Nvidia, la reine de Wall Street qui valait 4 000 milliards
Il n'y a pas si longtemps, franchir le seuil des 1 000 milliards de dollars de capitalisation boursière relevait encore du fantasme.
En 2018, Apple fut la première à atteindre ce niveau symbolique, avant de gravir les échelons suivants : 2 000 milliards en 2020, puis 3 000 milliards en 2022, brièvement d’abord, puis durablement en 2023. Durant toute cette période, Microsoft est restée en embuscade, sans toutefois parvenir à la détrôner.
Aujourd’hui, l’ordre établi est bousculé. Nvidia, longtemps cantonnée à l’image d’un fabricant de cartes graphiques de jeux vidéo, a brièvement franchi hier – 9 juillet 2025 –, le cap des 4 000 milliards de dollars de capitalisation boursière, devenant ainsi la première entreprise de l’histoire à atteindre ce seuil. Elle a clôturé la séance légèrement en dessous, mais la symbolique reste forte. Ce qui impressionne davantage encore, c’est la rapidité de l’ascension : un peu plus d’un an seulement pour passer de 1 000 milliards, atteints en juin 2023, à 4 000 milliards, franchis en juillet 2025. Jamais une société n’avait réussi un tel exploit.
L’intelligence artificielle, moteur d’une trajectoire hors norme
Si Nvidia brillait déjà avant l’explosion de la demande en intelligence artificielle, c’est bien cette révolution technologique qui a catalysé son envolée récente. Depuis 2019, son action a enchaîné des performances exceptionnelles, avec des progressions annuelles à deux, voire trois chiffres (à l’exception de 2022, année marquée par une correction globale des marchés). Sur le long terme, Nvidia surclasse même les actifs aux performances les plus spectaculaires. Elle est la seule action du S&P 500 à avoir surpassé le Bitcoin sur certaines périodes. Sur les dix dernières années, sa valorisation a progressé de plus de 32 000%, contre un peu plus de 5 600% pour AMD, son concurrent direct.
L’explication principale tient à sa position dominante sur le marché des puces destinées à l’intelligence artificielle. Nvidia a investi très tôt dans le développement de ces composants spécialisés et s’est imposée comme un fournisseur incontournable pour les géants de la Tech que sont Microsoft, Meta, Alphabet ou Amazon. Depuis le début du boom de l’IA, aucune autre entreprise n’est en mesure de livrer ces puces à grande échelle avec un tel niveau de performance. AMD, bien qu’acteur sérieux, reste très en retrait, livrant 90 à 95% de volumes en moins. Cette situation quasi monopolistique permet à Nvidia de dicter ses conditions tarifaires dans un marché en tension, où ses clients préfèrent payer cher plutôt que prendre le risque de rester à la traîne technologiquement. Nvidia affiche aujourd’hui une marge nette proche de 50 %, bien au-dessus des 20 à 30 % habituels dans le secteur technologique.
Une valorisation tirée par les anticipations… et non sans risques
La question se pose alors : pourquoi Nvidia, et non Apple, Alphabet ou Microsoft, qui dégagent plus de bénéfices aujourd’hui, atteint-elle la première ce seuil des 4 000 milliards ? Sur les douze derniers mois, Apple a généré 108 milliards de dollars de bénéfices, Alphabet 103 milliards, Microsoft 97 milliards, et Nvidia, "seulement" 77 milliards. La capitalisation boursière ne se limite pas aux résultats présents : elle intègre surtout les anticipations futures. Et sur ce point, les perspectives de Nvidia suscitent un enthousiasme rare. Si la tendance actuelle se maintient, l’entreprise pourrait rapidement devenir la plus profitable au monde, franchissant à son tour le seuil des 100 milliards de bénéfices annuels.
Ce scénario repose toutefois sur de nombreuses hypothèses : un maintien de la croissance dans l’IA, l’incapacité des concurrents à combler leur retard, une conjoncture économique favorable et l’absence de ruptures géopolitiques ou réglementaires. Les restrictions d’exportation vers la Chine, marché stratégique pour Nvidia, pourraient notamment représenter un frein. De même, toute perte de leadership technologique ou tout ralentissement de la demande en IA viendraient remettre en question la solidité du modèle. La valorisation actuelle de Nvidia intègre déjà beaucoup d’exigences. Le moindre écart entre attentes et réalité pourrait entraîner une correction brutale, comme souvent avec les valeurs de croissance.
Mais c’est précisément la nature de l’investissement en bourse : arbitrer entre potentiel de gain et niveau de risque. Chaque investisseur devra juger si le pari Nvidia reste attractif à ce stade. Une chose est sûre : la course aux 4 000 milliards est désormais derrière nous. La question suivante est déjà sur toutes les lèvres : qui franchira le premier les 5 000 milliards ? Apple, si elle parvient à combler son retard dans l’intelligence artificielle ? Microsoft, grâce à la croissance de son cloud ? Amazon, qui renoue avec une rentabilité solide ? Alphabet, qui résiste malgré une concurrence intense et des menaces réglementaires ? Ou Nvidia, encore elle, si les planètes continuent à s’aligner ?
L’avenir nous le dira. En attendant, Nvidia a marqué l’histoire et nous rappelle qu’en Bourse, ce n’est pas le passé qui compte, mais la capacité à incarner l’avenir. Si l’entreprise continue à dicter le tempo de l’intelligence artificielle, alors le sommet reste à inventer.