Nos données sont imparfaites, et c'est tant mieux !
Alors que la digitalisation du quotidien a entraîné une collecte sans précédent de données, elle a aussi fait naître le mythe d'une data omnisciente. Et pourtant, la donnée n'est pas parfaite... Pourquoi collecter toujours plus quand on peut faire mieux avec moins et compléter l'information plutôt que de repartir à zéro avec chaque nouvelle étude ?
Il semble y avoir une certaine contradiction à vouloir marier data et frugalité tant nos métiers de conseil en communication et en marketing se repaissent de données à longueur de journée. La décennie post-crise 2008 a renforcé chez les annonceurs la nécessité de mieux maîtriser leurs investissements et a accentué l’obligation de résultats. En parallèle, la digitalisation de nos quotidiens a massifié la collecte de données et fait naître le mythe d’une data omnisciente.
La donnée est imparfaite
À l’ère du tout mesurable, la voix des consommateurs est scrutée en temps réel. Nous les bombardons de questionnaires d’avis ou de satisfaction, nous traçons leurs moindres faits et gestes. Savoir ce qui va être dit devient la préoccupation majeure. Nous croulons sous la donnée, gavés d’études et de chiffres. La data est au cœur de nos réflexions. Nos stratégies sont data-driven. Nos dispositifs sont data-centric. Mais nous ne semblons pas mieux décider – 57% des responsables d’entreprise estiment que les données ne sont pas utilisées de manière cohérente comme base pour leurs prises de décision.
« Juste une illusion, à peine une sensation. » Notre quête d’une connaissance parfaite et définitive de nos audiences semble peu compatible avec la définition d’un marketing fluide qui se doit d’évoluer, de s’adapter et de se transformer au même rythme que les consommateurs, leurs envies, leurs choix, leurs habitudes. Il paraît alors bien illusoire de s’accrocher à une certaine forme de perfection et donc de finitude de nos analyses, de nos bilans, de nos jugements. Cherchons plutôt à adopter une logique d’amélioration continue que de repartir de zéro en permanence et de lancer étude sur étude.
Data : vers une approche plus frugale
Une nouvelle forme de frugalité se construit autour du respect de nouveaux cadres légaux comme le RGPD, cette réglementation européenne qui rend schizophrènes les professionnels du marketing sensibles au respect de leur vie privée mais désireux de préserver leur pouvoir d’intrusion dans celle des autres. Plus qu’une contrainte, elle interroge cependant nos méthodologies, et remet en question certaines de nos pratiques. Les règles du jeu changent, vers un meilleur respect de nos consommateurs et de leur vie privée. Les plateformes sociales ferment les vannes – Facebook restreint ses API, LinkedIn cloisonne son écosystème – et nous obligent à revoir nos manières de sonder ce qui se dit. Le social listening est partiel, frugal. La législation et les plateformes nous imposent donc une utilisation plus vertueuse des données. Le besoin de tout connaître est remplacé par celui de concentrer ses efforts sur l’essentiel s’accompagnant d’une réduction drastique des gaspillages de données de faible valeur.
L’une des réponses est de faire la somme. Une approche plus holistique des données disponibles permet à chaque expertise de combler ses imperfections en combinant les connaissances offertes par chaque champ d’étude. Elle implique de casser toujours plus les silos, bien sûr, mais surtout de créer des référentiels communs entre une étude terrain et une écoute sociale, par exemple entre des analyses de performance d’un site marchand et un questionnaire d’avis. Chaque travail d’analyse ne se suffisant plus à lui-même, ce n’est pas le résultat de l’analyse qui devient intéressant mais la confrontation de ses résultats avec ceux d’autres champs d’expertise. Le marketing frugal, c’est un marketing qui grignote plutôt qu’il ne consomme des données. Il rime avec économies de moyens dépensés pour capter, mobiliser, analyser et restituer des jeux de données dont l’interopérabilité devient la clé vers un système d’analyse plus cohérent et solide.
Osons l’imperfection.
Voyons la frugalité imposée comme un moyen de faire différent, mieux mais avec moins de moyens, soyons ingénieux. Oublions la data pour la data, la data comme prêt-à-jeter. Vite consommée, vite oubliée. Profitons de cette cure de données imposée par la législation pour soigner notre obésité morbide des données. Développons notre économie circulaire de la donnée, non plus pensée pour une analyse unique mais pour enrichir ou être enrichie dans la durée ; remobilisable plus facilement et venant nourrir un tout plus cohérent, plus juste, plus fiable. Assumons les imperfections de nos méthodes d’analyses respectives et combinons les forces. Évitons les gaspillages inutiles pour nous concentrer sur des projets mieux intégrés, évolutifs et structurels. Et passons d’une boulimie de données à un grignotage réfléchi, sélectif et durable.