Paul Drews (Salesforce Ventures) "Salesforce Ventures aura investi à terme 1 milliard de dollars dans l'IA"
La filiale d'investissement en capital-risque de Salesforce renforce son portefeuille dans l'intelligence artificielle. Entretien avec son directeur associé pour évoquer sa stratégie d'investissement.
JDN. Le 16 septembre dernier, Salesforce Ventures a annoncé une nouvelle dotation de 500 millions de dollars pour son fonds dédié à l'AI. Qu'est ce qui a motivé cette augmentation en capital ?
Paul Drews. Avec cette nouvelle enveloppe de 500 millions de dollars dédiée à notre AI Fund, Salesforce Ventures aura investi à termes 1 milliard de dollars dans l'IA. La raison motivant cette nouvelle dotation est que nous avons été impressionnés par la rapidité de l'innovation dans ce secteur. Depuis juin 2023, nous avons investi les 500 premiers millions dans plus de 24 start-up parmi lesquelles Anthropic, Cohere, Mistral, Hugging Face, Runway, Together AI, etc.
Cette nouvelle enveloppe est un signal fort envoyé aux entrepreneurs, marquant notre volonté de soutenir les start-up évoluant dans l'IA générative et son intégration dans les entreprises. En effet, les DSI sont désormais passés de l'expérimentation à la mise en production, créant des vents favorables pour l'ensemble de notre portefeuille de start-up.
Quelle période vous donnez-vous pour investir ces 500 millions de dollars supplémentaires ?
Nous avons la chance de pouvoir nous montrer flexible et patient afin de saisir des opportunités lorsqu'elles se présenteront. Nous voulons soutenir financièrement les entrepreneurs qui changent la donne dans l'IA d'entreprise et l'IA générative tout au long du parcours de leurs entreprises. Nous pouvons ainsi investir en amorçage tout en finançant des sociétés réalisant déjà plusieurs dizaines, voire centaines, de millions de dollars de chiffre d'affaires et prêtes à entrer en bourse. Depuis 2009, Salesforce Ventures a ainsi investi près de 5 milliards de dollars dans des sociétés telles que Databricks, Algolia ou encore Snowflake.
L'objectif de ce fonds est-il d'intégrer, à termes, de nouvelles technologies au sein de l'écosystème de Salesforce ?
Notre objectif est de générer des rendements financiers solides, en nous concentrant sur des catégories potentiellement intéressantes pour Salesforce ou qui pourraient le devenir dans le futur. Dans cet objectif, nous travaillons en étroite collaboration avec des responsables d'équipes produits et les dirigeants au sein Salesforce pour identifier les domaines d'innovation que nous devrions étudier avec attention. Et à l'inverse, nous discutons avec les entreprises d'IA générative de notre portfolio pour identifier les opportunités de collaboration avec l'écosystème Salesforce sur le long terme. En résumé, nos investissements doivent évidemment se justifier d'un point de vue financier, mais nous explorons toujours avec les équipes de Salesforce des partenariats potentiels.
Avez-vous des exemples concrets illustrant ces collaborations entre les entreprises de votre portefeuille et Salesforce ?
Anthropic est un bon exemple. Leurs équipes travaillent en étroite collaboration avec celles de Slack pour étudier différentes opportunités de partenariat. Nous essayons toujours de trouver des moyens d'accélérer la croissance des entreprises dans notre portefeuille, que ce soit directement à travers Salesforce mais aussi via notre Innovation Advisory Board. Il s'agit d'un réseau composé de dizaines de dirigeants de grandes entreprises du Fortune 500, qui sont souvent des clients de Salesforce et qui souhaitent obtenir un accès précoce aux dernières innovations technologiques. Nous organisons ainsi des journées de démonstration pour leur présenter les différentes innovations que nous repérons.
Salesforce met en avant l'importance de mettre à disposition des entreprises des outils d'IA intégrant des principes de confiance et de transparence. En faites-vous un critère d'investissement ?
Nous pensons effectivement qu'il est crucial d'investir dans les entreprises qui innovent de manière éthique et responsable. Nous travaillons d'ailleurs étroitement avec les équipes de Salesforce en charge des questions d'éthique pour nous aider à étudier certains investissements. Lorsque nous discutons avec des DSI, ces derniers nous font part de leur volonté d'adopter des solutions d'IA générative, à condition que celles-ci soient sécurisées et fiables. Notre conviction est que les entreprises intégrant l'éthique dans leur processus d'innovation ne sont pas ralenties. Au contraire, cela accélère l'adoption de leurs solutions.
Comment se répartissent vos investissements entre amorçage et pre-IPO ?
La majorité se situe généralement dans les séries A, B ou C. Ces entreprises ont le plus souvent déjà un produit utilisé par des clients, et elles cherchent à mettre à l'échelle leurs opérations commerciales.
"Nous regardons toute la chaîne de valeur de l'IA, que ce soit les modèles fondamentaux mais aussi l'infrastructure, les MLOps, sans oublier les outils et les applications"
C'est précisément là où nous apportons le plus de valeur en tant qu'investisseurs, que ce soit en présentant ces entrepreneurs à des responsables de Salesforce et à leurs équipes go-to-market pour explorer des opportunités de partenariat, mais aussi en les aidant sur l'aspect opérationnel. Nous pouvons aussi parfois les mettre en contact avec des experts internes chez Salesforce pour les aider à avancer sur certaines problématiques telles que l'expansion internationale, la tarification, etc. Malgré tout, cela ne nous empêche pas d'investir aussi en seed stage lorsque nous repérons de belles opportunités.
Quels sont les secteurs qui vous intéressent tout particulièrement ?
Via notre premier fonds dédié à l'IA lancé en juin 2023, nous avons investi dans des entreprises comme Anthropic et Mistral, qui évoluent dans la catégorie des modèles fondamentaux. Avec cette nouvelle enveloppe de 500 millions de dollars, nous regardons toute la chaîne de valeur de l'IA, que ce soit les modèles fondamentaux mais aussi l'infrastructure, le MLOps, sans oublier les outils et les applications. Si l'année 2023 a vraiment été l'année de l'expérimentation pour l'IA générative dans les entreprises, cette fin d'année et 2025 seront marquées par des mises en production. Pour y parvenir, elles ont besoin d'outils en lien avec la sécurité, la gouvernance, etc.
Salesforce a lancé en grande pompe ce mois-ci sa nouvelle plateforme Agentforce. Cela influe-t-il sur le type d'entreprise que vous comptez financer ?
Nous nous intéressons effectivement à la prochaine vague d'agents et à toute l'infrastructure nécessaire à leur intégration en entreprises. Aussi, les start-up introduisant des petits modèles représentent une autre catégorie intéressante. Nous observons que les DSI ne comptent pas adopter un seul modèle, mais qu'ils en utiliseront probablement dix, quinze, voire plus ! Dans ce paysage, il y a aura donc des LLM de grande taille, des versions open source comme Mistral, mais aussi des modèles plus petits, qui se montrent efficaces en termes de coût et de performance car adaptés pour des tâches spécifiques. Enfin, nous regardons avec attention certaines verticales, à savoir les start-up qui créent des outils pour des secteurs spécifiques.
Certains parlent actuellement d'une bulle, pointant du doigt des valorisations excessives. Quel est votre avis ?
Les progrès en matière d'IA marquent un bouleversement majeur comme nous ne l' avons jamais vu. Et nous ne sommes qu'au tout début de cette transformation. Certes, il y a beaucoup de battage médiatique autour de ce sujet, mais sur le long terme, nous pensons qu'il y aura une incroyable création de valeur pour cette nouvelle catégorie d'entreprises. Cela dit, il est évident que toutes les start-up dans l'IA ne deviendront pas de grandes entreprises générationnelles. Nous voyons déjà certaines entreprises prendre conscience que le problème qu'elles cherchent à résoudre est trop centré sur une niche, sans cas d'usage réel, et qu'elles finiront sans doute par être rachetées. Notre objectif est précisément de faire le tri en collaborant avec des experts internes à Salesforce afin d'identifier les véritables opportunités en termes d'innovation.
Paul Drews est directeur associé chez Salesforce Ventures, la filiale d'investissement en capital-risque de Salesforce. Il a rejoint Salesforce Ventures en 2020 pour piloter les investissements dans les logiciels d'application et d'infrastructure quel que soit leur stade de développement. Il a soutenu des entreprises comme Astronomer, Databricks, Lyra, Monte Carlo, Starburst, Vercel, Vivun et VNDLY (depuis acquis par Workday).