Des milliers d'influenceurs approchés pour diffuser de la propagande prorusse

Des milliers d'influenceurs approchés pour diffuser de la propagande prorusse Une source au sein des services de renseignement français a révélé au Monde que plus de 2000 créateurs de contenus européens ont été contactés par des personnes proches du Kremlin. Une vingtaine d'entre eux aurait accepté le marché, dont neuf Français.

Peu de temps après l'invasion russe de l'Ukraine, au printemps 2022, une opération de manipulation sur les réseaux sociaux visant à effrayer les opinions publiques européennes a été détectée par la France. Selon la source du Monde au sein des services de renseignement français, des membres proches du Kremlin ont rémunéré des influenceurs présents sur TikTok et Instagram en échange de la publication de vidéos reprenant des éléments de langage de propagande russe, comme la puissance de l'armée de Vladimir Poutine et le risque de guerre mondiale en cas d'implication dans le conflit des alliés de l'Ukraine. 

Des influenceurs français mis en cause 

"Plus de 2000 influenceurs" ont été démarchés. Une vingtaine en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et en France ont accepté de publier ces vidéos, pour un montant qui n'a pas été dévoilé. "Nous disposons d'éléments qui confirment que la Russie tente de manipuler des influenceurs dans [plusieurs] pays européens, dont la France. […] Des investigations sont en cours et nous appelons les créateurs de contenus comme leurs abonnés à la plus grande vigilance sur ces menaces qui pèsent sur notre débat public", a déclaré le ministre des affaires étrangères démissionnaire, Jean-Noël Barrot, auditionné à l'Assemblée nationale mercredi en fin d'après-midi. Le Monde est parvenu à identifier l'un des influenceurs français ayant accepté le marché, qui dispose de plus de six millions d'abonnés. Généralement publiées sur TikTok, ses vidéos tournées dans le sud de la France proposent des petits défis à des inconnus dans la rue. L'influenceur a nié les accusations, avant de dépublier la vidéo. 

D'autres influenceurs ont été identifiés, comme une influenceuse espagnole suivie par 300 000 personnes sur Instagram. Alors qu'elle raconte son quotidien et celui de ses enfants, elle a posté une vidéo plus sérieuse le 31 mai 2022 dans laquelle elle parle de la guerre en Ukraine : "Le problème est apparu en avril 2008, alors que les membres de l'OTAN promettaient à l'Ukraine de devenir membre de l'Alliance. […] Il est clair que, souvent, les médias n'ont pas raison, et qu'il décident/disent à tout le monde que la Russie est coupable de tout". 

Un classique russe 

Un "prestataire proche de l'administration présidentielle russe" serait à l'origine de l'opération, sans savoir qui exactement. Dans ses campagnes, la Russie fait souvent appel à de multiples intermédiaires et partenaires privés. En septembre, le ministère de la justice américain a accusé deux employés de la chaîne de propagande Russia Today d'avoir soutenu à hauteur de plusieurs millions de dollars une société de production basée dans le Tennessee, Tenet Media, qui finance des influenceurs classés à droite. 

Mais la campagne détectée par les services français semble avoir eu peu d'impact, soit parce que les influenceurs n'ont pas réalisé beaucoup de vidéos, soit parce que celles-ci ont connu une diffusion limitée. Le montant semble également avoir été peu avantageux : un tiktokeur italien affirme qu'il aurait été payé 70 dollars, soit 67 euros, pour sa vidéo sponsorisée. Mais si l'on dispose de peu d'informations, le fait de révéler celles-ci dans la presse tente à montrer à la Russie que les services français ne sont pas dupes et prêts à riposter.