron de Publicis Media en France.
"Depuis le 1er janvier 2021, c'est la douche froide pour les régies médias"
Pour le reste, c'est plus flou. Gautier Piquet parle de "brouillard anglais" en évoquant le premier semestre 2021. "On a envie d'y croire et on se tient aux prévisions que l'on nous donne", explique le patron de l'Udecam. Parmi celles-ci, celle du cabinet Oliver Wyman, qui table sur une croissance de 7% en France pour l'exercice 2021. Une estimation qui s'inscrit plutôt dans la médiane des différentes études sur le sujet, qui oscillent entre 5 et 9%. Ces prévisions, pour la plupart établies au 4e trimestre, lorsque le marché avait repris de plus belle, risquent toutefois d'être rapidement mises à mal. "J'étais très optimiste en fin d'année alors qu'on faisait un excellent trimestre et qu'on nous parlait enfin de vaccin. Je le suis aujourd'hui beaucoup moins car depuis le 1er janvier, c'est la douche froide", reconnait Sylvia Tassan-Toffola.
Les annonceurs ont pour habitude de couper brutalement leurs investissements après le 31 décembre. Et passé quelques jours, l'effervescence des fêtes enfin dissipée, ils reviennent aux affaires. Sauf que cette année, la gueule de bois dure plus longtemps que prévu. "L'activité repart habituellement vers le 15 janvier, témoigne un patron de régie qui préfère rester anonyme. Mais fin janvier c'est toujours le calme plat." De sorte que Sylvia Tassan-Toffola est redevenue sceptique en ce qui concerne le premier semestre. "Pour le digital, ça se jouera à la marge mais il n'y aura pas forcément de baisse. Ce sera en revanche beaucoup plus compliqué pour les médias classiques", prévient-elle.
"Une accumulation particulièrement anxiogène de contraintes règlementaires au premier semestre 2021"
Pour de multiples raisons, la reprise des investissements publicitaires devrait être plus modeste en France que dans d'autres pays européens. "La chute de notre PIB, bien plus forte qu'en Allemagne, le montre : les entreprises françaises sont rétives au risque", analyse Emmanuel Amiot. En temps de crise, elles privilégient l'attentisme et, avec lui, l'arrêt des dépenses de communication, plutôt que de voir dans la publicité un outil de relance. Et le contexte règlementaire qui s'annonce ne leur facilitera pas la tâche. "Les vents seront moins favorables en France qu'à l'étranger à cause de l'entrée en vigueur des recommandations de la Cnil sur les traceurs et du vif débat qui entoure la régulation du secteur publicitaire dans le cadre de la convention citoyenne", ajoute Emmanuel Amiot. Prévues pour début avril, les recommandations de la Cnil imposeront aux régies médias de nouvelles contraintes en matière de récolte du consentement des utilisateurs, avec notamment l'apparition de l'option "tout refuser" à côté de l'option habituellement mise en avant, "tout accepter". Cela devrait impacter les taux d'opt-in, et donc le pourcentage d'utilisateurs qui acceptent d'être trackés, supérieur en moyenne à 90%. Le SRI prévoit une chute de 30 à 60 points de ce pourcentage et avec lui un impact certain sur les CPM.
"Cette accumulation de contraintes est particulièrement anxiogène dans un contexte économique déjà très difficile", déplore Sylvia Tassan-Toffola. Pris entre plusieurs feux, les régies françaises n'auront pourtant pas d'autre choix que de se réinventer une énième fois. D'autant que les annonceurs deviennent de plus en plus pointilleux et que les campagnes branding se teintent désormais quasiment systématiquement d'une exigence de performance. "Les éditeurs vont devoir travailler la compétitivité et le ROI de leur format", prévient Gautier Piquet. La disparition des cookies tiers, annoncées pour début 2022 par Chrome, est devenue une échéance bien lointaine. "On est obligé de faire des arbitrages, reconnait Sylvia Tassan-Toffola. L'urgence, c'est les recommandations de la Cnil et la convention citoyenne." Pour les régies médias plus que les autres, à chaque jour suffit sa peine.