Stanislas de Rémur (Oodrive) "Ce décrochage boursier est un moment de vérité pour la tech européenne"

Le PDG du cloud français nous livre son point de vue sur les causes et les conséquences de la brutale chute des actions des principales valeurs de la tech aux Etats-Unis.

JDN. Pensez-vous que la chute des actions des grands acteurs américains pourrait affecter l'écosystème cloud et numérique en France et en Europe ?

Stanislas de Rémur est PDG d'Oodrive. © © Christophe Rabinovici

Stanislas de Rémur. On peut espérer que cette correction permette une prise de conscience de l'importance de renforcer encore la tech en Europe. Ce décrochage est dû à un faisceau d'éléments. D'abord, il s'agit paradoxalement d'une conséquence indirecte de l'annonce faite par Donald Trump de repositionner les Etats-Unis dans le domaine des technologies. Cette annonce a entraîné une réaction européenne qui a fait peur au marché financier (La présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen a lancé InvestAI une initiative visant à mobiliser 200 milliards d'euros pour des investissements dans l'IA, ndlr). L'Europe commence à comprendre qu'elle ne doit pas dépendre de l'IA américaine.

Autre élément, Donald Trump compte aussi baisser la dépense publique américaine. Ce qui va avoir de facto un impact sur la commande publique en direction des acteurs IT outre-Atlantique. Par ailleurs, les hyperscalers n'ont cessé d'augmenter leurs prix ces derniers années. Ce qui commence à peser sur les marges des entreprises. C'est encore un mauvais signal pour les marchés financiers. Et ce n'est pas tout. Avec leur IA Deepseek, les Chinois ont prouvé qu'ils n'avaient pas besoin de faire appel aux GUP américains pour mettre en œuvre une intelligence artificielle générative à l'état de l'art.

Enfin, le marché des cryptomonnaies enregistrait déjà une tendance baissière. Tous ces éléments ont mis à mal la confiance des investisseurs qui se sont demandé si investir dans des actions aux valeurs aussi élevées valait encore le coût.

Les hyperscalers américains sont touchés par cette baisse. Est-ce une opportunité pour les acteurs du cloud européens de se différencier et de gagner des parts de marché ?

Face à ce décrochage, c'est un moment de vérité pour le secteur de la tech en Europe. Il est crucial que l'UE soutienne ce secteur. Nous devons prendre nos responsabilités. On doit épauler des acteurs comme Mistral. Si Mistral ne réalise pas au moins 500 millions d'euros d'ici trois ans, on aura perdu la bataille. Idem pour nos acteurs du cloud. La bataille se situe aussi au niveau législatif en vue de faire émerger une réglementation européenne sur la protection des données équivalente au SecNumCloud français. C'est tout l'enjeu du débat actuel autour des travaux menés par l'ENISA (ou Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité, ndlr). Là encore, nous sommes à la croisée des chemins.

D'ici les 12 à 18 prochains mois, les lignes vont bouger. Les entreprises européennes vont plus que jamais prendre conscience de l'importance du modèle des clouds souverains pour ne pas dépendre d'acteurs américains de plus en plus instables. Jusqu'ici, les entreprises de la tech américaine étaient omniprésentes en Europe et contrôlaient nos données. Nous devons absolument nous sevrer de cette tendance.

Le rééquilibrage que vous évoquez passe par un investissement massif dans la tech en Europe...

Le recentrage des dépenses en Europe doit affectivement englober le secteur numérique et pas seulement d'autres domaines comme la défense. Nous devons être capables de relancer de grands projets et plans d'investissement sur ce terrain comme ont su le faire les Chinois. Ce mouvement ne passe par conséquent pas uniquement par un financement privé, mais aussi par un financement public. Ce qui englobe évidemment une politique de subventions. Mais pas seulement. Il est également important d'intégrer une préférence européenne au niveau des marchés publics dans la tech.