Clara Shih (Salesforce IA) "Les agents représentent la plus grande opportunité dans le monde du logiciel de ces vingt dernières années"

Avec Agentforce, Salesforce veut permettre aux entreprises d'automatiser et d'optimiser la gestion des interactions commerciales et des services clients. Entretien avec Clara Shih, CEO de Salesforce IA.

Salesforce a récemment présenté Agentforce lors de sa conférence Dreamforce. De quelle manière ces agents IA vont-ils faire évoluer l'expérience au sein de la plateforme ?

Clara Shih est CEO de Salesforce AI. © Salesforce

Nous entrons dans une ère où ces agents d'IA seront aussi communs que les applications et les pages web. Notre conviction est que Salesforce est parfaitement positionné pour en tirer profit. La raison à cela est que nos clients disposent de tout ce qui est nécessaire à leur déploiement au sein de nos plateformes : données, workflows, rôles, API, etc. Salesforce est devenu un partenaire de confiance des entreprises car nous leur garantissons la sécurité de leurs données à grande échelle. Nous pensons donc qu'Agentforce a tout pour être un succès et nous observons déjà des agents être créés sur tous les clouds de Salesforce depuis son lancement.

Pouvez-vous illustrer l'utilité de ces agents avec des cas d'usage concrets ?

Au sein de Sales Cloud, nous observons des agents être configurés à des fins de prospection commerciale. Par le passé, les entreprises rechignaient à engager une relation commerciale avec des prospects peu qualifiés, comme par exemple des visiteurs de leur site web ou d'autres qui demandaient des informations sans être encore entièrement intéressés par le produit. Ces sociétés ne voyaient pas l'intérêt d'utiliser leurs meilleurs commerciaux pour parler à ce type de prospects. C'est donc un cas d'utilisation parfait pour un agent de vente Agentforce, capable de répondre patiemment à toutes les questions d'un client 24h/24, 7j/7 sur n'importe quel canal. Dès lors qu'un prospect commence à montrer des signes d'intérêt, ce lead qualifié peut être transféré à un commercial humain.

Quels ont été les retours des clients qui ont testé la version pilote ?

Les entreprises ayant pu tester Agentforce avant les autres, parmi lesquelles Saks, Wiley ou encore OpenTable, ont très vite réalisé le potentiel de ces agents. Certaines voulaient même aller plus vite et passer directement à la mise en production. Elles ont été stupéfaites de voir qu'en seulement une dizaine de minutes, elles pouvaient configurer des agents, tout en capitalisant sur leurs investissements et données au sein de l'écosystème Salesforce. Dans Service Cloud, les agents se montrent déjà indispensables pour des cas de support client. La société Wiley a, par exemple, pu résoudre 40% de cas supplémentaires pour son SAV par rapport à leur ancien chatbot au cours des premières semaines, générant un ROI de 213%. Les collaborateurs travaillant dans ce service sont également ravis car ils sont désormais moins débordés et peuvent prendre plus de temps pour discuter avec les clients.

Pensez-vous que des entreprises puissent songer à créer leurs agents de leur côté, en dehors de l'écosystème Salesforce ?

Au cours des derniers mois, beaucoup d'entreprises ont pensé qu'elles pouvaient simplement utiliser ChatGPT en connectant leurs données et ainsi obtenir un copilote. Mais ce n'est pas aussi simple. Car pour faire bon usage de l'IA, les entreprises ont besoin de confiance et de sécurité. La définition de règles pour l'accès aux données est cruciale et cela est souvent réalisé au niveau applicatif, ce qui est précisément le rôle de Salesforce. Aussi, la plupart des modèles d'IA sont entraînés sur des données Web publiques contenant des erreurs. En appliquant notre couche Einstein, nous réduisons ce risque de biais au niveau des résultats. Pour toutes ces raisons, même si certaines entreprises adoptent une démarche DIY (do it yourself , ndlr), nous ne sommes pas inquiets. Tout comme il y a 20 ans, certaines entreprises pensaient pouvoir créer simplement leur propre CRM, je crois que les décideurs réalisent que déployer un LLM seul ne suffit pas et qu'une architecture technologique complète et intégrée est nécessaire, ce qui est justement l'atout majeur de Salesforce.

Quel regard portez-vous sur la concurrence des start-up et autres entreprises spécialisées dans l'IA dans cette course aux agents ?

Nous adorons les start-up. Nous avons récemment annoncé une nouvelle enveloppe de 500 millions de dollars pour notre fonds AI Fund, dédié aux start-up spécialisées dans l'IA générative. Pour autant, il est difficile pour des start-up de proposer un niveau de sécurité équivalent. De même qu'elles ne peuvent pas, par exemple, offrir plusieurs options géographiques pour l'hébergement de données. Etre capable de créer tout ce que nous développons et suivre le rythme dans un secteur qui évolue en permanence n'est pas à la portée de toutes les entreprises. C'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de start-up décident de développer des produits en les intégrant à notre plateforme, leur évitant ainsi de recréer la roue.

Comment voyez-vous la collaboration agents-humains évoluer ?

Les humains joueront toujours un rôle essentiel dans le déploiement des agents, et cela à chaque étape du processus. Avant qu'ils ne soient déployés, ce sont des experts humains qui doivent définir les règles, spécifier les données auxquelles les agents ont accès, les actions qu'ils sont autorisés à prendre, leurs objectifs, les indicateurs permettant de les évaluer, etc. En clair, c'est un peu comme définir une fiche de poste avec des objectifs de performance. Pendant l'interaction avec un agent, les humains jouent là aussi un rôle crucial de supervision.

"Notre objectif est d'expliquer le raisonnement derrière chaque décision prise par un agent"

Par exemple, notre outil Omni Supervisor, utilisé par les responsables d'équipes de ventes et de centres de contact pour surveiller en temps réel les appels de support, a été étendu pour permettre de surveiller aussi les agents. Les superviseurs peuvent voir en temps réel les différents cas sur lesquels travaillent les agents ainsi que leurs échanges. Ils peuvent ainsi visualiser le taux de satisfaction des clients pour chaque conversation, leur permettant d'intervenir à tout moment tout comme ils le feraient avec un nouvel employé humain qui aurait du mal avec un client

Comment rassurez-vous vos clients souhaitant adopter Agentforce ?

Pour faciliter l'audit et la vérification des performances, nous avons beaucoup investi, en permettant, par exemple, de générer un audit complet de chaque décision prise par un agent. L'objectif est d'être en mesure d'expliquer un raisonnement. Il ne s'agit pas ici d'une boîte noire comme c'est souvent le cas des LLM. Dans des secteurs très réglementés, cela permettra aussi aux régulateurs d'y accéder pour examiner le processus derrière certaines actions si besoin.

Comment prévoyez-vous d'améliorer Agentforce au cours des mois et années à venir ?

Agentforce évolue en permanence. Nous avons considérablement amélioré notre rythme de sortie de produits et de mise à jour afin de nous adapter à ce nouveau rythme d'innovation. L'objectif est de pouvoir suivre la cadence dans un environnement technologique qui évolue très rapidement. Au cours des deux dernières années, nous avons aussi modifié l'aspect organisationnel en rapprochant nos équipes produits avec nos équipes spécialisées dans la recherche, ce qui nous a ainsi permis d'intégrer rapidement notre technologie de raisonnement Atlas à Agentforce.

Nos chercheurs ne s'arrêtent jamais et travaillent déjà sur la prochaine génération d'agents mais aussi sur tous les aspects de la technologie, que ce soit sur les prochains systèmes multi-agents, les systèmes RAG avancés, le chunking, etc. Ces équipes réalisent un grand nombre d'expériences, et dès que l'une d'elle se révèle concluante, nous l'intégrons dans nos produits.

Marc Benioff, CEO de Salesforce, a fixé l'objectif de déployer 1 milliard d'agents d'ici fin 2025. Quelles sont les prochaines étapes pour y parvenir ?

Les agents représentent la plus grande opportunité dans le domaine du logiciel de ces vingt dernières années. Chaque entreprise, petites ou grandes, va chercher à en déployer. Cela me rappelle l'époque où il a fallu inventer le SSL, le cryptage, les paiements sécurisés, et les CAPTCHA, pour que les paiements en ligne deviennent fiables. En 1998, le simple fait de se rendre sur eBay et d'entrer son numéro de compte bancaire, apparaissait comme peu sécurisé. Nous allons traverser le même processus d'évolution pour les agents. Salesforce, avec ses principes de confiance et de sécurité mais aussi ses applications Customer 360, ou encore son offre Datacloud, est très bien positionné pour accompagner les entreprises dans la création et le déploiement de leurs futurs agents.

Comment ces agents vont pouvoir interagir ?

A un moment donné, je pense que tous les individus disposeront de leurs propres agents. Lorsque cela arrivera, j'imagine que les agents développés par nos clients avec Agentforce, pourront interagir avec les agents dédiés aux consommateurs. Prenons le commerce en ligne et imaginons qu'une consommatrice veuille acheter une paire de chaussures en cuir. Son agent connaîtra sans doute sa taille, sa couleur préférée, et certains détails comme par exemple le fait qu'elle ait les pieds plats ou qu'elle n'aime pas les talons.  Cet agent pourrait alors interagir avec plusieurs détaillants, via leurs propres agents de vente ou de service et revenir vers la cliente avec les cinq meilleures options proposées repérées chez différents e-commerçants. C'est à ce moment-là que l'humain interviendra pour faire son choix final avant que l'agent ne valide la commande.

C'est ce monde-là qui nous attend, et je ne pense pas qu'il soit très éloigné. Il y a encore beaucoup de travail à fournir, notamment pour définir les normes au sein de l'industrie afin de faciliter ces interactions entre agents. Il faudra aussi établir des règles en matière de sécurité, de confidentialité et de partage des données, tout comme nous l'avons fait pour Internet. C'est une période vraiment intéressante car il reste encore beaucoup à inventer et à créer.

Clara Shih est CEO de Salesforce AI. A ce titre, elle supervise l'ensemble des programmes dédiés à l'intelligence artificielle de Salesforce. Elle est notamment responsable du développement des nouveaux produits, de leur mise sur le marché, de l'adoption par les clients. Son objectif est d'assurer la croissance de Salesforce dans ce domaine ainsi que de l'écosystème autour d'Einstein et d'Agentforce, Auparavant, elle dirigeait la division Service Cloud de Salesforce, une solution orienté service client, centres de contact, services numériques et gestion des équipes de services sur le terrain.