Comment l'UE peut mener la révolution numérique ?
Au cours des cinq dernières années, l'UE a traversé des défis majeurs. Pour préserver sa compétitivité, l'Europe doit maintenant stimuler l'innovation sans entraver le développement industriel.
Il est facile d'oublier, depuis les dernières élections européennes, combien les cinq années qui se sont écoulées ont été longues et tumultueuses pour l'Union Européenne, qui a dû composer en autre avec le Brexit, une pandémie mondiale, la guerre en Ukraine et sa crise énergétique résultante. Durant cette période, l'UE a également entrepris le programme législatif le plus ambitieux jamais vu dans le monde pour lutter contre le changement climatique et réaliser la transformation numérique de l'économie afin de soutenir ses objectifs écologiques.
La mise en œuvre et l'application des nombreux paquets législatifs adoptés par l'Union Européenne seront transformatrices pour l'industrie européenne, sans entraver son développement ni mettre en danger la compétitivité de l'Europe sur la scène mondiale. Les prochaines années seront cruciales pour préserver son avenir, en travaillant, avec intention et détermination, à garantir la sécurité économique et les libertés sociales européennes. La prochaine Commission devra se concentrer sur la stimulation de l'innovation afin de récolter les fruits du nouveau cadre réglementaire et préserver la compétitivité de l'Europe. L'agilité nécessaire à l'industrie européenne pour faire face aux changements dans l'arène concurrentielle mondiale doit être portée par un rythme beaucoup plus rapide de transformation numérique, soutenu par un écosystème d'innovation plus solide, une connectivité améliorée, des mesures de sécurité renforcées et un vivier de talents prêts, comme expliqué ci-dessous.
La connectivité comme catalyseur pour l’innovation
L'Europe reconnaît le pouvoir transformateur du cloud et de l’edge computing, qui servent d'activateurs essentiels pour la protection contre les cyberattaques, fournissent une capacité de stockage presque illimitée et améliorent la connectivité des entreprises. Tous ces outils numériques, y compris l'hébergement web, les services basés sur le cloud et les services financiers numériques, augmentent la valeur économique, favorisent l'accès au marché et la compétitivité. La complexité des produits et services interconnectés nécessite un accès précis aux données à travers les industries et les fonctions, appelant à un fil numérique d'entreprise pour assurer l'agilité et l'excellence opérationnelle. Alors que l'Europe se prépare pour la révolution 5G, elle doit également anticiper l'avènement de la 6G pour exploiter pleinement le potentiel des technologies de prochaine génération. L'amélioration de la connectivité de l'Union Européenne aura un impact généralisé et transformera les villes intelligentes, les lieux de travail, les maisons, les usines et les soins de santé.
La transformation numérique demande une forte capacité d'innovation
Aujourd'hui, le monde dans lequel nous vivons est en perpétuel changement et la vitesse des transformations ne devrait que s'accélérer, obligeant les organisations à rester en transition permanente. Pour cela, les entreprises doivent repenser leurs pratiques de gestion, réimaginer la façon dont elles collaborent avec leur vaste écosystème, y intégrer la durabilité, considérer les talents comme plus rare que le capital, et mieux anticiper les avancées technologiques telles que l'IA.
La possibilité de communiquer avec l'IA en langage naturel, offerte par ChatGPT il y a seulement un an et demi, a mis en évidence la nécessité de discuter avec plus de clarté des immenses opportunités de l'IA dans de nombreux domaines ainsi que de ses potentiels dangers. L'IA peut nous conduire vers la Société 5.0, un scénario futur où les humains, la technologie et la nature fonctionnent en harmonie pour créer une économie durable et circulaire. Ce concept de société nous fait avancer de l'âge de l'information - où les données étaient collectées et traitées par les personnes - à une ère où l'IA fournit l'analyse permettant à l'industrie et à la société de prendre de meilleures décisions et de réaliser des progrès exponentiels à très grande vitesse. Même s’il induit un équilibre délicat, l’IA Act est un catalyseur majeur qui vise à protéger les idéaux européens grâce à une gouvernance dynamique sans étouffer l'innovation. Et dans ce cadre, les investissements demeurent essentiels pour construire un écosystème durable et complet stimulant l'innovation européenne au bon rythme et à la bonne échelle. Il s’agira notamment d’investissements dans l'infrastructure numérique, dans des outils et des ressources pour aider les entreprises à innover, à accéder et à adopter ces technologies et, tout aussi important, dans les compétences nécessaires pour pouvoir utiliser ces outils.
L'absence de données de qualité reste l'un des principaux obstacles auxquels les innovateurs européens sont confrontés pour construire les systèmes du futur. Les données devraient être mieux utilisées au-delà de leur source primaire. En ce sens, le Data Act pourrait s'avérer révolutionnaire pour le secteur technologique européen, en créant idéalement une gouvernance dans laquelle l'accès aux données peut être libéralisé ; une libéralisation nécessaire pour que les innovateurs puissent à la fois développer de nouveaux produits et améliorer ceux déjà existants. Naturellement, le partage de données deviendra un pilier central de la coopération internationale à l'échelle mondiale. Et dans cette direction, le développement de Conseils du commerce et des technologies (CCT) avec les États-Unis et l'Inde est une étape positive que nous espérons pouvoir renforcer et élargir dans les années à venir. Avec l'Union Européenne à la tête des coopérations internationales, notamment en matière de partage de données, les progrès de l'innovation seront accélérés et l'avantage concurrentiel de l'Europe préservé.
Une grande partie du débat autour de l'IA ne découle pas de la technologie elle-même, mais des problèmes sociétaux qui la précède depuis longtemps. Les biais sociaux existants peuvent être transmis ou amplifiés dans les solutions alimentées par l'IA. Le défi ici est d'identifier le biais, de le définir et de le réguler de manière appropriée. Nous pensons que l'un des outils les plus puissants pour lutter contre ces biais réside dans la diversité des talents, soutenue par des normes de données de l'IA.
Un enjeu central de cybersécurité
Le mois dernier, au Parlement européen, nous avons discuté avec les législateurs de la nécessité pour l'Europe d'être "prête pour le quantique" : être prête pour le moment où la puissance de l'informatique quantique pourrait être malicieusement déclenchée pour briser en quelques secondes les chiffrements existants utilisés quotidiennement par des millions de citoyens de l'UE. Une attaque alimentée par le quantique ne peut être parée qu'en veillant à ce que nos systèmes soient entièrement à jour, et c'est ainsi que nous devons être préparés pour tout type de cyberattaque, y compris une attaque quantique. La loi sur la résilience cybernétique fait des avancées dans cette direction, et je tiens à souligner que la coopération entre les différentes parties prenantes dans ce domaine doit être renforcée. Tous les acteurs de l’industrie doivent être mobilisés et travailler dans un écosystème réunissant les forces de l'ordre, les régulateurs, le monde universitaire et les forces de sécurité afin de garantir la sécurité de l'Europe face à ces menaces numériques. Dans la mesure du possible, l'Europe devrait chercher à établir des partenariats internationaux, car la cybersécurité est un problème mondial qui nécessite une solution mondiale.
Lutter contre la pénurie de main-oeuvre
L'autre obstacle majeur auquel l'Union Européenne est confrontée est la pénurie de compétences, en particulier dans le secteur numérique. L'Union Européenne travaille d'arrache-pied pour résoudre ce problème : récemment, avec le plan d'action de la Commission pour faire face aux pénuries de main-d'œuvre, et avant cela avec le "Pact for Skills“ ainsi qu’à travers le programme dédié "Year of Skills" en 2023. L'Union Européenne peut compter sur le soutien continu d'une industrie qui est la première à éprouver des difficultés à trouver l'expertise appropriée. Les actions de soutien au développement des compétences doivent s'adresser à long, moyen et court terme. À court terme, il est nécessaire de requalifier et de perfectionner les talents pour développer des compétences spécifiques dans des domaines tels que l'IA. Investir dans la promotion des disciplines STEM (sciences, technologies, engineering, mathématiques) dès le début de la scolarité permettra de construire la main-d'œuvre diversifiée et qualifiée de demain.
Je regarde les cinq prochaines années avec beaucoup d'optimisme si nous parvenons à placer la compétitivité industrielle de l'Europe au premier plan de la politique de l'UE. La Commission Von der Leyen a jeté les bases de ce qui pourrait être une ère écologique et durable réussie pour l'UE, soutenue par des entreprises numériques innovantes. Nous devons maintenir l'élan et nouer les fils qui tissent les grands projets des cinq dernières années.