Pourquoi la désinformation est devenue un enjeu sociétal

Fake news, deepfakes, manipulations : la désinformation est devenue une arme redoutable. Pourquoi ce fléau explose-t-il et comment s'en prémunir ? Décryptage d'un enjeu crucial pour nos sociétés.

À l'heure où les fake news se propagent sur les réseaux sociaux et où l'intelligence artificielle permet de créer des deepfakes de plus en plus convaincants, la désinformation est devenue une arme redoutable. Cette menace, dont l'impact était autrefois limité, s'est muée en un véritable enjeu stratégique pour les organisations publiques comme privées. Décryptage d'un phénomène qui bouleverse nos sociétés et nécessite une réponse structurée.

De quoi parle-t-on exactement ?

La désinformation est un ensemble de pratiques et techniques de communication visant à influencer l'opinion publique en diffusant volontairement des informations mensongères, faussées ou biaisées. Si la propagation de fausses informations, aussi appelées "fake news", existe depuis l'Antiquité, son impact était historiquement limité, tant au niveau géographique que temporel.

La bascule s'est opérée avec l'avènement des médias de masse, transformant la désinformation en un enjeu stratégique, politique et sociétal majeur. Cette évolution a conduit à une véritable prise de conscience de la systématisation et de la structuration de ces campagnes. La lutte contre la désinformation est par conséquent entrée dans une nouvelle dimension et un parallèle peut être établi avec le développement du renseignement sur la menace cyber, aussi appelé Threat Intelligence (CTI), les deux phénomènes ayant connu une industrialisation grâce à l'émergence de nouveaux outils et standards technologique

Les trois raisons de cet essor

L'explosion des campagnes de désinformation s'explique par trois facteurs principaux : 

Le premier est la résurgence des tensions géopolitiques. Le retour à un monde multipolaire, rappelant l'époque de la guerre froide, pousse chaque bloc à étendre sa zone d'influence tout en cherchant à déstabiliser ses adversaires. En 2016, l'ingérence russe présumée dans l'élection présidentielle américaine via la diffusion massive de fausses informations sur les réseaux sociaux illustre parfaitement cette dynamique. Une dynamique qui n’a pas cessé durant cette année 2024, dont l’agenda législatif a prouvé une nouvelle fois l’importance d’une réponse structurée. 

La seconde raison est l'apparition d'outils et de technologies permettant d'industrialiser ces campagnes. Si les "fermes à trolls" constituaient la première génération de diffusion massive de désinformation, nous assistons aujourd'hui à une automatisation poussée du processus. Des logiciels disponibles sur GitHub permettent désormais à une seule personne de gérer des milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux. Plus récemment, des IA génératives comme GPT-4 permettent de créer du contenu trompeur à une échelle sans précédent.

Enfin, la troisième raison est la prise de conscience d'un retour sur investissement (ROI) significatif. Les campagnes de désinformation sont devenues extrêmement rentables au regard de leur faible coût de mise en œuvre. L'exemple du Brexit est parlant : une étude de l'Université d'Oxford a estimé que certaines campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux auraient pu influencer jusqu'à 800 000 votants, pour un investissement relativement modeste.

Un phénomène qui n'épargne aucun territoire

L'une des conséquences majeures de cette nouvelle donne est l'extension géographique des campagnes de désinformation. L'Afrique en est un exemple frappant. Depuis environ 5-6 ans, le continent est la cible de campagnes massives, soigneusement adaptées aux langues et cultures locales. Ces opérations visent principalement à modifier la perception des populations vis-à-vis des pays occidentaux. Le cas du Mali est emblématique : la dégradation de l'image de la France, alimentée par une propagande ciblée sur les réseaux sociaux, a contribué au retrait des forces françaises du pays.

Dans l’Hexagone, malgré une plus grande sensibilisation à ces menaces, nous ne sommes pas épargnés. L'exemple récent des Jeux Olympiques de Paris 2024 est révélateur : des campagnes orchestrées ont propagé de fausses informations sur une prétendue invasion de punaises de lit et de rats dans Paris, ou sur l'incapacité à assurer la sécurité des athlètes et des touristes. Ces rumeurs ont trouvé un écho jusque dans les médias internationaux, démontrant la capacité de la désinformation à impacter l'image et l'économie d'un pays.

Un écosystème qui se structure

Face à ces menaces, la réponse s'organise. Les États et les institutions prennent conscience des enjeux géopolitiques, économiques et sociétaux. La France a créé Viginum, service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, tandis que l'Union européenne travaille à la création d'une agence dédiée, sur le modèle de l'ENISA.

Les processus d'analyse de lutte contre la désinformation s'inspirent largement des méthodes éprouvées de la Threat Intelligence. Les analystes adoptent des standards et outils comme STIX,  DISARM (équivalent de MITRE ATT&CK pour le volet lutte informatique d’influence) et OpenCTI. L'émergence de fournisseurs privés d'information sur la désinformation témoigne de la structuration progressive de cet écosystème.

Du côté du secteur privé, les entreprises ont compris l'importance cruciale de protéger leur réputation. L'affaire Leroy Merlin au début du conflit en Ukraine l'illustre parfaitement : confrontée au mélange d'informations véridiques (présence de magasins en Russie) et fausses (accusations de fourniture de matériel à l'armée russe), l'enseigne a dû gérer une crise d'image majeure.

À l'ère de l'IA générative et des réseaux sociaux, la lutte contre la désinformation est devenue un impératif pour toute organisation. Au-delà des enjeux géopolitiques et économiques, c'est la cohésion même de nos sociétés qui est en jeu. Il est urgent que l'écosystème de lutte contre la désinformation se structure davantage et que les organisations, publiques comme privées, se dotent des outils et compétences nécessaires pour faire face à cette menace croissante.