Accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni : beaucoup de bruit pour rien ?

Accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni : beaucoup de bruit pour rien ? Des mois de négociations acharnées entre Londres et Washington ont finalement accouché d'un accord assez modeste, qui minimise les dommages de la guerre commerciale de Donald Trump sans toutefois les effacer.

En février, Keir Starmer s'est rendu à Washington pour une visite de courtoisie auprès de Donald Trump. Le Premier ministre britannique y a déployé des trésors de diplomatie pour se mettre l'hôte de la Maison-Blanche dans la poche, lui apportant par exemple une lettre manuscrite du roi Charles III l'invitant à se rendre au Royaume-Uni. En flattant l'anglophilie du président américain, Keir Starmer préparait le terrain pour négocier avec lui et échapper au pire de la guerre commerciale qui s'annonçait.

Plusieurs mois plus tard, les efforts de la diplomatie britannique semblent avoir enfin porté leurs fruits, puisque le gouvernement travailliste est parvenu, après d'âpres négociations, à arracher un accord de libre-échange avec son partenaire d'outre-Atlantique. Davantage qu'une véritable ouverture des deux économies l'une à l'autre, il s'agit plutôt d'une tentative de limiter les dégâts causés par les droits de douane de Donald Trump contre le Royaume-Uni, qui pour la plupart resteront en place.

Des taxes réduites dans certains secteurs

Ainsi, les droits de douane de base de 10% sur tous les produits britanniques importés aux Etats-Unis, annoncés par Donald Trump lors du Liberation Day le 2 avril dernier, sont-ils maintenus en place. Les droits de douane de 27,5% prévus sur les voitures britanniques vendues sur le marché américain sont ramenés à 10%. Ces droits de douane revus à la baisse s'appliqueront aux 100 000 premières voitures vendues aux Etats-Unis, après quoi ce seront de nouveau les tarifs de 27,5% qui s'appliqueront. Mais comme le Royaume-Uni ne vend en moyenne que 100 000 voitures aux Etats-Unis par an, la nuance importe peu.

Si la ristourne peut sembler modeste, elle a toutefois de quoi faire grincer des dents à Bruxelles, en particulier côté allemand. En effet, les voitures que l'industrie britannique exporte outre-Atlantique sont principalement des voitures de luxe : celles de Jaguar Land Rover, d'Aston Martin ou encore de Rolls-Royce. Leurs principales concurrentes sur ce secteur sont les voitures allemandes, qui, elles, en l'absence d'accord bilatéral entre les Etats-Unis et l'UE, seront toujours taxées à hauteur de 27,5%...

Les droits de douane sur l'acier et l'aluminium britannique sont, eux, ramenés à zéro. Un accord gagnant-gagnant pour les deux économies : le gouvernement travailliste a fait de la préservation de cette industrie l'une de ses priorités, comme l'illustre sa récente intervention pour sauver British Steel, constructeur basé au Royaume-Uni et menacé de fermeture. Donald Trump cherche de son côté à redynamiser la base industrielle de son pays, et les entreprises industrielles américaines accueilleront sans nul doute avec joie la possibilité d'importer ce matériau à un coût plus faible. Si le Royaume-Uni n'est pas le fournisseur principal d'acier des Etats-Unis, l'industrie britannique exporte tout de même 180 000 tonnes d'acier par an outre-Atlantique. Là encore, c'est une mauvaise nouvelle pour l'industrie de l'acier européenne, qui exporte également vers les Etats-Unis et se voit taxer à hauteur de 25%.

Enfin, l'accord contient aussi un volet agricole, qui a suscité des débats particulièrement houleux au Royaume-Uni. Les agriculteurs britanniques, gérant majoritairement de petites exploitations soumises à des normes sanitaires et environnementales élevées, craignaient d'être livrés à la concurrence déloyale de l'agriculture productiviste américaine, tandis que les associations de consommateur alertaient contre l'arrivée du poulet lavé au chlore et du bœuf aux hormones sur les étals des supermarchés britanniques. Finalement, si le bœuf américain fait pour la première fois son entrée au Royaume-Uni (et réciproquement pour le bœuf britannique outre-Atlantique), il devra se plier aux régulations locales, ce qui exclut les produits controversés comme le bœuf aux hormones.

Cette partie de l'accord suscite également le mécontentement de Bruxelles, qui craint que l'agriculture américaine n'entre en concurrence avec celle de l'UE sur le marché britannique. Le Royaume-Uni constitue en effet le premier marché d'exportation pour les produits agroalimentaires de l'UE, une tendance qui s'est même renforcée depuis le Brexit. La frontière avec l'Irlande du Nord est en outre très difficile à gérer depuis le Brexit, ce qui ouvre la possibilité de voir certains produits alimentaires américains se déverser sur le marché européen.

Un impact économique limité

Si l'accord a été brandi comme une victoire par le gouvernement britannique, il demeure relativement modeste, et n'efface ni les conséquences économiques du Brexit, ni la guerre commerciale de Donald Trump. "Ce n'est pas du tout un accord majeur. La situation commerciale avec les Etats-Unis demeure pire que ce qu'elle était avant le retour au pouvoir de Donald Trump", estime David Bailey, un professeur d'économie à l'Université de Birmingham, dont les travaux portent entre autres sur l'impact du Brexit.

"Collectivement, les accords signés avec les Etats-Unis, l'Inde, l'Australie et la Nouvelle-Zélande apportent certes des bénéfices mineurs à l'économie britannique, mais ils ne compensent nullement les coûts du Brexit. Au total, ils devraient faire croître l'économie de 0,5% sur le long terme. L'Office for Budget Responsibility estime de son côté que le coût du Brexit devrait se chiffrer à 4% du PIB. Le compte n'y est donc pas du tout", affirme pour sa part Thomas Samson, professeur d'économie à la London School of Economics.

L'accord ne permet pas non plus d'envisager un éventuel déplacement des sièges sociaux des géants de la tech américains de Dublin vers Londres, un objectif que le Royaume-Uni couve de longue date et que les négociations autour de l'accord de libre-échange avaient fait renaître. "Obtenir des entreprises américaines qu'elles déplacent leur siège social au Royaume-Uni nécessiterait de proposer des avantages fiscaux aussi intéressants que ceux de l'Irlande. Il est possible que le Royaume-Uni, en suivant une approche sur la régulation de l'IA et de la technologie en général qui priorise l'innovation sur les risques pour les consommateurs et la priorité intellectuelle, parvienne à attirer davantage d'investissements de la part des big tech américains, mais c'est pour l'heure difficile à affirmer et plus encore à quantifier", estime John Springford, économiste britannique.

La bonne nouvelle pour Londres est que la signature de l'accord transatlantique n'a finalement pas fait dérailler l'accord avec Bruxelles, comme le craignaient certaines voix dissonantes, notamment parce que l'accord de libre-échange signé avec Trump s'est avéré plus modeste que prévu. Du point de vue du gouvernement britannique, cela signifie gagner sur tous les tableaux. Pour ses détracteurs, à trop ménager la chèvre et le chou, celui-ci n'obtient que des accords en demi-teinte à l'impact modeste. Question de point de vue…