2025 : La fin de l'hégémonie Meta-Google ?
En 2025, et pour la première fois depuis une décennie, il est estimé que Google détiendra moins de 50% du marché des publicités sur les résultats de recherche aux États-Unis.
C’est loin d’être anecdotique, car le search représente 306 des 740 milliards de dollars du marché de la publicité en ligne. Ce qui est intéressant, c’est que cette dynamique n’est pas liée à l’arrivée des agents IA (Chat GPT, Perplexity & friends), car on parle bien du marché publicitaire et non des requêtes or les revenus publicitaires de tous les nouveaux challengers auxquels on pense sont souvent minimes, voire inexistants.
Il existe en réalité des menaces beaucoup plus urgentes qui pèsent sur le géant californien de la publicité. Ce qui se passe dans le secteur du search est le reflet d’une tendance de fond qui touche tout le marché du marketing digital : la fragmentation du marché de la publicité que Meta et Google tiennent d’une main de fer depuis plus d’une décennie.
Sur la seconde moitié de 2024, on a toutefois pu voir les premiers signes d’un effritement qui n’apparaît pas encore dans les résultats financiers.
Fragmentation : la fin d’une hégémonie sans partage
Depuis plus de dix ans, Google (sur la recherche) et Meta (sur le social) dominaient sans partage la publicité digitale. Désormais, les signaux d’érosion se multiplient. Snapchat, Pinterest, TikTok… ces anciens « outsiders » sont passés au rang de plateformes capables de capter des budgets conséquents, en particulier sur le segment du direct response (conversion immédiate : ventes, inscriptions, téléchargements). Snap a ainsi enregistré deux trimestres consécutifs avec une croissance de 16 % sur ce segment. Pinterest, de son côté, a vu ses revenus grimper de 18 % et sa base utilisateurs croître de 11 % en un an. TikTok, quant à lui, dépasse déjà Snap et Pinterest réunis en volume d’utilisateurs et s’aligne sur l’e-commerce grâce à un accord avec Amazon. Pour Meta, qui régnait jusqu’alors sur la publicité à la performance, ces concurrents empiètent désormais sur son terrain le plus rentable.
Amazon à l’assaut du “search”
La menace est tout aussi sérieuse pour Google, concurrencé par un acteur qui, a priori, n’était qu’un simple géant du e-commerce : Amazon. De plus en plus d’acheteurs démarrent leur recherche de produits directement sur Amazon, d’où une érosion progressive de la part de marché de Google dans la publicité de recherche.
Le Wall Street Journal souligne que la part de Google dans le search US passera bientôt sous les 50 %. Amazon, qui maîtrise ses données transactionnelles internes, peut ainsi proposer des publicités ultra-ciblées, sans passer par les intermédiaires habituels. Et comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise investit aussi dans la TV connectée (Prime Video), poursuivant sa diversification dans la publicité.
Pressions réglementaires : un contexte explosif
Le Department of Justice (DOJ) américain a engagé un procès antitrust historique contre Google, l’accusant de « pratiques anticoncurrentielles » dans l’ad tech. Parmi les solutions envisagées : obliger Google à licencier son index de recherche à des concurrents, voire à céder Chrome ou d’autres pans stratégiques de son activité.
Meta n’est pas épargné, en particulier en Europe. Sous la pression de Bruxelles, Facebook et Instagram doivent désormais proposer des options de publicité moins personnalisée, rognant ainsi la pierre angulaire de leur modèle économique.
Cette conjonction entre concurrence accrue et menace de démantèlement pèse lourd pour les deux géants, qui doivent repenser leur stratégie alors que leur monopole paraît plus fragile que jamais.
La troisième vague : le retail media
Une révolution publicitaire plus vaste est en train de s’opérer : celle du retail media, ce modèle qui réunit contenu, merchandising et acte d’achat. Amazon a ouvert la voie, mais d’autres enseignes américaines suivent le mouvement : Walmart Connect, Target Roundel, Kroger Precision Marketing, etc.
Selon eMarketer, les dépenses en retail media pourraient culminer à 130 milliards de dollars d’ici 2028, dépassant à la fois le social (128 milliards) et la recherche (107 milliards). Le potentiel est énorme car on y parle de first-party data et de conversion immédiate. Pour Google et Meta, ce virage est difficile : ils n’ont pas, par nature, cette base de données transactionnelles directement liée à l’achat.
Le syndrome de la petite plateforme
Si la fragmentation s’accélère, elle reste toutefois freinée par le small platform syndrome. Pour qu’une plateforme publicitaire émerge, il lui faut un volume d’annonceurs et de dépenses suffisant pour affiner son ciblage. Mais les annonceurs n’investissent massivement que lorsque la performance est déjà prouvée. C’est le « pas de data sans budget, pas de budget sans data ».
Dans un contexte où la protection de la vie privée s’accentue (post-ATT, disparition progressive des cookies tiers), il est d’autant plus complexe de faire émerger une nouvelle plateforme. Les annonceurs préfèrent rester sur Google et Meta, qui disposent déjà de tous les outils d’optimisation et de mesure.
Comment Google et Meta ripostent
Google et Meta intègrent la puissance de l’IA dans leurs outils pour répondre aux défis actuels. Meta annonce que plus d’un million d’annonceurs ont utilisé ses fonctions d’IA pour générer des millions de publicités. De son côté, Google enrichit Performance Max et développe Imagen 3 pour créer des visuels génératifs pertinents, automatisant le processus publicitaire de bout en bout. Pour contrer des concurrents comme Perplexity ou Bing Chat, Google introduit les AI Overviews, qui affichent des résumés conversationnels monétisables, permettant de maintenir un écosystème unique et de ne pas laisser l’IA externe capter les requêtes des utilisateurs.
Meta mise sur les formats publicitaires “click-to-message”, qui mènent directement à des conversations sur WhatsApp ou Messenger, transformant la publicité en un canal d’acquisition quasi instantané grâce à sa gigantesque base de messagerie. Enfin, dans le domaine de la télévision, Google s’appuie sur YouTube, qui génère plus de 50 milliards de dollars par an (publicités + abonnements), pour s’imposer comme une alternative à la télévision traditionnelle. Meta, quant à lui, tente de transposer son expertise en ciblage et en mesure pour séduire les annonceurs lassés des offres classiques.
Vers une redistribution plutôt qu’un effondrement
À mesure que la concurrence s’intensifie, la position de Google et Meta montre des signes d’affaiblissement, mais il serait prématuré de parler d’effondrement. Leur écosystème demeure remarquablement solide, avec des milliards d’utilisateurs, des budgets publicitaires largement captifs, une IA de pointe et une infrastructure colossale.
La dynamique actuelle s’apparente plutôt à une fragmentation : les annonceurs redistribuent leurs budgets sur une diversité de canaux, testent de nouveaux formats et s’ouvrent au retail media. Face à cela, les duopoles misent sur des investissements technologiques, intégrant l’IA, les formats conversationnels et la conquête de la TV, pour maintenir leur position. Le marché publicitaire entre dans une ère marquée par une multiplication des points de contact et une demande accrue des consommateurs pour des expériences d’achat fluides et intégrées. Si Google et Meta ne dominent plus de façon incontestée, leur capacité d’action reste considérable. La question n’est pas tant de savoir si l’oligopole va s’effondrer, mais plutôt comment il va se transformer, autour de nouveaux écosystèmes tels que le retail media, le social commerce et l’IA, où les acheteurs recherchent qualité, fluidité et protection des données.
Pour les annonceurs, c’est une période propice à l’exploration et à la diversification stratégique. Trouver l’équilibre entre les plateformes historiques et ces nouveaux leviers publicitaires est crucial. Dans un marché plus morcelé que jamais, l’objectif n’est plus seulement d’être visible, mais d’être visible au bon endroit, au bon moment, avec une proposition de valeur pertinente et adaptée.