Pour une nouvelle approche de la monétisation des données ou La monétisation des données 2.0

La monétisation des données est un en jeu majeur autant pour les entreprises que pour le grand public qui a aussi son mot à dire sur la gestion de ses précieuses données personelles.

« L’accumulation de connaissances n’est pas la connaissance ». Cette citation célèbre de l’écrivain argentin Alberto Manguel s’applique à merveille à la data. L’accumulation exponentielle et souvent incontrôlée des données dans nos entreprises n’est en rien un gage de valeur ajoutée ou de croissance supplémentaire. 

Si la production et le stockage en masse des données a été le leitmotiv du big data, tous les regards se portent désormais sur les cas d’usage à même de transformer ces montagnes d’informations en monnaie sonnante et trébuchante, en véritables avantages concurrentiels susceptibles de légitimer les investissements souvent colossaux consentis par les organisations pour se constituer et exploiter leur patrimoine data.

La monétisation des données devient ainsi pour beaucoup d’entreprises un objectif affirmé et assumé dans leur business model, bien que délicat dans l’approche tant elle reste mal perçue du grand public et des autorités, notamment dès lors qu’il s’agit de données à caractère personnel ou d’autres informations sensibles.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de données agrégées et anonymisées (c’est-à-dire ne permettant en aucune façon de renseigner sur l’identité et les activités d’une personne identifiable ou identifiée), les barrières à la monétisation sont franchies avec moins de scrupules. Pour ne citer qu’un exemple, les opérateurs téléphoniques sont ainsi passés maîtres dans l’art de la revente de données agrégées que ce soit auprès des acteurs du transport (taux de remplissage des rames de train basé sur le nombre de téléphones portables, géolocalisation des trains en cas d’incidents, etc.), du tourisme (fréquentation de sites touristiques à ciel ouvert, efficacité de campagnes marketing réalisées à Paris pour des sites en province, etc.) ou de l’urbanisme (fourniture de données pour optimiser le positionnement de certaines infrastructures publiques : gares, écoles, hôpitaux, etc.).

Cela étant, l’une des grandes difficultés auxquelles vont se heurter les entreprises désireuses de capitaliser sur leurs montagnes de données est le principe de « limitation des finalités » déjà présent dans la Loi Informatique et Libertés de 1978 et réaffirmé par le RGPD en 2018. Ce principe stipule d’après la CNIL que : « Les données sont collectées pour un but bien déterminé et légitime et ne sont pas traitées ultérieurement de façon incompatible avec cet objectif initial. Ce principe de finalité limite la manière dont le responsable de traitement peut utiliser ou réutiliser ces données dans le futur. »(1)

Autrement dit, si une organisation souhaite a posteriori vendre ou louer des données personnelles qu’elle a collectées, cela supposerait que cette monétisation ne soit « pas incompatible » avec le but premier de la collecte tel qu’il a été initialement présenté aux personnes concernées. Or, il est aujourd’hui rarissime de voir des mentions nous indiquer de façon explicite que nos données serviront à générer des gains économiques, quand bien même tout le monde est bien conscient que c’est précisément la nature même des business models des grands acteurs du web aujourd’hui.

Mais si l’on souhaite suivre une certaine éthique dans l’usage que l’on fait des données, la « limitation des finalités » du RGPD implique donc une véritable anticipation qui n’est aujourd’hui souvent pas de mise dans les sociétés. En effet, il est plus fréquent aujourd’hui de voir une structure construire des data plateformes (ou autrefois des datawarehouse ou datalakes) et de laisser libre cours à l’imagination de ses data scientists pour imaginer de nouveaux cas d’usage et de nouvelles manières de tirer une valeur supposée de toutes ces data.

Néanmoins, on le voit bien, cette tendance à l’accumulation des données sans buts prédéfinis entre en contradiction avec la volonté légitime des organisations d’accroître les retours sur investissements. Il est grand temps d’en finir avec cette stratégie non-rentable - et peu durable par ailleurs - de la « collecte pour la collecte ». C’est dans l’anticipation, dans la réflexion stratégique en amont et même dans la collaboration transparente avec les personnes dont on collecte les données que se trouve le véritable nouvel « eldorado » de la data que l’on nous promet depuis des années.

Car après tout, pourquoi la monétisation devrait se faire dans le dos ou, pire encore, au détriment de ceux qui nous font suffisamment confiance pour partager avec nous une partie d’eux-mêmes ?

Il y a 10 ans déjà, le Financial Times mettait en ligne une plateforme(2) pour permettre aux internautes de calculer la valeur pécuniaire de leurs données personnelles aux yeux des databrokers, ces courtiers qui incarnent à bien des égards la monétisation sauvage des données. La plateforme montre comment, dans ce modèle-ci, même la fourniture d’un grand nombre de données et de données sensibles (santé, financière, origine ethnique, statut marital, etc.) n’a que très peu de valeur (à peine quelques centimes) dans un marché peu efficient qui privilégie la quantité à la qualité, le tout au détriment de la sécurité qui plus est.

Si les organisations prenaient le temps de construire des modèles sains, transparents, respectueux de la protection des données personnelles (et donc de nature à accroître la confiance et à réduire les risques) et qui bénéficieraient autant à leur chiffre d’affaires qu’au portefeuille et aux intérêts de leurs clients, il y a fort à parier que la monétisation des données cesserait d’être aussi mal perçue et que les possibilités de création de valeur en seraient démultipliées. Alors seulement, l’eldorado promis des données s’ouvrira à tous.

(1) Source

(2) Financial Times, “What is your data worth?”