Protéger les données et se protéger des données
Alors qu'elles sont omniprésentes, désormais, le 28 janvier, les données ont droit à leur Journée mondiale. Faut-il cependant les protéger ou s'en protéger ?
Il y a des journées mondiales pour tout : les moustiques, les tigres, les éléphants, les pangolins, les baleines, les manchots, les abeilles, etc.
Désormais, le 28 janvier, les données ont également droit à leur Journée mondiale. Alors qu’elles sont pourtant de plus en plus présentes et qu’elles débordent (si l’on en croit une étude de Statista, leur volume mondial sera multiplié par 45 entre 2020 et 2035), seraient-elles paradoxalement une espèce menacée ?
Pour beaucoup d’observateurs, elles pourraient être aussi bien une espèce menaçante. Telle une variété exotique, invasive et prédatrice, les données se nourriraient voracement de la vie privée de l’ensemble de la population. En grande partie, l’économie numérique repose en effet sur l’utilisation de leurs données personnelles. Au point qu’elles sont devenues le moteur du système. Au prétexte qu’ils ont accès gratuitement à des services numériques, la plupart des internautes ne se soucient pas de comprendre comment les entreprises se financent, ne s’insurgent pas davantage contre un modèle économique basé sur la collecte d’informations qu’elles pourront ensuite analyser, disséquer, revendre, etc. L’adage est pourtant simple : « si c’est gratuit, tu es le produit ».
Cette Journée mondiale de la protection des données est donc à percevoir dans un double sens de protection : protéger les données d’utilisations dérégulées et se protéger des données dans le cadre de leurs possibles utilisations abusives. Car les données, qualifiées à juste titre de nouvel or noir par certains, sont un bien trop précieux pour ne pas faire l’objet d’une attention scrupuleuse quant à leurs usages. Cela renvoie d’ailleurs à un paradoxe : celui de l’humain, qui a une double attitude par rapport aux données. En tant que consommateur, il attend d’une marque qu’elle lui propose la bonne offre au bon prix et au bon moment, ce qui implique nécessairement une collecte et une analyse de données. Parce que nous sommes passés des 4P aux 4E, du one-to-many au one-to-one, le consommateur veut également une offre personnalisée, se sentir unique, ce qui nécessite là encore de la collecte de données.
En tant que citoyen, il est par contre très attentif, voire vent debout, dès lors que l’utilisation rentre dans le cadre général de la surveillance. L’application TousAntiCovid est le parfait exemple de ces deux états qui cohabitent dans une seule personne. Ceux qui se sont insurgées contre le détournement qui pourrait être fait de leurs données sont les mêmes qui déversent de leur plein gré et à longueur journée des données utilisées à des fins purement commerciales.
Sortir de cette dualité entre attitude extatique et défiance paranoïaque suppose de redéfinir ou plus exactement de définir enfin la juste distance vis-à-vis des données.
Autre aspect à considérer quant aux données : la dissociation entre immatériel et matériel. Dans l’imaginaire collectif, la donnée n’est pas concrète, pas palpable. Elle est donc jugée immatérielle. Pourtant, il faut bien la stocker, ce qui implique des disques durs, des serveurs, etc. Bref, autant d’éléments matériels mais aussi énergivores alors que l’urgence climatique devrait pourtant nous inciter à faire une diète de données, donc à nous protéger d’elles. Cette accumulation de quantités phénoménales d’informations met également les marques en danger en termes de confiance, de réputation, et d’éventuelles sanctions financières en cas de fuite de données ou de cyberattaque.
Enfin, cette Journée mondiale de la protection des données nous rappelle également que le rapport de force entre le citoyen/consommateur et les mastodontes de la technologie que sont les GAFAM semble totalement déséquilibré. Ces derniers ont en effet réussi le tour de force de nous convaincre de leur livrer nos données de plein gré pour les exploiter. Ils ont également des super calculateurs capables de traiter, d’analyser, de structurer ces données et d’en tirer des modèles. Néanmoins, ce rapport de force, qui semble complètement déséquilibré, ne penche pas toujours en faveur des géants de la tech. Les citoyens peuvent décider du jour au lendemain de reprendre le pouvoir sur leurs données.
Parce que l’univers digital concerne désormais le moindre aspect de l’existence, il est impératif de développer un mode harmonieux de cohabitation avec les données en faisant en sorte qu’elles œuvrent pour le bien commun. C’est pourquoi se protéger des données est sans doute le moyen le plus efficace de protéger les données.