Erwan Le Page (Media Square) "Media Square devrait finir l'année à l'équilibre malgré un premier semestre compliqué"
Dans un open web plus que chahuté, Erwan le Page, directeur général de Media Square, partage avec le JDN sa stratégie pour limiter les pertes en attirant de nouvelles sources de revenus.
JDN. Media Square vient de lancer une plateforme d'achat média en self-service : les annonceurs pourront activer leurs campagnes sans passer par un DSP. Quel est votre objectif avec ce lancement ?

Erwan Le Page. Media Square est là pour commercialiser au mieux les inventaires qui nous sont confiés par nos éditeurs. Cela nous pousse à faire évoluer notre offre afin de diversifier nos sources de revenus. Par exemple, alors que nous étions historiquement à 100% sur le programmatique, nous avons mis en place il y a trois ans des ventes directes. Ces dernières comptent déjà pour 20% de notre chiffre d'affaires en 2025. Cela répond aux besoins d'agences, y compris de grosses structures, qui ne souhaitent pas exécuter elles-mêmes certaines campagnes programmatiques.
Le lancement de la plateforme self-service AdMe va dans le même sens : elle facilite l'accès à nos inventaires commercialisés en programmatique notamment pour les petites et moyennes entreprises, pas du tout habituées à cet écosystème. Il est désormais possible d'activer ses campagnes sur notre écosystème de sites et applications de marques médias pour un ticket d'entrée de seulement 500 euros. Trois formats display sont disponibles au CPM et au CPC et cela va s'enrichir au fil des mois.
Les médias historiques ont du mal à servir les petits et moyens annonceurs sur le digital. Ces derniers se servent volontiers du search et du social. Media Square est bien placée pour faciliter cet accès, vu que nous sommes un one stop shop donnant accès à 468 sites et applications parmi les plus qualitatifs du marché. Ce qui est rassurant, c'est que nous sommes plusieurs à lancer ce type de produit, à l'instar de Prisma ou 366. Cela va contribuer à créer ce marché.
Le fait de lancer des OI et de s'ouvrir aux PME est-il un signe que le modèle classique programmatique/agences atteint ses limites ?
Cela fait plusieurs années que la part de l'open web se rétrécit pour les médias. Ce dernier est concurrencé massivement par les grandes plateformes qui captent une part croissante des budgets. Sur certaines années, les Gafam arrivent à capter jusqu'à 95% de la croissance. Dans un tel contexte, notre marché est de facto moins investi, surtout que même la vidéo, qui jusque-là permettait aux éditeurs de tenir bon, pâtit fortement de l'arrivée de la CTV. Avec les offres CTV en plein boom, fortement portées par les chaînes TV en plus des plateformes, les annonceurs positionnés sur la vidéo désinvestissent les offres vidéo des éditeurs issus de la presse. C'est pourquoi nous cherchons de nouvelles sources de revenus en répondant à une demande qui existe et que nous ne servions pas jusque-là dont celle des petits et moyens annonceurs.
Les recettes programmatiques sur l'open web étant en baissse, que constatez-vous sur votre périmètre ?
Nous sommes sur une tendance à -10% (pour les recettes et les CPM) au premier semestre de l'année comparé au premier semestre 2024, ce qui est en phase avec les chiffres du marché. Au troisième trimestre, nous sommes à +4% et +12% pour les CPM. Cela montre que l'open web a accusé le choc de la CTV et qu'il réagit et retrouve des couleurs. Je pense que nous allons finir l'année à l'équilibre malgré un premier semestre compliqué, ce qui est encourageant. Cela nous laisse une marge pour continuer à innover.
Comment parvenez-vous à rester rentables dans un tel contexte ?
Media Square s'autofinance à 100% et n'a jamais eu besoin d'être recapitalisée par ses actionnaires depuis sa création, il y a 13 ans (Media Square est une coentreprise détenue par CMA Média, CMI Média, Les Echos-Le Parisien, Le Figaro, France Télévisions, Libération, Le Monde, Prisma Media et le Point, ndlr). Aucun d'entre eux n'a la majorité, tous ont un accès à nos comptes. Notre taux de régie est connu, il est de 20%. Nos actionnaires ne sont pas obligés de mettre leurs inventaires chez nous : s'ils restent branchés à Media Square, c'est que nous sommes compétitifs.
Nous ne disposons d'aucune exclusivité sur les inventaires que nous vendons. Nous sommes placés en concurrence au même niveau des autres SSP qui viennent bidder chez nos clients éditeurs. Nous remportons l'enchère uniquement si nous arrivons à la vendre mieux que les autres, au bénéfice des éditeurs. Nous devons par conséquent innover, en proposant des ciblages exclusifs aux annonceurs par exemple, tout en étant très transparents et sobres.
Media Square n'a pas vocation à générer beaucoup de profits mais de s'autofinancer et d'optimiser les coûts pour générer un maximum de demande sur les inventaires de nos éditeurs. Nous avons eu des résultats légèrement négatifs ces deux dernières années. Cela s'explique en partie par les frais engagés dans notre action en Justice contre Google.
Justement, vous contestez le résultat en première instance de votre action contre Google. Pourquoi?
Nous avions en effet déposé un recours contre Google au printemps 2024 réclamant des dommages et intérêts du fait de l'abus de sa position dominante et du favoritisme accordé à ses propres outils. Nous avons démontré que nous avons subi des préjudices sur les volumes et la valeur des impressions vendues. Nous avions plusieurs fois fait la demande pour accéder à Adx, sans succès. Le jugement en première instance a été rendu cet été : la cour a reconnu que nous avons été pénalisés en volume d'impressions et a condamné Google mais elle n'a pas retenu nos préjudices ni en valeur ni vis-à-vis du refus d'accès à la place de marché de Google. Nous avons donc fait appel. Le chemin sera sans doute long jusqu'à ce que nous soyons fixés.
Dans un open web déjà bien chahuté, comment analysez-vous l'arrivée des chatbots d'IA ?
Le programmatique et le marché publicitaire sauront toujours se réinventer. De toutes façons, le modèle basé sur des inventaires disponibles à l'infini touche à sa fin. Demain, avec un inventaire plus limité, nous pourrons valoriser l'existant, et cela est plutôt positif. Ce qui m'inquiète en revanche est l'énorme pression économique qui pèse sur les épaules des éditeurs et la difficulté pour eux de développer leurs sources de revenus dans un contexte où les usages changent radicalement. L'arrivée des IA amplifie fortement les défis qui s'imposent aux éditeurs. Seuls quelques grands groupes arrivent à signer des accords structurants avec les IA. Or, ces dernières ont besoin de l'autorité des marques média. En publicité, les études le démontrent, les consommateurs prêtent plus d'attention au message quand il est cautionné par ces dernières. Et les citoyens ont besoin d'un écosystème média riche et diversifié.