Réformer la mesure de la performance des campagnes publicitaires pour contribuer à une économie durable

A l'heure où de nouveaux modèles de gestion des entreprises émergent, les agences doivent repenser leur approche pour créer plus de valeur pour les marques tout en réduisant les volumes d'impressions

Même si 82% des français s'inquiètent du changement climatique (source: IFOP, 2023), le phénomène reste perçu comme une menace future et, comme pour toute menace future, il déclenche le plus souvent des réactions improductives. C'est un peu comme lorsqu'on songe à notre propre mort : nous savons qu'elle va arriver mais nous continuons à vivre comme si ce n'était pas le cas car, pour la plupart d'entre nous, cette idée ne génère que panique et désespoir. Mais face aux phénomènes météorologiques extrêmes qui se sont produits dans les régions tempérées ces deux dernières années, de nouvelles consciences s'éveillent et réclament une réponse immédiate et radicale dans le monde occidental. 

Générer de la valeur plutôt que de la croissance volumique

D'après le rapport 2022 des Purpose Disruptors : "La publicité est responsable de 32 % de l'empreinte carbone de chaque personne au Royaume-Uni". Mais comment pouvons-nous soutenir les ambitions des marques si ce n'est en encourageant les consommateurs à acheter leurs produits et services, en réalisant un volume d'affaires plus important et donc en faisant croître les émissions carbone dont ils sont responsables ?  

"Pour aller dans le bon sens", écrit par Christophe Guérin, PDG de Nexans, et publié aux Editions du Cherche Midi, a récemment ouvert de nouvelles pistes de réflexions à ce sujet. Il y raconte comment la société d'électrification, vieille de 120 ans, a appliqué la théorie du "tripple bottom line", théorisée par John Elkington dans les années 1990, pour remodeler sa stratégie et les effets que cela a eu sur son activité. L'enseignement principal de cet ouvrage est le suivant : en ne cherchant plus la croissance volumique liée uniquement à l'augmentation du chiffre d'affaires mais en se concentrant plutôt sur l'augmentation de la valeur générée par ses capitaux engagés, Nexans a réussi à améliorer très significativement son impact environnemental. Cela a induit des changements structurants puisque au cours des quatre dernières années, Nexans est passé de 17 000 à 4 000 clients afin de se recentrer sur les projets les plus rentables et les moins émetteurs de CO2, réduisant ainsi la complexité de l'entreprise et renforçant son potentiel de rentabilité. En conséquence, son EBITDA n'a cessé d'augmenter, tout comme l'engagement des employés.

Bien entendu, toutes les entreprises ne se reconnaîtront pas dans ce modèle. Lors du lancement d'une nouvelle activité ou de la conquête d'un nouveau marché, tous les efforts sont naturellement orientés vers la croissance du chiffre d'affaires. Cependant, de nombreuses marques établies de longue date pourraient appliquer la logique qui a fait le succès de Nexans ces dernières années (sa capitalisation a quadruplé depuis 2019).

Les agences média pourraient-elles s'inspirer de ce modèle pour transformer leurs stratégies aujourd'hui fondées sur l'atteinte du plus grand nombre d'utilisateurs possible, avec la pression marketing la plus forte possible sans dégrader l'image de la marque, tout en minimisant les coûts par impression, afin de déclencher plus de clics, de pages vues et d'achats ? Et pourraient-elles de cette façon soutenir non plus la croissance des ventes, mais la création de valeur, et donc de rentabilité pour les marques qu'elles s'appliquent à servir ?

Redéfinir les indicateurs de performance

Pour y parvenir, le premier chantier à engager serait la révision des KPIs qui servent à mesurer le succès des campagnes, comme par exemple :

  • Le coût par impression - bien que sa réduction ne soit plus, dans la plupart des cas, l'objectif ultime des campagnes, il n'en demeure pas moins que celui-ci est scruté de près par les traders car sa baisse induit automatiquement plus d'impressions à budget égal. Mais puisque chaque impression est génératrice de CO2 (0,7 gramme de CO2 en moyenne d'après Scope 3 pour le streaming vidéo), alors une diminution du CPM induit aussi automatiquement une augmentation du volume d'émissions totales de la campagne. Ainsi, si nous réduisons le CPM d'une campagne programmatique de 6 à 5€ pour une campagne d'un budget total de 500 000 € , nous obtenons plus de 83 000 000 d'impressions supplémentaires et plus de 11 tonnes de CO2 supplémentaires (source : Scope 3 Q2 State of Sustainable Advertising), sans nécessairement savoir si cela s'est traduit par une plus grande valeur ajoutée pour la marque. 
  • Les conversions attribuées – On en parle depuis des années, ce principe qui exige que l'on génère le plus de conversions possible, sans prendre en compte le profit qu'elles permettent à la marque de dégager ou l'impact environnemental dont elles sont responsables, est évidemment dommageable à la fois pour la performance de la marque et pour le climat. 

Par conséquent, notre objectif en tant que spécialistes du marketing devrait être d'aider les marques à générer des profits (et non des revenus) à long terme avec le moins d'impressions possible. Cela nécessiterait une collaboration plus étroite entre les marques et leurs agences afin de comprendre réellement leur stratégie, de disposer de données permettant aux agences de gérer les campagnes en fonction de la rentabilité plutôt que des revenus, et d'avoir le courage de s'éloigner des indicateurs de performance à court terme. Les avantages dépasseraient de loin le temps et les efforts nécessaires à la mise en œuvre. Non seulement cela contribuerait à bâtir des entreprises plus saines et plus résistantes, mais cela permettrait également au secteur de la publicité de participer au développement d'une économie durable, condition indispensable à l'aboutissement des luttes contre le dérèglement climatique.