Titres-restaurant : menace sur 40 000 emplois
Les titres-restaurant, dispositif clé pour le pouvoir d'achat des salariés et l'économie locale, sont au cœur d'un débat houleux. Prolongée jusqu'en 2026, leur utilisation élargie aux supermarchés suscite des tensions entre restaurateurs, grandes surfaces et autorités, qui s'interrogent sur l'avenir de ce mécanisme central.
Un dispositif détourné de sa vocation initiale
Les titres-restaurant, initialement conçus pour financer les repas pris pendant les pauses déjeuner des salariés, ont vu leur usage élargi depuis 2022. Cette dérogation, mise en place pour répondre à la crise sanitaire et à l'inflation, permet d'acheter des produits alimentaires en supermarché. L'Assemblée nationale a récemment voté pour prolonger cette mesure jusqu'au 31 décembre 2026, une décision qui attend encore la validation du Sénat.
Pour Jean-Michel Rousseau, vice-président de la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), cette extension pose un risque majeur : "Si le titre-restaurant est dévoyé de son objet, il y a le risque que la Cour des comptes remette en cause l'exonération" de charges sociales, a-t-il déclaré, cité par Le Journal de l'Économie. Cette exonération est essentielle au modèle économique des titres, permettant aux employeurs de cofinancer ces titres tout en bénéficiant d'allégements fiscaux.
Un impact significatif sur l'emploi et l'économie locale
D'après une étude commandée par la CNTR, le dispositif des titres-restaurant soutient 76 000 emplois directs dans la restauration, contre moins de 7 500 dans la grande distribution. La suppression de l'exonération pourrait entraîner la disparition de 40 000 emplois, un chiffre alarmant pour l'économie locale. En 2023, les titres-restaurant ont généré 14 milliards d'euros de dépenses, dont 8,6 milliards pour la restauration rapide et traditionnelle, selon les données CNTR relayées par La Tribune.
Sur le plan fiscal, l'étude estime que l'État perçoit environ 3 milliards d'euros par an grâce à la TVA, aux cotisations sociales et patronales, ainsi qu'aux impôts sur les sociétés. Après déduction des exonérations, le bénéfice net pour les finances publiques atteint 845 millions d'euros par an.
Les restaurateurs en colère, les distributeurs en défense
Les restaurateurs critiquent cette prolongation, y voyant une menace directe pour leur activité. Thierry Marx, président de l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie (Umih), a qualifié cette mesure de "scandale". Selon lui, cette extension prive les restaurateurs d'une manne estimée à 576 millions d'euros par an. Il a plaidé pour la création d'un titre distinct destiné exclusivement à la grande distribution.
De leur côté, les grandes surfaces défendent cette mesure, qui reflète les nouvelles habitudes de consommation. Layla Rahhou, déléguée générale de la Fédération du Commerce et de la Distribution, a expliqué dans un post LinkedIn que l'extension des titres-restaurant répond aux "habitudes de consommation [qui] évoluent (préparation de repas faits maison pour le travail, télétravail...) pour des raisons pratiques, sociales et économiques".
Vers une réforme nécessaire en 2025
Face à ces tensions, la CNTR appelle à une réforme globale du dispositif dès 2025. Parmi les propositions avancées figure la mise en place de plafonds différenciés : un montant spécifique pour les produits prêts à consommer et un autre pour les denrées nécessitant une préparation. Jean-Michel Rousseau a admis toutefois qu'" une fois qu'on a donné l'autorisation d'utiliser les titres-restaurant pour un usage, on peut difficilement revenir en arrière ", cité par La Dépêche.
En parallèle, la CNTR recommande d'augmenter la valeur faciale des titres pour couvrir le coût réel d'un repas équilibré, estimé entre 12 et 19 euros selon les régions. La part patronale, actuellement fixée à 60%, pourrait également être revue à la hausse pour mieux répondre aux besoins des salariés.