La répartition inégale de l'IA accentue la fracture technologique entre les États
L'oligopole des hyperscalers cloud entrave l'innovation technologique. L'émergence de l'IA accroit considérablement les enjeux du Cloud.
Une révolution silencieuse est en marche dans le monde du cloud. L’étau se resserre sur les organisations et le secteur de la Tech dans son ensemble, paralysant le progrès technologique pour certains, tout en l’accélérant pour une minorité. L'oligopole des hyperscalers cloud fait planer une ombre sur l'ensemble du secteur et entrave l'innovation technologique sans que l'on ait vraiment conscience des conséquences. L'IA étant appelée à dynamiser l'innovation dans un avenir proche, les enjeux sont considérables.
L'attrait des services intégrés offerts par les principaux fournisseurs de services Cloud (CSP) occulte un problème latent : la simplicité d’usage, l'expertise et les services intégrés délivrés par un seul fournisseur de services cloud ont créé un problème de dépendance considérable. Ce phénomène est devenu une pratique courante dans le secteur depuis le milieu des années 2010, avec le succès croissant d'Amazon Web Services (AWS), de Microsoft Azure et de Google Cloud Platform (GCP). Les services cloud fonctionnent sans problème au sein d'un même fournisseur, mais aucune norme universelle n'est imposée aux trois hyperscalers cloud basés aux États-Unis, ce qui entrave la mobilité et l'intégration entre les cloud. Les entreprises n'ont donc pas d'autre choix que de confier leur avenir numérique à un unique fournisseur de services cloud, et les États et les investisseurs ont accepté cette situation pour on-ne-sait quelle raison.
La procédure antitrust engagée par les États-Unis et d'autres pays contre Google illustre le fait que le gouvernement américain conteste le monopole d'un fournisseur, mais il s'agit là d'un cas isolé. Le fait est que 80 % des entreprises sont liées aux services de l'un des trois principaux fournisseurs de services cloud. La dépendance sous-jacente, masquée par la simplicité et l’aspect pratique, concentre le pouvoir et le contrôle, ce qui rend difficile pour les entreprises d'envisager un avenir numérique au-delà des limites du cloud.
La confiance écrasante dans les partenaires Cloud, l'absence de résistance alors que la dépendance est si grande, est également très alarmante et pourrait s’apparenter à un syndrome de Stockholm de masse. Si tel est le cas, la solution ne viendra pas du secteur lui-même.
L'IA peut transformer une étincelle en un brasier
Les progrès apportés par l’IA et le potentiel de cette technologie accentuent considérablement le problème. Au cœur de ce phénomène on retrouve l'inflation artificielle des prix des GPU, dictée par la domination des hyperscalers. Ce pouvoir de fixation des prix détenu par une poignée d’acteurs n'est pas qu’un désagrément, il étouffe l'innovation, surtout en dehors des capitales américaines de la technologie.
Alors que la majorité des puces GPU, cruciales pour les applications d'IA avancées, se retrouvent entre les mains des hypercalers, les conséquences se répercutent sur le paysage économique. Les startups, en particulier celles qui se lancent dans l'IA, ont du mal à présenter des business case viables en raison des coûts exorbitants liés aux GPU. Alors même que les entreprises réduisent inlassablement leurs coûts dans d'autres domaines, le prix du cloud computing continue de grimper en flèche.
Le contrôle centralisé des ressources essentielles entrave l'innovation à l’échelle du monde. Il crée un scénario dans lequel les centres technologiques des régions situées en dehors des États-Unis sont laissés pour compte, sans même parler du reste du monde et des pays en voie de développement. La disparité est flagrante : alors que des villes comme Amsterdam et Londres peuvent se sentir pénalisées, l'accès aux GPU devient mission impossible en Europe de l'Est, en Italie et en Espagne, par exemple. Cette inégalité dans l'accès aux ressources augmente considérablement le fossé entre les "nantis" et les "démunis" en matière de numérique et d'économie.
Éviter une crise économique et humanitaire imminente
Il est grand temps que les acteurs du secteur, les pouvoirs publics et les investisseurs prennent conscience de leur responsabilité et agissent rapidement pour éviter une crise causée par le verrouillage du cloud à l'échelle mondiale et qui se répercuterait sur le terrain de l'IA.
Les États devraient prendre des mesures proactives pour garantir une répartition égale des GPU, encourager la concurrence dans les secteurs du cloud et de l'IA, et obliger tous les fournisseurs à soutenir les normes d'interopérabilité du cloud. En promouvant des cadres réglementaires qui encouragent les pratiques de marché ouvertes, ils peuvent créer un environnement dans lequel les acheteurs disposent d'un large choix et où les fournisseurs se font concurrence sans créer de blocage, rompant ainsi le contrôle monopolistique exercé par quelques offres de cloud computing et, pire encore, d'intelligence artificielle.
Les initiatives en faveur de la souveraineté numérique ont pris de l'importance pour garantir que les États contrôlent leurs infrastructures et données numériques essentielles. Les gouvernements peuvent soutenir le développement d'initiatives nationales ou régionales en matière de cloud, en proposant des solutions sûres et compétitives pour réduire la dépendance à l'égard d'un petit nombre de fournisseurs internationaux.
Et les entreprises elles-mêmes peuvent adopter de manière proactive des pratiques qui s'alignent sur les normes ouvertes du cloud. Soutenir le développement de fournisseurs alternatifs de services cloud, participer à l'établissement de normes ouvertes et adopter des initiatives de souveraineté numérique sont autant de moyens pour les entreprises de contribuer à un environnement plus équitable et plus compétitif.
Aujourd'hui, nous vivons un moment historique où le monde peut soit accepter et renforcer la division existante en mettant plus de pouvoir entre les mains de certains dirigeants, soit aborder cette question de manière frontale avec les pouvoirs publics et le secteur privé, en limitant le règne illégitime des puissances silencieuses.