Réduire l'empreinte carbone du travail collaboratif, c'est possible

Réduire l'empreinte carbone du travail collaboratif, c'est possible A l'heure de la crise énergétique et des plans de sobriété, une entreprise doit se pencher sur l'empreinte carbone de ses pratiques collaboratives, de l'envoi d'e-mails à la visioconférence. Voici quelques pistes.

Le numérique représente 4% des émissions de CO2 au niveau mondial. Il serait tentant de relativiser ce chiffre. A tort. Comme le rappelle l'ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancovici dans la bande dessinée "Le Monde sans fin", nos usages digitaux correspondent à deux fois et demi-l'empreinte carbone de la France ou à celle de la flotte mondiale des poids lourds.

Par ailleurs, ce qui compte c'est la dynamique du phénomène. Or, la forte augmentation des usages numériques laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d'ici 2025 estime l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Le streaming audio et vidéo font des ravages du côté du grand public. Le BtoB n'est pas en reste. La crise sanitaire a fait exploser le développement des pratiques collaboratives avec la généralisation du télétravail.

Directeur général du cabinet Lecko, Arnaud Rayrole pointe aussi du doigt l'effet rebond lié à l'amélioration technologique. "En débridant les usages numériques, on démultiplie mécaniquement la consommation des ressources associées. L'univers de la BigTech fait la promotion d'un numérique dématérialisé dans le cloud, accessible en tout point et aux ressources infinies."

En dépit des gains liés à mutualisation et aux efforts entrepris en termes d'efficience énergétique, les datacenters ont une empreinte carbone très concrète. Cet été, l'Irlande a d'ailleurs refusé l'implantation de nouveaux datacenters de Microsoft et Amazon car ils auraient puisé trop de ressources énergétiques du pays.

A défaut de pouvoir agir sur l'optimisation des infrastructures du cloud, une entreprise peut changer les comportements en interne et adopter des pratiques collaboratives plus vertueuses. "Il faut repenser l'environnement et l'organisation du travail dans la durée, estime Arnaud Rayrole. L'information reste largement émiettée et démultipliée avec des notifications redondantes."

L'e-mail, la partie émergée de l'iceberg

Pour le consultant, l'impact environnemental ne se limite pas à l'envoi de l'information mais à son stockage d'une durée illimitée. "Les technologies ont été pensées il y a longtemps. Le contenu et la pièce jointe d'un email sont ainsi dupliqués autant de fois qu'il y a de destinataires." Multiplier par dix le nombre des destinataires d'un mail multiplie par quatre son impact, calcule l'Ademe.

L'ONG Carbon Literacy Project a dressé une sorte de barème du bilan carbone en fonction de la typologie de l'e-mail envoyé. "Un mail long qui prend 10 minutes à écrire et 3 minutes à lire, envoyé et reçu sur un ordinateur portable" pèse ainsi 17 grammes équivalent CO2. L'Ademe évalue, elle, l'impact d'un e-mail avec une pièce jointe de 1 Mo à 19 grammes équivalent CO2 (eqCO2). Pour une entreprise de cent salariés envoyant en moyenne 33 e-mails par jour, cela représente 13,6 tonnes eqCO2 en un an, soit 13 allers-retours Paris New York en avion.

Nettoyer ses listes de diffusion, supprimer les pièces jointes d'un message auquel on répond, optimiser la taille des fichiers que l'on transmet en les compressant… Il existe un certain nombre de conseils pratiques pour réduire cet impact. Le plus simple étant de passer à la coédition dans le cloud. Les membres d'une équipe collaborent sur le même document en ligne. Ils sont assurés de travailler sur la dernière version sans avoir à multiplier les aller-retours par mail.

Pour autant, l'e-mail n'est que la partie émergée de l'iceberg, estime Arnaud Rayrole. Le principal impact du collaboratif porte, selon lui, sur la réplication de l'information. Par mesure de précaution et pour éviter les pertes éventuelles, les mêmes données sont stockées sur les disques durs des terminaux, les espaces partagés des serveurs et répliquées X fois dans le cloud.

"Faute de gouvernance de l'information, chaque collaborateur rapatrie les documents dont il a besoin dans son espace personnel et les synchronise dans le cloud", explique-t-il. Grâce ou plutôt à cause des ressource illimitées du cloud, les documents sont ajoutés en vrac dans les "drives", sans tri, arborescence ou prise en compte de leur cycle de vie.

Pour limiter les effets néfastes de cette infobésité tant sur le plan de la sobriété énergétique que de la productivité, Arnaud Rayrole conseille de procéder par strates. L'équipe digitale en charge des offre collaboratives établit les règles de gouvernance et définit des référentiels. "Ensuite, il convient de laisser une autonomie pour chaque service. Une entité s'organise à son niveau pour produire des documents et les héberger à sa façon."

En revanche, le cas de la "visio" est plus difficile à réguler. "Non seulement, la visioconférence se substitue à des déplacements physiques mais, sans webcam, il n'est pas possible d'interagir avec ses collègues, déplore le consultant. Cela reviendrait à passer sa journée au téléphone, on perd une dimension essentielle du collaboratif."

"Tout ce qui ne se mesure pas ne compte pas"

Comme toute stratégie de numérique responsable, il convient de poser des indicateurs pour mesurer les progrès accomplis. "Tout ce qui ne se mesure pas ne compte pas, rappelle Arnaud Rayrole. Le numérique ne dégage pas de pollution visible. Il faut donc objectiver la situation par des données incontestables." Pour cela, le cabinet Lecko a lancé deux outils. A un niveau collectif, Lecko Analytics mesure les émissions carbone d'une entité en fonction de la nature et des volumes d'informations échangées et préconise sur cette base des pratiques collaboratives alternatives.

A un niveau individuel, GreeT quantifie le bilan carbone d'un utilisateur de la suite collaborative Microsoft 365. Reposant sur les mécanismes de la gamification, l'application attribue des badges attestant des progrès accomplis par le collaborateur dans la réduction de ses émissions de CO2 en ligne avec les objectifs de l'accord de Paris. Il peut aussi relever des défis collectifs. GreeT est en cours de déploiement dans trois groupes du CAC 40. Déjà utilisateur de la solution, le groupe Vinci a récemment reçu un Ekopo Awards pour son engagement en faveur d'un collaboratif raisonné.

A défaut de s'outiller, une entreprise peut organiser des événements pour éveiller les esprits. Comment chaque année, se tiendra le 18 mars prochain le Digital Cleanup Day (ex Cyber World Cleanup Day). Cette grande opération de nettoyage de Printemps consiste à supprimer tous les fichiers obsolètes ou inutilisés qui polluent nos disques durs, nos messageries ou nos espaces partagés. Il s'agit aussi d'offrir une seconde vie à tous ses équipements numériques qui dorment dans des tiroirs.

Ce type d'initiative vise également à rendre ces changements acceptables et compris par le plus grand nombre. Un usage raisonné du numérique conduit, par exemple, à ne pas renouveler systématiquement les équipements au bout se trois ans, la période habituelle de l'amortissement fiscal. "Une recrue qui se voit doter d'un matériel reconditionné peut estimer que l'entreprise n'investit pas sur lui s'il ne comprend pas le sens de cet allongement de la durée de vie des matériels", prévient Arnaud Rayrole.